Les manifestantes d’octobre 2020 seront bientôt entendues. Du moins en partie… © BELGAIMAGE

Avortement: comment les affaires courantes profiteront très bientôt aux femmes

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

Dans les semaines qui suivront les élections du 9 juin, une majorité à la Chambre se dessinera, en affaires courantes pour adopter une nouvelle loi sur l’avortement, beaucoup plus libérale.

Il s’en était fallu de très peu en septembre 2020, mais ça devrait passer bien à l’aise en septembre 2024. C’est une conséquence des prochaines affaires courantes fédérales. A la fin de l’été prochain ou au début de l’automne à venir, il est pratiquement certain que la Belgique aura adopté une nouvelle législation, bien plus libérale, sur l’interruption volontaire de grossesse. En septembre 2020 en effet, une proposition de loi cosignée par des parlementaires de huit partis (DéFI, PTB, Ecolo, Groen, MR, Open VLD, Vooruit et PS) était sur le point d’être adoptée. Elle prévoyait notamment l’extension de la durée autorisée de douze à 18 semaines et la réduction à 48 heures du délai de réflexion de six jours imposé aux femmes. Une minorité, composée de quatre partis (CD&V, CDH, N-VA et Vlaams Belang) opposés à cette réforme, était parvenue à faire traîner les discussions jusque-là. Mais, parmi ceux-ci, le CD&V était indispensable à la constitution d’une majorité fédérale. Les sociaux-chrétiens flamands étaient la dernière des sept formations de la Vivaldi à accepter d’entrer en négociations, et l’abandon, par les six autres, de cette proposition de loi sur la libéralisation de l’IVG, fut une condition pour qu’ils rejoignent le futur gouvernement De Croo.

Dans son accord de gouvernement, la majorité s’engageait courageusement à continuer de discuter du dossier tout en promettant de consulter des experts qui confirmeraient ce que tout le monde savait déjà et en veillant à se respecter les uns les autres, c’est-à-dire à ne rien faire avant la fin de la législature courante.

«En ce qui concerne le traitement des propositions de loi sur l’avortement pendantes à la Chambre, il convient de poursuivre leur examen en commission justice de la Chambre, et – après qu’un comité scientifique multidisciplinaire indépendant (désigné par les partis du gouvernement) ait mené une étude et une évaluation de la pratique et de la législation – de continuer les travaux de manière constructive pour qu’un consensus se dégage entre les partis du gouvernement et dans l’attente, de ne pas procéder au vote», était-il écrit à la page 29, et c’était d’une très remarquable hypocrisie.

De douze à 18 semaines

Au printemps 2023, le comité, présidé par l’ancien recteur de l’ULB Yvon Englert (aujourd’hui candidat sur la liste fédérale du PS à Bruxelles) remettait un rapport qui ne surprenait personne. Les 35 experts étaient unanimes pour, notamment, étendre la durée autorisée de douze à 18 semaines et pour réduire le délai de réflexion imposé aux femmes de six jours à 48 heures.

On allait pouvoir se remettre à la discussion, ce que chacun fit semblant de faire sans le faire, et nous y voila: la Chambre sera bientôt dissoute et personne n’a procédé au vote sur un texte tout à fait prêt, soutenu par une majorité, et qui a épuisé toutes les voies dilatoires possibles.

Mais une nouvelle Chambre, issue des élections du 9 juin prochain, sera bientôt installée, et ses 150 députés se trouveront bien des choses à faire pendant les très longues et toutes prochaines affaires courantes. Ils retrouveront tous une forme de liberté. Et ils en useront pour faire avancer les textes les plus prêts, spécialement ceux soutenus par une majorité de députés et particulièrement ceux qui ont épuisé toutes les voies dilatoires possibles.

La Chambre sera bientôt dissoute et personne n’a procédé au vote sur un texte tout à fait prêt.

On ne connait pas encore le résultat des élections, donc on ne sait pas encore combien de députés chacun aura de son côté. Mais on est déjà certain qu’il se trouvera une majorité pour voter cette proposition de loi sur l’IVG. Dans les huit partis signataires, bien sûr, mais pas seulement, puisque depuis 2020 le CDH s’est transformé en Les Engagés, et qu’en devenant «mouvement participatif», la formation de Maxime Prévot offre désormais à ses députés la liberté de vote sur les questions éthiques. Peut-être qu’une poignée d’entre eux se rangeront au côté de cette prochaine et immanquable majorité d’automne.

Le MR laisse lui aussi, et depuis très longtemps, ses parlementaires se prononcer individuellement sur ces sujets, pour éviter de braquer ses ailes conservatrices et progressistes. Son président Georges-Louis Bouchez s’engage très clairement. En débat au Centre communautaire laïc juif David Susskind (CCLJ), le 11 avril, il a promis un vote de la proposition des huit partis, qui sera rapidement relevée de caducité, «pour septembre, octobre, au plus tard. Il y aura une majorité, et dans le groupe MR, on y sera très favorable. C’est plié», a-t-il assuré. Même s’il y aura encore des renvois au conseil d’Etat (N-VA, Vlaams Belang et CD&V n’y seront pas plus favorables en septembre 2024 qu’en septembre 2020), mais les affaires courantes devraient durer assez longtemps pour que la réforme aboutisse.

Il se trouvera une majorité pour voter cette proposition de loi sur l’IVG. Dans les huit partis signataires mais pas seulement.

Le nucléaire et la Palestine aussi

Tous ces parlementaires (ré)élus, libérés des contraintes gouvernementales ou oppositionnelles, ne s’occuperont pas que du ventre des femmes pendant les affaires courantes. Selon la géométrie variable de l’hémicycle, il n’est pas impossible que des majorités fort fluides se fixent sur d’autres questions ponctuelles. C’est même pratiquement certain. On reparlera à coup sûr, cet été déjà ou cet automne au plus tard, du troisième article de la loi de 2003 sur la sortie du nucléaire. On reparlera aussi, si rien ne se décide d’ici-là, de la reconnaissance par la Belgique d’un Etat palestinien. Et si ça dure, pourquoi pas encore des mois voire des années, comme c’est probable, le législateur libéré de tout accord de gouvernement pourra, peut-être, imposer à un exécutif en affaires courantes l’exécution de nouvelles législations, sur le modèle du «fonds blouses blanches» voté fin 2019.

Citons, au gré des fluctuantes majorités possibles, de bâbord ou de tribord, la limitation des allocations de chômage dans le temps défendue par la droite et le centre, majoritaires sur ce point, ou des hausses des budgets des soins de santé, de la justice ou de la police, défendues par la gauche et le centre, majoritaires sur ce point, voire même un allègement de la fiscalité sur les bas et les moyens salaires, défendu par tout le monde. On ne sait pas jusqu’où ira cette période de crise et de liberté parlementaire. Mais qu’importe où les affaires courantes mèneront le prochain Parlement fédéral, tout aura commencé par des législateurs libérés, décidés à s’occuper du ventre des femmes.

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