Les ambitions nationalistes de Bart De Wever ne disparaîtront pas lors de son accession au Seize, rappelle son frère Bruno De Wever. © BELGA

Bruno De Wever, historien: «Mon frère n’est pas entré en politique pour assainir les finances publiques de la Belgique»

Peter Casteels Journaliste freelance pour Knack

L’historien Bruno De Wever verra bientôt son frère devenir Premier ministre. Cette accession au Seize marque-t-elle un nouveau chapitre dans l’histoire du nationalisme flamand? «Le core business de la N-VA reste la dissolution de la Belgique», tranche le professeur à l’Université de Gand.

«Bartje premier, Bartje premier». Le soir des élections fédérales, une salle comble de militants N-VA survoltés accueillait Bart De Wever en héros lors de sa prise de parole. Les nationalistes flamands ont dû prendre leur mal en patience, mais sept mois plus tard, le miracle tant attendu s’est produit: l’Arizona voit enfin le jour, avec la N-VA comme parti principal et Bart De Wever aux manettes du pays.

Si, par le passé, un accord de coalition avec la N-VA sans réforme majeure de l’Etat semblait inenvisageable (on se souvient notamment de l’après-élections 2010), le gouvernement De Wever suscite cette fois l’enthousiasme des militants, malgré la relative absence de projets communautaires dans le texte.

Ce week-end marque donc un moment historique pour le nationalisme flamand, pour la N-VA et, bien sûr, pour Bart De Wever lui-même, qui s’inscrit pleinement dans ce courant politique. Bruno De Wever, l’un des historiens les plus célèbres de Flandre et frère du futur locataire du «Seize, Rue de La Loi», en saisit toute la portée. «Le fait qu’un nationaliste flamand anti-belge devienne Premier ministre du pays est un événement marquant, souligne l’historien. Bart est membre d’un parti dont l’objectif, inscrit dans ses statuts, est d’instaurer une Flandre indépendante, ou du moins aussi indépendante que possible. Mon frère avait déjà mérité sa place dans les livres d’histoire, mais cette fois, un chapitre entier lui sera consacré.»

D’ailleurs, un intellectuel comme Bart De Wever se préoccupe certainement de la manière dont il sera représenté dans les livres d’histoire. Veut-il qu’on se souvienne de lui comme de l’homme qui a remis de l’ordre dans la dette publique de la Belgique, à l’instar de certains de ses prédécesseurs? Ou comme du Premier ministre qui a fait de la Belgique un système confédéral et de la Flandre une entité presque indépendante? «Je suis sûr que c’est ce dernier point qui lui tient le plus à cœur, tranche Bruno De Wever. Mon frère n’est pas entré en politique pour assainir les finances publiques de la Belgique, même s’il a parfois plaisanté en disant que le VOKA était son patron. Le véritable objectif de la N-VA reste le nationalisme flamand.»

La N-VA a-t-elle franchi un cap ? Avant, le parti était incapable de faire accepter un accord de coalition sans volet communautaire à votre frère. Pourtant, au cours des sept derniers mois de négociations, il semble que cette dimension ait à peine été abordée.

Bruno De Wever: Cela m’amène à me demander ce qui se passera au niveau communal dans les prochaines années. Je crois que tout n’a pas été divulgué et qu’on pourrait encore découvrir certains accords informels. Il existe de nombreuses façons d’emprunter la voie du nationalisme, surtout pour le locataire du Seize. Je n’en sais pas plus que ce que je lis dans les journaux, mon frère et moi n’avons aucune conversation à ce sujet. Mais la réforme de l’État est devenue tellement technique que l’on peut trouver des moyens en coulisses pour continuer à démanteler la Belgique. Quoi qu’il en soit, je ne crois pas à une nouvelle fédéralisation des compétences.

«Même pour les nationalistes flamands, il est désormais clair que la Belgique ne peut pas se diviser», déclarait l’historien Herman Van Goethem au Knack le 30 janvier dernier. «Le nationalisme flamand repose sur une construction belge», estime-t-il. Qu’en pensez-vous?

Il n’y a rien de neuf dans la première affirmation. Dès que la Belgique s’est dotée d’une Constitution à la carte et que les amendements ont nécessité une majorité spéciale dans les deux groupes linguistiques, une telle scission par voie parlementaire est devenue presque utopique. Depuis lors, pas moins de six réformes de l’État ont été négociées, au cours desquelles de nombreuses compétences ont été divisées à chaque fois. Comme disait Hugo Schiltz (NDLR: vice-Premier ministre entre 1988 et 1991): «De trahison en trahison, nous nous dirigeons vers un État flamand.»

Bien sûr, depuis, la N-VA s’est agrandie et a attiré de nombreux nouveaux électeurs, mais cela n’a pas changé substantiellement son ADN. L’objectif principal reste la dissolution de la Belgique. C’est ce qui motive et engage la base de ce parti. Ces derniers jours, de nombreux journalistes ont visité la maison de mon frère. Dans le couloir, à droite, la première chose qui apparaît sur son mur est la Déclaration d’indépendance de la Flandre, rédigée par le Conseil de la Flandre en 1917. Pas de trace d’un poster du Voka…

Pour résumer, si votre frère devient Premier ministre, c’est parce qu’il a la certitude qu’il peut continuer à démanteler la Belgique.

Ce n’est pas ce que j’ai dit. Mais cette participation au gouvernement s’inscrit bel et bien dans la stratégie du parti pour mettre en œuvre ses objectifs nationalistes. Quant à savoir si cela aboutira, c’est une autre question. Je n’en sais rien, mais ils essaieront.

Je me permets de donner un exemple, peut-être insignifant mais en tout cas très symbolique: dans la première super-note, il était question de faire des économies à hauteur de 50 % dans les institutions scientifiques fédérales, telles que les Archives de l’État et la Bibliothèque royale. Je connais bien le domaine, j’y occupe encore des postes de direction: cela aurait signifié la mort de ces institutions. Dans un document ultérieur, les mesures d’économie ont été ramenées à 20 %, mais cela n’en demeure pas moins catastrophique. C’est un exemple très concret du démantèlement de la Belgique, avec des conséquences majeures sur l’historiographie du futur.

Le Centre d’Étude Guerre et Société (CegeSoma) des Archives de l’Etat avait lancé un projet sur l’historiographie de la résistance belge, pour répondre à une forte demande citoyenne. Mais cette initiative a été suspendue, faute de moyens. Peut-être que cette recherche se poursuivra bientôt au niveau flamand et sera intégrée dans un discours flamand, même si la résistance a bien sûr été belge et patriotique jusqu’au bout. Ces dernières années, le gouvernement flamand, avec la N-VA à la barre, a beaucoup insisté sur la construction d’une nation et d’une identité flamandes. Le Canon flamand en est un autre exemple, mais je m’étonne que les médias refusent de voir la stratégie qui se cache derrière ce projet.

Même si aucune réforme majeure de l’État n’est prévue prochainement, cela reste donc intéressant pour un nationaliste flamand d’occuper le poste de Premier ministre.

Oui, et Bart le sait. Cela traîne certainement dans un coin de sa tête.

Mais alors pourquoi la N-VA n’a-t-elle pas réussi à négocier un accord de coalition il y a 15 ans? Et pourquoi y parvient-elle aujourd’hui ?

Beaucoup de choses ont évolué ces dernières années. En Belgique francophone, la N-VA a longtemps été diabolisée. C’était la formation politique à abattre par tous les moyens. Maintenant que le Vlaams Belang réussit à s’imposer comme un parti de droite radicale en Flandre, et que des partis extrêmes apparaissent partout en Europe et aux États-Unis, la population considère davantage la N-VA comme un parti classique de centre-droit, avec lequel il est tout à fait envisageable de conclure des affaires. C’est une grande différence par rapport à il y a dix ans.

Maintenant que le Vlaams Belang réussit à s’imposer comme un parti de droite radicale en Flandre (…), la population considère davantage la N-VA comme un parti classique de centre-droit, avec lequel il est tout à fait envisageable de conclure des affaires.

Personne ne reproche d’ailleurs à la N-VA son absence d’avancées en termes communautaires. Bon nombre de ses électeurs n’en font pas leur préoccupation centrale, et le Mouvement flamand est devenu marginal. Même le Vlaams Belang, qui se revendique pourtant aussi du nationalisme flamand, ne semble pas en faire un enjeu majeur.

Le Vlaams Belang est davantage engagé dans la xénophobie et le racisme. C’est aussi une tradition du nationalisme flamand, et c’est payant électoralement, mais cela ne rend pas les politiciens du Vlaams Belang moins séparatistes pour autant.

En ce qui concerne le Mouvement flamand, cela fait longtemps qu’il n’est plus ce qu’il était. Il n’est d’ailleurs pas nécessairement anti-belge, c’est important de saisir cette nuance. Mais les six réformes de l’État ont rendu ce mouvement largement inutile: là où il exprimait les intérêts de la Flandre, c’est désormais le gouvernement flamand qui le fait. L’époque où des dizaines de milliers de personnes participaient au pèlerinage de l’Yser est donc révolue.

Tout n’a pas changé, bien sûr: je constate qu’un Wallon comme Georges-Louis Bouchez ne parle toujours pas suffisamment le néerlandais. Il s’est déjà attribué un rôle important dans le prochain gouvernement belge, mais il continue à ne parler que le français. On l’évoque peu, mais je pense que cela reste un sujet potentiel de discorde pour de nombreux Flamands.

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