Bruno Colmant et Olivier Mouton veulent refaire du Parlement un lieu de décision politique.

Contre la particratie: « C’est au Parlement que doit être formulé un projet de société »

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

L’économiste Bruno Colmant et le journaliste Olivier Mouton publient un livre d’échanges autour de 24 défis auxquels la Belgique sera confrontée. Les deux auteurs privilégient les solutions innovantes, mais veulent aussi en finir la particratie en réhabilitant le Parlement.

Les deux personnalités observent la vie politique et les orientations économiques du pays, intervenant régulièrement dans les médias, en fonction de leurs métiers respectifs. Ils avaient envie de franchir une étape supplémentaire en ajoutant leur pierre à l’édifice du débat public, autour de deux douzaines de défis majeurs auxquels la Belgique sera confrontée dans les années à venir. 

L’ouvrage La Belgique de demain. 24 défis pour un avenir commun se décline sous forme d’échanges d’idées, de constats d’échec et de pistes de solutions entre Olivier Mouton, journaliste pour Trends Tendances, passé par La Libre, Le Soir et Le Vif, et Bruno Colmant, économiste, professeur d’université et membre de l’Académie royale de Belgique. 

L’ouvrage s’inscrit dans la perspective de l’année électorale 2024, bien entendu, mais aussi celle du bicentenaire de la Belgique en 2030. “Le pays va faire face à une série de défis très importants dans les années à venir, du point de vue de l’identité de la Belgique, climatique, géopolitique, économique, etc. Autant de crises qui vont converger dans les années à venir”, explique Olivier Mouton.  

“Au terme des six années qui viennent, nous pourrons établir si la Belgique a réussi ou échoué à aborder une série de questions centrales”, poursuit Bruno Colmant. C’est ainsi que leurs échanges abordent des thématiques aussi variées que l’avenir du pays, les élections, la monarchie, l’environnement, les pensions, la fiscalité ou encore le budget, l’état de la Wallonie et de Bruxelles, établissant souvent ce constat que le champ politique belge se trouve aujourd’hui dans l’incapacité de fournir des réponses audacieuses et à la hauteur des enjeux. Et Bruno Colmant de citer en exemple les trois espoirs déçus de la coalition Vivaldi, pour illustrer le propos. « En temps de pandémie, les gens parviennent à se mettre d’accord. Il est dommage qu’on n’ait pas mis une période plus apaisée à profit pour avancer sur le problème gigantesque des pensions (NDLR : pour lesquelles ils prône un système d’allocation universelle), sur une réforme de notre fiscalité qui date de l’ère industrielle et sur la réforme du marché du travail, qui n’a pas réussi sa flexibilisation. »

Au terme des six années qui viennent, nous pourrons établir si la Belgique a réussi ou échoué à aborder une série de questions centrales.

Bruno Colmant

Les deux auteurs décochent aussi quelques flèches, singulièrement en direction du système politique belge fondé sur la particratie, au détriment d’un système où c’est au Parlement que s’exerce la démocratie.

« Les citoyens sont dans l’obligation de voter, mais une fois ce devoir effectué, l’aboutissement de leur vote ne leur appartient plus », illustre Bruno Colmant, qui plaide avec Olivier Mouton pour une vraie réhabilitation du Parlement comme espace de représentation du choix des citoyens et de prise de décision politique, aujourd’hui confisquée par les présidents de partis. « Quand on forme un gouvernement, le roi reçoit les présidents des partis. Pourquoi ne recevrait-il pas des parlementaires ? », interroge l’économiste.

Sensible, la question du cordon sanitaire est également posée. « Entendez-moi bien, mon grand-père était un grand résistant. Pour moi, les cadavres de la Seconde guerre mondiale sont encore tièdes », tient à préciser Bruno Colmant, qui veut éviter d’être mal compris sur sa posture face aux extrêmes politiques. « Mais que des partis établissent un cordon sanitaire au gré des humeurs, cela signifie qu’un tiers des élus au Parlement – si on se fie aux projections établies par le Crisp – seront d’office exclu de toute décision. Et on envoie comme message au citoyen que quoi qu’il vote, on ne s’en préoccupera pas ».

Que faire, alors, avec les partis extrémistes ? « Je ne leur suis pas favorable, évidemment. Ils peuvent être décrits comme non fonctionnants démocratiquement et ces gens peuvent être exclus naturellement du pouvoir, mais c’est au sein du Parlement que doit être formulé un projet de société. Par des gens élus directement par la population, dès lors qu’il s’agit d’un système proportionnel  à un tour. »

Quand on forme un gouvernement, le roi reçoit les présidents des partis. Pourquoi ne recevrait-il pas des parlementaires ?

Bruno Colmant

Parmi les pistes proposées, craignant l’avènement d’une nouvelle interminable période d’affaires courantes, Olivier Mouton défend l’idée d’une échéance à fixer pour la formation d’un gouvernement. « Si après six mois, on n’a pas de gouvernement, on va voter », résume le journaliste, qui estime que le politique ne doit pas craindre l’expression de la démocratie à travers les urnes.

Surtout, les coauteurs misent sur une valorisation de « l’intelligence collective » dans la prise de décision, à l’image, d’une certaine façon, du fonctionnement qui a prévalu en temps de crise sanitaire. Certainement pas sous l’angle du pouvoir exécutif tout-puissant au détriment du Parlement, qu’ils dénoncent volontiers, mais bien sous celui de la mise en commun des savoirs et du sens de l’intérêt collectif face aux enjeux, avec une certaine efficacité à la clé. Olivier Mouton s’étonne d’ailleurs que le Comité de concertation ne constitue pas un organe de mise en commun bien plus régulier, avançant l’idée d’un « Comité de coordination » comme espace de discussion au sein d’une Belgique fédérale ou confédérale à quatre régions.

« Je suis contre l’idée d’un gouvernement d’experts, explique Bruno Colmant. Mais ce dont on parle, c’est d’un ensemble qui intègre les élus, bien sûr, avec les citoyens et les spécialistes de certaines questions, qu’on retrouve aujourd’hui dans divers conseils supérieurs, par exemple. Ils devraient être plus présents dans la décisions politique. »

C’est cette approche basée sur le sens du collectif qui constituera le « cockpit indispensable, alliant efficacité et adhésion », comme le dit Olivier Mouton, pour répondre aux enjeux colossaux à venir. Et éviter, comme ils le redoutent, que la Belgique se transforme en « failed state », un Etat devenu défaillant.

« Aujourd’hui, les partis scient la branche sur laquelle ils sont assis, puisqu’ils partent du principe qu’un tiers des sièges au Parlement sont inutilisables dans la perspective d’une majorité, avec la montée des extrêmes. Il n’y aura peut-être pas d’autre choix que de faire une majorité avec tous les partis démocratiques. Et à force de reculer devant l’obstacle, on va se prendre le mur en pleine face. Cela semble vertigineux, mais le constat impose une mise à plat du mode de fonctionnement politique », estime Olivier Mouton.

Certains pays peuvent constituer des modèles intéressants, de leur point de vue. « Je pense aux pays protestants, donc les pays nordiques, les Pays-Bas, l’Allemagne, la Suisse aussi, om l’implication citoyenne est bien plus importante. Ce sont des pays dans lesquels la notion de communauté, de groupe, est plus importante. On y mise sur l’intelligence collective et ce ne sont pas des Etats dictatoriaux », si bien que le Plat Pays pourrait être bien inspiré d’en tirer le meilleur.

La Belgique de demain. 24 défis pour un avenir commun, par Olivier Mouton et Bruno Colmant, Mardaga, 224 p., 24,90€.

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