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Pour le politologue Carl Devos (UGent), "mieux vaut un bon accord qu’un accord rapide."

Carl Devos (UGent): «Bien sûr, nous allons connaître la misère politique avant qu’un gouvernement ne soit formé»

Noé Spies
Noé Spies Journaliste au Vif

Le préformateur Bart De Wever fait face aux premiers vrais défis de sa mission. L’objectif d’un gouvernement pour le 21 juillet semble trop optimiste. «Plus nous approchons des élections communales, plus cela deviendra difficile», estime le politologue Carl Devos (UGent).

Un risque d’orage imminent? Le préformateur fédéral Bart De Wever est contraint, pour la première fois, de sortir de sa zone de confort. Après avoir évoqué les sujets les moins clivants entre les cinq partis de l’Arizona (énergie, défense), le nationaliste flamand est sur le point de s’attaquer à une corde sensible mais inévitable: la santé et les retraites.

Les premières grosses tensions pourraient dès lors apparaître, et ce alors même que le confédéralisme cher à la N-VA n’a pas encore été mis sur la table (il le sera inévitablement). «Il serait tout de même étrange de penser que cette coalition inédite, confrontée à l’exercice le plus difficile de ce siècle, s’achemine harmonieusement vers un accord sans crise et sans problème, avance le politologue Carl Devos (UGent). Mais il ne faut pas se précipiter. Un bon accord vaut mieux qu’un accord rapide.» Entretien.

Carl Devos, comment évaluez-vous la façon de faire de Bart De Wever dans son rôle de préformateur du gouvernement jusqu’à présent?

Il procède de manière très réfléchie. Et évite pour l’instant les discussions essentielles. On pourrait presque dire qu’il progresse lentement, car les formations régionales sont d’une rapidité inattendue. Selon les critères belges, les choses sont toutefois très rapides. Même au niveau fédéral, nous avons déjà un préformateur, ce que nous devions attendre de longs mois auparavant.

Par le biais de toutes sortes d’exposés, il tente d’orienter les partenaires de la coalition, en particulier Vooruit et Les Engagés. Ses démonstrations sur la situation budgétaire ou la nécessité d’augmenter les dépenses de la Défense devraient convaincre ces partis. En fait, De Wever pense qu’il doit laisser parler les chiffres pour convaincre les partis les plus sceptiques. Je ne pense pas que cela fonctionnera. Les partis connaissent ces chiffres, mais ils y attachent des conséquences et des choix différents.

Vous dites qu’il évite les discussions essentielles. Pouvez-vous expliquer?

Les thèmes majeurs -comment économiser, où et combien, quels nouveaux impôts sont à venir, quelles réformes structurelles sont nécessaires- ne sont pas encore abordées. Actuellement, les discussions concernent davantage la formation elle-même. Mais De Wever ne connaît pas les ambitions exactes de chaque parti. Il doit encore avoir cette conversation essentielle avec chacun, pour savoir si tous veulent se lancer dans cette histoire. Plus nous approchons des élections communales, plus cela devient difficile. C’est surtout après les vacances d’été que la formation ressentira cet impact.

Disons que nous payons déjà le prix d’une campagne superficielle: les discussions qui subsistent aujourd’hui auraient dû avoir lieu pendant la campagne. Mais les politiciens les ont évitées et les citoyens ont préféré ne pas les entendre. Elles sont pourtant inévitables.

Sur les thèmes de l’énergie, des finances, ou de la défense, les tensions sont moins fortes entre les cinq partis supposés du futur gouvernement. De Wever va-t-il entrer en zone sensible en évoquant les sujets de la santé et des retraites?

La santé et les retraites doivent être abordées, c’est inévitable. Sous la Vivaldi, le débat de fond sur ce sujet n’a pas eu lieu. Même dans le passé, les réformes nécessaires n’ont pas vu le jour.

Il serait tout de même étrange de penser que cette coalition inédite, confrontée à l’exercice le plus difficile de ce siècle, s’achemine harmonieusement vers un accord de coalition sans crise et sans problème.

Carl Devos

Politologue (UGent)

Nous sommes maintenant au pied du mur budgétaire, ils ne peuvent plus faire autrement. Cela ne rend pas le débat plus facile pour autant. Il donnera certainement encore lieu à de nombreuses discussions et peut-être à une crise. Il serait tout de même étrange de penser que cette coalition inédite, confrontée à l’exercice le plus difficile de ce siècle, s’achemine harmonieusement vers un accord de coalition sans crise et sans problème. Bien sûr, nous allons connaître la misère politique avant que le gouvernement ne puisse commencer.

Dans son approche, De Wever compte faire des entretiens bilatéraux avec chaque parti. Est-ce une bonne stratégie ?

Un informateur ne peut pas faire autrement. Il peut réunir toutes les parties autour d’une même table. Mais ils devront aussi avoir une bonne discussion plus tard, sans personnes extérieures. Tout le monde veut que les choses avancent vite, et la pression de la Commission européenne est grande. Mais il vaut mieux ne pas se précipiter. Provoquer une crise majeure maintenant temporiserait la formation pendant des mois, jusqu’après les élections communales. Il est préférable de prendre le temps maintenant et ne pas briser la préformation. Dans le cas contraire, nous perdrons encore plus de temps. Encore une fois, le plus tôt sera le mieux. Mais un bon accord vaut mieux qu’un accord rapide.

De Wever espère passer de préformateur à formateur sous peu. Réaliste?

Je pense que c’est un peu trop optimiste. Il faudra plus de temps. Mais cela ne change pas grand-chose. Passer de préformateur à formateur n’est pas un grand pas. Symboliquement, oui, car on peut alors dire que la formation a vraiment commencé. Mais dans le contexte actuel, où il n’y a pas d’alternative à ce gouvernement, pas avant le 13 octobre en tout cas, cela n’aurait que peu d’impact. Par ailleurs, en lisant les doutes du Vooruit, il me semble qu’il est encore trop tôt pour lancer officiellement la formation, à moins qu’ils n’aient effectivement reçu les garanties de De Wever et de Bouchez. Mais lesquelles? Et quelles garanties l’Anversois a-t-il pour que son confédéralisme soit discuté? Ce dernier élément sera sur la table avant de commencer officiellement cette formation.

La Vivaldi nous a appris qu’un accord précipité a des conséquences néfastes sur l’ensemble d’une législature.

Carl Devos

Politologue (UGent)

La coalition Arizona a-t-elle une chance d’aboutir avant le 21 juillet? Si pas, fin septembre?

Cela me semble très optimiste. N’oublions pas non plus que de nombreux dirigeants sont occupés avec deux formations en même temps. Ils dirigent également leurs partis qui se préparent pour les élections communales du 13 octobre. Compte tenu de la quantité de travail qu’il reste à accomplir, le 21 juillet me semble très proche. La Vivaldi nous a appris qu’un accord précipité a des conséquences néfastes sur l’ensemble d’une législature.

De Wever est-il un candidat légitime pour devenir Premier ministre?

Oui, pour plusieurs raisons. Il est évident qu’il est en difficulté avec beaucoup d’électeurs francophones, tout comme il connaît beaucoup d’opposition en Flandre.

Je n’exclus pas que Bart De Wever devienne également populaire en Belgique francophone.

Carl Devos

Politologue (UGent)

De Wever devra prouver au sein de la formation qu’il peut être le Premier ministre de tous les Belges, qu’il est un conciliateur qui rassemble cinq partis dans une coalition inhabituelle. Je pense qu’il se conformera certainement à sa position. Je n’exclus pas qu’il devienne également populaire en Belgique francophone. Les élections ont montré qu’il y a là aussi beaucoup d’électeurs qui croient en sa vision de la société. Et il n’y aura de toute façon pas beaucoup, voire pas du tout, de confédéralisme.

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