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Cette enquête électorale le prouve: en Wallonie, être de droite est devenu plus cool

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Lorsqu’on les invite à se situer sur une échelle gauche-droite, les électeurs francophones se positionnent en 2024 sensiblement plus à droite qu’en 2019.

L’air se droitise, il suffit d’ouvrir un journal pour s’en apercevoir. Le résultat historique des élections du 9 juin, qui a fourni au MR, premier parti, et aux Engagés, troisième, une aussi confortable qu’inédite majorité en Wallonie et en Fédération Wallonie-Bruxelles, tandis qu’à Bruxelles le MR caracole et que Les Engagés inversent un déclin que l’on croyait éternel, le confirme. Et certaines données issues de l’enquête « sortie des urnes » réalisée par le Centre d’étude de la Vie politique (Cévipol) témoignent que cette droitisation a pénétré le for intérieur des électeurs. En revanche, elles semblent infirmer l’hypothèse d’une polarisation qui tirerait tous les partis de gauche vers la gauche, et tous ceux de droite vers la droite.


Le 9 juin, en sortant de leur bureau de vote, les 3.700 électeurs wallons sondés par le Cevipol étaient invités à s’autopositionner sur une échelle gauche droite, 0 étant la valeur la plus à gauche, 9 la valeur la plus à droite. C’est une question classique, si classique qu’elle avait déjà été posée au même public lors du précédent scrutin, celui du 25 mai 2019. A cette époque l’électeur wallon se situait lui-même à 4, soit à une valeur centrale. Les Wallons se disant d’extrême droite (aux échelons 9 ou 8) n’étaient que 4,8% en 2019 (2,1% à la valeur 9, 2,7% à la valeur 8), mais ils étaient un peu plus nombreux, soit respectivement 2,1% à la valeur 9 et 3,7% à l’échelon 8, les moins socialement désirables dans la culture politique. Et les Wallons de 2024 sont systématiquement plus nombreux à se réclamer de chacune des positions de droite, et systématiquement moins nombreux à se réclamer de chacune des positions de gauche, si bien que la moyenne wallonne de l’électeur s’est droitisée en cinq ans, passant de 4 en 2019 à 4,52 en 2024.

Les guerres culturelles

Ce constat d’une droitisation attribuée par les individus à eux-mêmes se justifie à l’examen des électorats des partis, y compris lorsque ceux-ci sont de gauche. Le parti porteur de cette droitisation lui-même, le MR, compte comme en 2019 l’électorat se revendiquant le plus de la droite de Belgique francophone, mais cette droite y est plus affirmée en 2024, à 6,05 en moyenne aujourd’hui contre 5,65 hier en Wallonie. La conquête électorale réformatrice s’accompagne donc d’un affermissement de la conscience politique de ses électeurs plutôt que d’une dissolution, en tout cas en Wallonie. C’est ici aussi un incontestable acquis politique de la présidence de Georges-Louis Bouchez, qui revendique mener des « guerres culturelles » permanentes, à travers de bruyantes indignations (contre le voile, contre la sauce carbonara halal, contre les repas halal pour les SDF, pour le Père Fouettard, contre la RTBF, etc.), à cette fin de conscientisation. Les positions les plus à gauche, de 0 à 5 inclus (à l’exception de la troisième), sont toutes moins souvent cochées par les électeurs MR en 2019 qu’en 2024, et ce n’est pas un hasard non plus.

A gauche aussi, la Wallonie est plus à droite

Mais l’effacement relatif de la gaucherie positionnelle s’observe aussi dans l’électorat des autres partis, qui eux aussi ont vogué vers tribord ces cinq dernières années. Y compris parmi les partis de gauche, ce qui tendrait à indiquer que c’est plutôt l’air du temps qui s’est droitisé que ces formations elles-mêmes qui se seraient, comme on le lit souvent dans les journaux, gauchisées. L’électeur moyen du PS se place cette année à 3,33 contre 2,93 cinq ans plus tôt, et 7% de son vivier de 2024 se considère à l’extrême gauche (valeur 0), contre près du double en 2019. Même si c’est infinitésimal, c’est aussi le cas de l’électeur du PTB, qui était en moyenne à 2,63, un peu plus à gauche que le PS donc, en 2019, et qui s’est déplacé de peu, à 2,75, cette année, soit un peu plus à droite que lui-même, mais un peu plus à gauche qu’auparavant par rapport au PS.

La Wallonie plus à droite… sauf chez Ecolo

La situation est différente chez Ecolo, qui est le seul parti wallon dont l’électorat se qualifiait en moyenne, le 9 juin, comme plus à gauche qu’il ne le faisait en 2019. C’est logique: presque tous ses électeurs centristes et libéraux se sont encourus, presque tous ses électeurs d’ailleurs, et ceux qui sont restés fidèles aux verts en Wallonie partagent donc davantage qu’en 2019 la conscience sociale et environnementale qui constitue l’identité d’Ecolo, et c’est ainsi qu’alors que ceux, plus nombreux, qui ont porté les verts à leur victoire de 2019 s’autopositionnaient à 3,4, les plus rares soutiens de 2024 se resserraient vers 3,1%.

La gigantesque expansion des Engagés se traduit aussi par une droitisation de ses électeurs, qui estiment en 2024, en moyenne, se situer à 4,97 sur une échelle gauche-droite, tandis qu’ils se plaçaient en 2019 un demi-point plus à gauche. Sans surprise, c’est chez les électeurs de centre-droit (plus de 70% de ses soutiens cochent les valeurs 4, 5 et 6) que le « mouvement positif » parait avoir recruté.

Pascal Delwit (ULB) a mené cette enquête électorale pour le Cevipol, qui confirme cette évolution droitière. Il l’explique par deux hypothèses, « pas mutuellement exclusives« , dit-il. « Un, en effet, l’esprit du temps. Quand on voit les résultats, à travers le continent, des élections européennes, on constate que la dynamique est favorable aux partis de droite, y compris de la droite radicale, et la Belgique francophone est très influencée culturellement par les débats français.

Et deux, on a pu observer ces dernières années que les questions socio-économiques sont moins centrales, ce qui fait que d’autres thématiques prennent de la saillance, pensons à l’énergie dans sa dimension technologique, entre nucléaire et renouvelable, pensons à la sécurité, et aux questions liées, explicitement ou implicitement, aux migrations. Dans un système belge et francophone de grandes coalitions, la distinction socio-économique s’exprime d’autant moins, parce qu’elle est atténuée par les compromis noués, et cela contribue à la saillance des autres clivages », conclut le politologue de l’ULB.

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