Ce qu’il faut retenir du Grand débat du Vif: les 5 convergences possibles entre les 6 présidents de parti
Les convergences sont-elles possibles, entre six présidents que presque tout oppose? Sur les salaires, sur le nucléaire, sur l’impôt sur la fortune, sur le temps de travail et sur les allocations, Le Vif a trouvé des points communs parfois inattendus entre les six partis.
La convergence au-delà des différences. En campagne, et en particulier dans un débat entre présidents de parti, il est crucial pour une formation politique de se distinguer, de mettre ses propositions en avant et donc d’insister sur ce qui clive plutôt que sur ce qui rassemble. Le coprésident Ecolo Jean-Marc Nollet ne s’en est d’ailleurs pas privé, en exigeant avec fracas que le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dont le ministre-président est MR, retire le décret paysage, réformé par une ministre MR.
Il est toutefois également nécessaire de se montrer ouvert à la discussion, et disposé à nouer des compromis, au nom, toujours, de l’intérêt général. Même entre des personnalités aussi opposées que les six présidents invités à débattre par Le Vif, même entre des partis aussi éloignés que ceux qu’ils président, et même sur des sujets aussi clivants que l’énergie, la fiscalité ou le temps de travail, certaines convergences, parfois surprenantes, se sont révélées.
1. Sur les bas et moyens salaires…
Tout le monde, en fait, est d’accord pour les rehausser. C’était déjà d’ailleurs le cas il y a moins d’un an, et pourtant, le gouvernement De Croo n’était pas parvenu à s’accorder sur un projet de réforme fiscale qui aurait allégé la pression fiscale sur les bas et moyens salaires. Le MR s’était montré intraitable. « Je l’assume », a expliqué Georges-Louis Bouchez, qui estimait ce projet néfaste parce qu’il transférait la charge fiscale sur d’autres contribuables, et sur d’autres comportements. Et c’est, en fait, sur ces dimensions que les partis divergent. Tous convergent pour hausser les bas et les moyens salaires, mais tous divergent sur la façon de financer cette baisse de la fiscalité. Voire même sur le fait même de la financer. Ainsi, Ecolo avec son crédit d’impôt solidaire, le PS avec sa réforme fiscale, le PTB avec son idée d’en finir avec « ce paradis fiscal pour les riches et cet enfer fiscal pour les travailleurs » souhaitent, chacun, compenser l’allégement de la pression fiscale sur les revenus du travail les plus bas (jusqu’au salaire médian pour Ecolo et le PS, c’est moins précis pour le PTB) par une taxation accrue des revenus du capital, et du capital lui-même. Au centre, DéFI promet une globalisation des revenus. Elle permettra d’élargir l’assiette fiscale, et donc de libérer davantage les revenus du travail, en augmentant la contribution des revenus du capital, « les premiers sont à la baisse, les seconds à la hausse« , ces dernières années, a déploré François De Smet. Et Les Engagés veulent instaurer un « bonus bosseur » de 450 euros qui passerait lui aussi par une réduction drastique de la fiscalité sur les salaires, le tout, insiste Maxime Prévot, dans le cadre d’une vaste réforme fiscale, qui toucherait sur 50 milliards d’euros. Et c’est ce qui turlupine, justement, Georges-Louis Bouchez, pour le MR. Car les libéraux, eux, ne veulent pas d’un glissement fiscal. Ils veulent une baisse globale de la fiscalité. « Pas de tax shift, un tax cut« , répète le président montois, qui veut compenser le manque de recettes qu’impliquera ce tax cut par des économies sur le fonctionnement de l’Etat.
2. Les convergences des présidents de parti sur les fins de carrière et le temps de travail…
Le ballon d’essai socialiste, il y a quelques semaines, a eu l’effet escompté. Quand le PS a intégré à son programme l’objectif d’une réduction à 32 heures du temps de travail hebdomadaire, sans perte de salaire, il a relancé un affrontement gauche-droite classique.
C’est le sens de l’histoire, dit-on à gauche, et Paul Magnette, Jean-Marc Nollet et Raoul Hedebouw l’ont encore redit sur le plateau. C’est irresponsable, répond-on à droite, et Georges-Louis Bouchez, Maxime Prévot et François De Smet se sont appliqués à le redémontrer devant les caméras du Vif. Mais quand on écoute vraiment ce que chacun à dire, des convergences se dégagent. La proposition socialiste est en effet, répète Paul Magnette depuis janvier, pensée pour aménager les fins de carrières. Dans un premier temps, elle s’appliquerait avant tout pour les travailleurs âgés de plus de 55 ans. Parce qu’ils sont usés, et qu’alléger leur horaire permettrait, en fait, de les maintenir plus longtemps au travail. Et c’est ce qui a fait dire, en fait, aux présidents du centre et de droite qu’ils étaient d’accord avec ceux de gauche. « Ca a du sens dans certains secteurs« , a dit François De Smet, et Maxime Prévot était tout à fait sur sa ligne. Même Georges-Louis Bouchez a embrayé, parce qu’on ne peut pas, a-t-il expliqué, demander à un maçon de travailler sur ses chantiers aussi longtemps qu’à des présidents de partis de passer à la télé, par exemple. On les a donc un peu écoutés et on les a trouvés pas si loin d’un accord sur des questions aussi centrales que le temps de travail et les fins de carrière. Peut-être que le problème, au fond, c’est qu’entre eux ils s’écoutent si peu.
3. Sur la limitation du chômage…
C’est un des thèmes de cette campagne. Comment augmenter le taux d’emploi en Wallonie et à Bruxelles? Et, dans l’éventail des solutions proposées, la limitation dans le temps des allocations de chômage porterait-elle ses fruits? L’idée séduit plus d’un président.
«Le chômage à vie, c’est tellement une bonne idée que même Jean-Luc Mélenchon ne la défend pas», lance Georges-Louis Bouchez aux partis de gauche. Après, chacun y va de sa formule.
Le président du MR privilégie un modèle «à la danoise» avec limitation du chômage à deux ans, puis activation individualisée prise en charge par les CPAS. Maxime Prévot avance sa recette du «droit à l’emploi»: des indemnités revues à la hausse, mais qui interrompraient après deux ans. Ensuite, les pouvoirs publics proposeraient automatiquement un emploi au demandeur, si celui-ci n’avait pas trouvé chaussure à son pied.
D’autres partis mettent davantage l’accent sur la formation. C’est le cas de DéFI, François De Smet souhaitant mieux faire correspondre les qualifications des gens aux besoins du marché de l’emploi, mais aussi doper l’esprit d’entreprendre. Une formation adaptée devrait être obligatoire après un an sans emploi, selon lui. «Nous ne privilégions pas le couperet, mais la pression sur la formation.» Du côté d’Ecolo, Jean-Marc Nollet estime lui aussi que la formation représente un enjeu central.
A gauche, enfin, on met l’accent sur l’attractivité. «Accentuer la formation, augmenter les salaires, améliorer les conditions de travail et horaires», tels sont les principes défendus par Paul Magnette. Le socialiste, au passage, aime rappeler que des contrôles ont bien lieu, «près de 30.000 l’an dernier. Et ceux qui ne jouent pas le jeu sont une infime minorité. Ceux-là, oui, il faut les contrôler et les sanctionner».
Raoul Hedebouw estime pour sa part que «foutre les gens au CPAS ne va pas résoudre quoi que ce soit». L’essentiel consiste à revaloriser les salaires, selon le président du PTB, en se libérant de la loi de 1996 sur la norme salariale.
4. Les convergences des présidents de parti sur la taxe des millionnaires…
Aussi étonnant que cela puisse paraître, tout le monde est enthousiaste à l’idée de taxer les plus fortunés. Mais lorsqu’on se penche sur les modalités et les principes, il faut constater, avec un minimum de bonne foi, que cette belle unanimité s’évapore aussitôt.
La taxe des millionnaires, donc, est ce clou sur lequel ne cesse de taper Raoul Hedebouw (PTB), en affirmant que «c’est chez les super riches qu’il faut aller chercher l’argent», que la menace de la fuite des capitaux est un leurre et que les partis de gouvernement «qui se disent de gauche» en parlent en campagne pour se dédire ensuite. Raoul Hedebouw en a marre des «taxounettes», comme il les appelle. Lui entend récolter huit milliards d’euros de recettes avec une taxe des millionnaires (à partir de cinq millions d’euros de patrimoine, désormais).
Paul Magnette (PS), lui aussi, aimerait en faire davantage «que la taxe sur les comptes-titres, qu’on a au moins rétablie et qui rapporte 450 millions d’euros». Mais le socialiste rappelle que lui «ne se trouve pas dans le confort de l’opposition permanente», à l’instar du PTB «qui n’a rien fait, comme d’habitude».
Jean-Marc Nollet (Ecolo), «favorable à une globalisation des revenus», trouve aussi qu’il n’est «pas normal qu’une personne qui travaille paie plus d’impôts qu’une personne qui spécule, qui est rentière, etc.»
Maxime Prévot (Les Engagés) n’aime qu’on fasse circuler l’idée que le capital n’est pas du tout taxé. Par contre, «on préfère s’attaquer aux revenus du capital plutôt qu’au capital. Rien n’explique qu’un euro issu des revenus du travail soit plus taxé plus qu’un euro issu revenus du capital». François De Smet (DéFI) le rejoint volontiers: «Les revenus du capital, plutôt que le capital».
Et Georges-Louis Bouchez, président du MR? «Je peux être d’accord avec cette taxe du PTB, lance-t-il. Mais à une condition: alors vous ne taxez plus les revenus du travail, ni les investissements» ni tout le reste, le MR considérant la fiscalité comme déjà bien trop pesante. C’est donc, de manière attendue, un net refus qu’il oppose à la revendication du PTB, notamment parce qu’elle «va engendrer de la mobilité des capitaux, mais aussi une réduction de l’investissement».
5. Sur le nucléaire…
Le débat autour de l’énergie s’est concentré sur la prolongation ou non du nucléaire, ces dernières années. Le MR a d’ailleurs fait du maintien du nucléaire une condition pour entrer dans un gouvernement. C’est le sujet que Georges-Louis Bouchez a choisi de mettre en exergue, François De Smet et Maxime Prévot défendant eux aussi le maintien du nucléaire dans le mix énergétique.
Pour Georges-Louis Bouchez, un mix alliant le nucléaire et le renouvelable est indispensable, du fait «qu’on ne peut pas réduire à l’infini notre consommation». Ce mix, en réalité «beaucoup plus large», permettra d’éviter le principe de la décroissance qu’il refuse et de résoudre le problème de l’intermittence de la production renouvelable, selon lui.
A vrai dire, le seul président de parti à explicitement s’opposer au développement du nucléaire est l’écologiste Jean-Marc Nollet. « Notre vision est orientée vers le 100% renouvelable, parce que c’est une énergie propre, naturelle, devenue aussi l’énergie la moins chère ». Le scénario d’Ecolo a été testé et approuvé par un centre d’études – «pas le Centre Jacky Morael», rassure-t-il -, à savoir EnergyVille.
Maxime Prévot (Les Engagés), jugeant «l’approche d’Ecolo trop idéaliste et dogmatique», estime que cela «n’a pas de sens d’opposer deux énergies décarbonées», nucléaire et renouvelable, face aux enjeux climatiques. «Est-ce que le nucléaire a toutes les vertus ? Non. Faut-il le blâmer ? Non plus», poursuit-il. Pour Maxime Prévot, c’est du «vrai débat» dont il faut parler, à savoir le fait que «notre consommation repose à 80% sur les énergies fossiles, c’est là qu’on doit porter l’estocade».
Pour François De Smet (DéFI) aussi, le nucléaire représente «le parachute» indispensable à la décarbonation, en complément du renouvelable et de ce qu’il appelle «la modération énergétique». Le président amarante se dit «réaliste» et redoute, à l’instar de la formule «tous les élèves seront bilingues en 2001» avancée par Laurette Onkelinx en 1996, que la phrase «100% renouvelable en 2050» finisse par mal vieillir. Sauf, prévient-il, si on souhaite «un choc de croissance et de confort tel qu’il sera politiquement socialement impossible à suivre».
Pour Paul Magnette (PS), la priorité doit aller aux investissements massifs pour réduire la consommation énergétique, «il ne faut absolument pas entrer dans la logique d’austérité du MR». Se basant sur des conclusions des experts du GIEC, il préconise une nette augmentation des technologies les plus performantes, dans l’habitat par exemple, qui pourrait permettre « d’économiser 70% » des consommations.
Raoul Hedbouw (PTB), enfin, pose en tout premier lieu la question de «qui va produire le mix? Est-ce Engie-Electrabel, qui a réalisé de 7 à 9 milliards de surprofits?» Pour le communiste, c’est une «planification énergétique sur toute l’Europe» qui s’impose, alliant notamment éolien et solaire, moyennant d’importants investissements publics. Quant aux particuliers, il croit peu au système des primes, mais aimerait voir apparaître «un système de tiers-payant quartier par quartier et une banque d’investissements publique», pour aider les ménages à réduire leur consommation.
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