Août 1999. Les libéraux viennent de revenir au gouvernement fédéral. Ils y sont pour plusieurs décennies. © BELGAIMAGE

Ce 12 juillet, le MR est au gouvernement depuis 25 ans: pourquoi les libéraux ne fêtent pas cet anniversaire

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Il y a 25 ans jour pour jour, les libéraux francophones entraient au gouvernement fédéral pour ne plus jamais le quitter. Ils sont bien partis pour prolonger d’au moins cinq ans. Un record pour eux. Pas tellement un motif de fierté…

C’était pile il y a un quart de siècle. Le 12 juillet 1999, Louis Michel est très content, Didier Reynders est heureux, Guy Verhofstadt a réussi, et eux aussi. Au palais royal, les trois prêtent enfin serment de ministre, de Premier pour le dernier des trois, et c’est la gloire. Les libéraux sont de retour au gouvernement après une traversée du désert de douze ans, et ils ne font pas dans la modestie, ils auraient tort. Pendant cette triste période, socialistes et sociaux-chrétiens, sous les aguichants Wilfried Martens puis Jean-Luc Dehaene, se sont embourbés dans des affaires, englués dans des scandales et esquintés à remettre de l’ordre dans les finances publiques.

C’est alors la gloire pour les bleus, on pense que cet instant de félicité sera long, et c’est vrai que les libéraux reviennent pour durer.

Aujourd’hui, 12 juillet, cela fait 25 ans, c’est un anniversaire unique. Jamais les libéraux n’étaient restés si longtemps dans des gouvernements belges, ils sont en passe de battre le record du PS (26 ans entre 1988 et 2014), pas encore celui des sociaux-chrétiens (61 ans de 1884 à 1945, et, dans l’ère moderne, 41 ans entre 1958 et 1999). C’est un anniversaire unique, un quart de siècle de pouvoir continu, mais ça n’a pas l’air d’une gloire chez les bleus. Les libéraux n’en paraissent pas fiers. Pas les libéraux flamands, qui ont perdu les élections, et qui se la jouent donc modeste et qui ont fait le choix de l’opposition après la déculottée, sauf à Bruxelles où ils sont toujours nécessaires. Pas non plus les libéraux francophones, qui les ont gagnées, et qui se préparent dans la joie à cinq années de pouvoir de plus, même à Bruxelles où ils sont cette fois indispensables.

Vingt-cinq ans de libéralisme dominant au fédéral, ce sont quatre Premiers ministres (Verhofstadt, Michel, Wilmès, De Croo), deux réformes fiscales et autant de réformes de l’Etat, une réforme des polices et plusieurs des pensions, des grandes victoires pour les indépendants et de grosses bagarres sur les affaires sociales, des départs de prestige et de petits accommodements de principes, c’est une manière de transformer le pays dont les libéraux –surtout francophones, parce que l’exercice de ce pouvoir a été pour eux, électoralement, un obstacle à sa conquête– ne se vantent pas.

Pourtant, le 12 juillet 1999, pavoisant, rivaux mais alliés, Louis Michel et Didier Reynders prêtent serment pour quatre ans (la législature fédérale ne passera à cinq ans qu’en 2014, après la sixième réforme de l’Etat), dans le gouvernement arc-en-ciel. Et ils tracent un sillon pour 25 ans, et même pour au moins 30. Louis Michel et Didier Reynders ont transformé leur formation en un grand parti de pouvoir, déjà alors en train de conquérir un monopole sur la droite de l’échiquier francophone.

Ses traits d’aujourd’hui sont déjà à l’œuvre à l’époque, avant même que leur fédération PRL-FDF-MCC devienne, en 2002, leur MR.

Leur rivalité, d’ailleurs, présente des conséquences encore palpables, quoique de moins en moins, de nos jours.

Au moment de ce serment de 25 ans par exemple, ils ont déjà placé les jalons d’une forme de peopolisation toujours à l’œuvre de nos jours. Louis Michel en particulier, qui recruta en 1999 la journaliste de RTL TVI Frédérique Ries, puis en 2003 le footballeur Marc Wilmots. Son successeur Didier Reynders, lui, attira la successeur de Frédérique Ries au JT de la chaîne privée, Florence Reuter, en 2007. Leur successeur Charles Michel, lui, embaucha leur successeur à RTL, Michel De Maegd, en 2019, après avoir rallié leur ancien concurrent de la RTBF Olivier Maroy en 2014, bien avant les transferts, contemporains et similaires, d’Hadja Lahbib, Julie Taton ou Marc Ysaye.

Louis Michel et Didier Reynders ont transformé leur formation en un grand parti de pouvoir.

«Jamais avec la N-VA»

La fédération PRL-FDF-MCC s’est constituée par l’adjonction au socle libéral du FDF, en 1993, sous la présidence de feu Jean Gol, décédé brutalement le 18 septembre 1995, puis du MCC, en 1998, sous la présidence de Louis Michel, conquise brutalement dans les heures suivant le 18 septembre 1995. Le MCC, aujourd’hui présidé par Marie-Christine Marghem, est un mouvement fondé par Gérard Deprez, ancien président du PSC, pour amarrer la droite catholique au centre-droit libéral. Louis Michel n’était pas le plus enthousiaste partisan du rapprochement avec le FDF opéré par Jean Gol, et Didier Reynders n’était pas le moins énervé opposant aux opérations menées par Louis Michel après le décès de Jean Gol.

C’est donc sous Charles Michel, fils biologique de Louis et président de janvier 2011 à 2014, et pas sous Didier Reynders, fils politique de Jean et président de 2004 à janvier 2011, que la rupture du FDF et du MR allait avoir lieu, en novembre 2011. A l’époque, les libéraux francophones avaient été écartés des vaines négociations entre PS et N-VA, que Didier Reynders avait perturbées en aidant à médiatiser un repas chez Brunau avec Bart De Wever. Charles Michel avait à nouveau rendu les siens incontournables en aidant Elio Di Rupo à contourner la N-VA. Il fallut pour ça valider une réforme de l’Etat dont le FDF ne voulait pas, mais puisque Charles Michel comme son père ne voulait plus du FDF, se fit la sixième réforme de l’Etat. C’était aussi l’époque où Jean-Luc Crucke prônait un gouvernement fédéral associant la N-VA et le MR, ainsi que celle où Charles Michel jurait qu’il n’y aurait jamais de gouvernement fédéral associant la N-VA et le MR, et cela marqua le début de la fin de l’époque où les clans Michel et Reynders s’insultaient mutuellement, fort souvent par Gérard Deprez et Olivier Maingain interposés.

Mais en 2011, à mi-chemin donc du quart de siècle qui nous occupe, les autres sillons tracés il y a aujourd’hui 25 ans par Louis Michel et Didier Reynders, alors tout à cette satisfaction commune torsadée de ressentiment mutuel, avaient déjà bien fructifié.

Ce jour-là, le 12 juillet 1999, Louis Michel devint ministre des Affaires étrangères et vice-Premier ministre. Les libéraux mirent dès lors la main sur la diplomatie belge, colonisèrent ce département régalien. Louis Michel se fit entendre comme aucun ministre des Affaires étrangères jamais ne l’avait fait, triangulant l’associatif sur les droits humains, ami des Palestiniens, coléreux boycotteur du ski en Autriche à cause du leader d’extrême droite Jörg Haider, ou furieux contre le Pentagone et la Maison-Blanche, «c’est des pètés», dit-il de ces derniers, avec le grave accent de son terroir hesbignon, juste avant l’invasion de l’Irak, devant un auditoire Janson, à l’ULB, rempli d’étudiants de gauche ravis. Depuis, la diplomatie belge flamboie moins, mais elle reste d’un bleu, surtout francophone, éternel. Avec Karel De Gucht, Didier Reynders, Philippe Goffin, Sophie Wilmès et Hadja Lahbib, le MR et l’Open VLD ont occupé le département pendant 23 ans sur 25.

Février 2000. Avec Elio Di Rupo, Louis Michel, ministre des Affaires étrangères, et Daniel Ducarme, président du PRL, manifestent contre l’entrée de l’extrême droite dans le gouvernement autrichien. © BELGAIMAGE

C’est parti pour 30 ans

Ce 12 juillet 1999, Didier Reynders, lui, devient ministre des Finances. Il met en œuvre une réforme fiscale longtemps réclamée par les siens, contre la «rage taxatoire» que dénonçait Jean Gol. Celle-ci réduit le nombre des tranches de l’impôt sur le revenu, supprime le barème le plus élevé (alors de 55%) et ravit les contribuables, qui portent le MR à une belle victoire aux élections de mai 2003. Didier Reynders restera ministre des Finances dans plusieurs gouvernements successifs, jusqu’à 2011 et son départ pour les Affaires étrangères.

Mais ce 12 juillet 1999, les deux couvent également de prospères niches politiques, sur lesquelles veillent toujours leurs camarades et héritiers. Ces derniers temps, de fielleux opposants ont rappelé combien le département du Budget a été, alors que les finances de l’Etat se sont dégradées, d’apanage libéral. C’est fielleux parce que c’est partial, qu’un ministre du Budget ne décide que de peu de choses, et qu’il n’est libéral, au fédéral, que depuis 2011.

Des chasses gardées se sont constituées et le sont toujours aussi chèrement.

En revanche, d’autres chasses gardées se sont constituées, en ce moment fondateur que les libéraux belges ne souhaitent pas célébrer. L’agriculture, dont une large part a été fédéralisée en 2000 sous le gouvernement Verhofstadt, est propriété de la famille depuis lors, sous des ministres VLD jusqu’à 2004, puis MR depuis 20 ans sans jachère politique, de Sabine Laruelle à David Clarinval. Les indépendants et les classes moyennes sont choyés depuis 1999 par les mêmes, sur le même rythme que les agriculteurs, cinq ans VLD, 20 ans MR. La Régie des bâtiments, ses cinq millions de mètres carrés de bureaux et de terrains, ses échafaudages sur le palais de justice et ses joyaux dégradés, devient aussi, ce 12 juillet 1999, une priorité réformatrice, sous Didier Reynders d’abord, jusqu’à 2011, sous Mathieu Michel ensuite, depuis 2019.

Enfin, la simplification administrative, revendication que portent aujourd’hui très ostensiblement les divers formateurs, libéraux mais pas que, de l’après-9 juin 2024, était déjà un combat mené par le MR à l’été 1999 lorsque Alain Zenner fut désigné commissaire (une espèce de sous-commissaire d’Etat) à la simplification administrative, compétence qu’exercèrent ensuite Vincent Van Quickenborne, Olivier Chastel et désormais Mathieu Michel, à peine interrompus par Theo Francken entre 2014 et 2018.

Ces niches, 25 ans après le serment du 12 juillet 1999, sont toujours aussi chèrement gardées par les libéraux, francophones en particulier, qui y veilleront toujours dans les cinq années à venir, mais discrètement. Parce que ces niches sont pour eux un enjeu de campagne permanent, et qu’ils accusent depuis longtemps leurs concurrents de mal défendre ceux qu’ils sont eux-mêmes censés protéger.

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