Budget, retour de la réforme fiscale…: ce qui attend le gouvernement De Croo pendant sa dernière année
La dernière année de législature du gouvernement De Croo s’annonce difficile. Les blocages se multiplient entre les sept partis de la Vivaldi. Mais il y encore du travail à accomplir…
Quand on dit de cette rentrée qu’elle a déjà une odeur de campagne, on sous-entend qu’en fait, elle sent déjà les vacances. Il y aura en effet, en juin 2024, des élections fédérales, européennes et régionales. Et après ça, pour le niveau fédéral spécialement, une très incertaine période d’affaires courantes, qui s’annonce aussi longue que lascive.
Alors on raconte partout que cette dernière année ne peut pas être utile.
Et ça, ça les énerve un peu, les ministres et les parlementaires du pays. Ils sont impatients, certes, de se faire réélire, et donc avant ça de passer trois mois à courir les marchés et à faire du porte-à-porte. Mais ils sont surtout soucieux de démontrer que même à la dernière rentrée, fût-ce après les ultimes vacances, le travail continue.
Alexander De Croo rêvait d’une coalition d’accords win-win, ce ne sont que des désaccords lose-lose.
Au gouvernement fédéral singulièrement, où la réforme fiscale était présentée comme la dernière réforme possible, on travaillera encore beaucoup, d’autant plus qu’une fois la dernière réforme impossible enterrée, partout il était annoncé que la Vivaldi s’enfermait dans un coma préélectoral.
C’était embêtant, ce coma, pour Alexander De Croo, qui ne cesse de répéter que sa Vivaldi doit prouver que ce pays fonctionne encore. Tellement qu’il a fait payer par son parti une lettre ouverte dans plusieurs journaux, où il se plaignait que les partis empêchaient le pays de fonctionner, et qu’il en avait même honte. Avec les autres partis de la Vivaldi, il a mis sur le compte du MR la responsabilité de l’échec de cette réforme fiscale, et le ministre CD&V des Finances, Vincent Van Peteghem, pas vraiment le plus à gauche du conseil des ministres, a même accusé le MR de ne travailler «que pour une centaine d’électeurs riches».
Alors il a vraiment intérêt à ne pas entrer en vacances dès cette rentrée, Alexander De Croo. Il a des choses à faire qu’il devra de toute façon faire, et il devra s’y distinguer.
Le premier mardi d’octobre, il présentera son discours de politique générale après avoir, avec ses collègues du gouvernement, bouclé un accord sur le budget 2024. La loi l’y oblige. La trajectoire budgétaire impose de trouver d’ici là plus d’un milliard d’euros, en recettes et en dépenses, afin de réduire le déficit. C’est pour éviter de trop creuser ce déficit que le projet de réforme fiscale a été abandonné. Et dans l’espace de ce gros milliard, les ministres et les partis de la Vivaldi tenteront de s’engouffrer. Les uns pour trouver des manières de le résorber. Les autres pour obtenir ou conserver les moyens de mettre en œuvre une décision. Alexander De Croo pour montrer qu’il garde le contrôle.
Une réforme fiscale avec le budget?
On a déjà beaucoup discuté, en vain, de mesures d’économies dans les pensions, de procédés de remise au travail des inactifs, d’augmentation de la taxation sur le capital, dans le vacarme qui a précédé l’échec de la réforme fiscale. Il y a fort à parier qu’on reparlera de tout ça avant l’adoption du budget. Les verts, déjà, se promettent de redonner une chance à la réforme fiscale. «C’est la dernière occasion sous cette législature que nous aurons d’augmenter les salaires bas et moyens grâce à une réforme fiscale, et nous ferons tout pour y parvenir à l’occasion des discussions budgétaires, en effet», confirme le vice-Premier écologiste Georges Gilkinet. On ne sait jamais. Mais l’expérience de ces plus récentes années semble indiquer que la proposition provoquera un refus et des contre-propositions, et ensuite chacun s’accusera d’avoir bloqué celle de l’autre. Bref, on entendra encore, dans les semaines à venir, des «parti de la sieste» répondre à des «mouvements des riches».
C’est l’ordinaire du ministre pas encore tout à fait en campagne, mais déjà plus en vitesse de croisière: il essaie de faire passer des trucs qui le rendent sympathique, et s’il ne parvient pas à les faire passer, il dit que c’est à cause des autres, qu’il rend antipathiques. La probabilité que les collègues des autres partis valident la proposition d’un ministre est proportionnelle au profit politique que celui-ci peut en tirer. S’il peut s’en vanter, il n’a aucune chance de la faire adopter.
Prenons un exemple. Choisissez un ministre bien dodu, que ses camarades de l’exécutif aiment plutôt bien, un qui ne fait pas tellement d’histoires, dont les compétences ne sont pas trop polémiques, qui n’est pas le plus bruyant soldat de son parti et que l’actualité chaude a relativement épargné.
Prenons Mathieu Michel. Il est secrétaire d’Etat à la digitalisation, chargé de la simplification administrative, de la protection de la vie privée et de la régie des bâtiments. Il a été un peu secoué au début, parce qu’il était le fils de son père et le frère de son frère, puis on a ricané de son néerlandais et il a dû subir quelques revers autour de l’autorité de protection des données. Mais il n’a pas suscité de polémiques existentielles, et, pour cette raison, il espère encore avancer, d’ici à la fin de la législature, sur trois dossiers. Il a, dans ses bacs, un projet de loi sur l’open data pour l’accès aux données d’intérêt public, un autre sur l’intégrateur de services numériques de toutes les administrations et un autre, dit «sandbox», pour pousser la recherche et l’innovation dans certains nouveaux services digitaux. Adoptés, ces trois dispositifs, nous dit-il, faciliteraient la vie des citoyens, des entreprises, et des administrations. Les textes sont prêts, les discussions sont avancées, avec le secteur et même avec les partenaires de la majorité. Et ils ne coûteraient pas grand-chose.
Le problème de ces projets, ce n’est pas que ce sont les projets de Mathieu Michel.
Le problème des projets de Mathieu Michel, c’est le parti de Mathieu Michel.
Comme les six autres partis de la Vivaldi, et, plus particulièrement, comme les deux autres formations francophones de la majorité fédérale, le MR est pris dans un cercle vicieux. Parce que les libéraux ont dû renoncer à faire adopter des réformes à leur mode, ils doivent se contraindre à bloquer celles des autres, qui, comme ils sont dans la même situation, réagissent de la même manière. Alexander De Croo rêvait d’une coalition d’accords win-win, ce ne sont que des désaccords lose-lose. Un exemple qui concerne, tout autant qu’il le dépasse, un dossier de Mathieu Michel: le portefeuille numérique. Le secrétaire d’Etat s’était dit qu’on y placerait bien le permis de conduire. Mais c’était au moment où son parti bloquait sur le permis à points que proposaient d’autres partenaires. Alors les autres partenaires ont dit que c’était une bonne idée d’ajouter le permis de conduire au portefeuille numérique, mais à condition que ce soit un permis à points. Et donc on n’a rien fait, ni permis à points ni permis de conduire dans le portefeuille numérique.
Il a vraiment intérêt à ne pas entrer en vacances dès cette rentrée, Alexander De Croo.
La masse énorme de l’exécution
La dynamique lose-lose ne semble pas devoir s’inverser avant la fin de l’année, et les ministres fédéraux, s’ils vont encore beaucoup travailler, travailleront peu à convaincre leurs collègues de valider un de leurs projets. Ils s’occuperont surtout de mettre en œuvre les nombreuses décisions adoptées précédemment: un gouvernement, certes, adopte des nouvelles mesures. Mais, surtout, il les exécute. Il organise son administration en ce sens, et mobilise les secteurs, les citoyens, les entreprises et les services publics concernés. C’est le travail, énorme, de l’exécution, souterrain presque, beaucoup moins spectaculaire qu’une négociation nocturne ou qu’une conférence de presse bien léchée, mais, en réalité, bien plus volumineux dans une productivité ministérielle moyenne. Ce travail ne se mettra vraiment en veilleuse que dans les trois mois de campagne, et encore. C’est ce qui les énerve beaucoup quand on dit qu’ils ne travaillent pas en général, et qu’ils ne travailleront plus à rien cette année en particulier.
Ils travailleront d’ailleurs aussi beaucoup l’année prochaine.
Dès janvier 2024, en effet, la Belgique exercera la présidence tournante de l’Union européenne. Le semestre européen du gouvernement De Croo sera, bien entendu, aussi une partie de campagne. Il devra lancer définitivement la carrière politique de la ministre des Affaires étrangères, Hadja Lahbib, pour qui cette perspective de six mois de lumière continentale a été d’un efficace soutien, lorsqu’elle dut assumer avoir délivré des visas à des Iraniens extrémistes sans démissionner. Le programme des six mois a déjà, bien sûr, été négocié avec les sept partenaires, où par exemple, le PS a fort tenu à ce que s’organise un Conseil européen sur l’espace, terrain du secrétaire d’Etat Thomas Dermine, où Pierre-Yves Dermagne s’est échiné à faire convoquer un sommet informel «emploi et affaires sociales» à Namur, chef-lieu de sa circonscription fédérale, début janvier, et où Ecolo s’est bagarré pour faire présider par Marie-Colline Leroy un Conseil européen «genre et inégalités». Ce fut un rare exemple, dans les récents mois, d’une dynamique win-win qui servira Alexander De Croo. Elle s’enclencha pour le coup sur le dos des partenaires européens, qui iront où les Belges leur disent d’aller. Mais ne dites surtout pas que ça n’a pas été du travail ces derniers mois. Et que ça n’en sera pas l’année prochaine.
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