
Armement en Belgique, Theo Francken vs. Raoul Hedebouw: «Qui prépare la guerre ne récolte que la guerre»
La volonté du gouvernement fédéral d’augmenter le budget de la Défense anime des débats endiablés au Parlement. La N-VA et le PTB tiennent une rhétorique aux antipodes. «Qui veut la paix prépare la guerre », assure Theo Francken (N-VA), ministre de la Défense. «Qui prépare la guerre ne récolte que la guerre», avertit Raoul Hedebouw (PTB).
Le plan «ReArm Europe» à 800 milliards d’euros de l’Union européenne a bien été entendu par le gouvernement fédéral. Ni une ni deux, Theo Francken, ministre de la Défense (N-VA), a présenté sa feuille de route pour augmenter les dépenses de l’armée belge. «Nous devons passer d’une petite force militaire centrée sur les interventions expéditionnaires à une armée solide axée sur la dissuasion et les conflits de haute intensité», plaide-t-il pour légitimer sa politique. Un discours alarmiste présenté comme le seul choix du bon sens face à la crainte d’une Russie en crise expansionniste. Theo Francken veut investir massivement dans le secteur de l’armement à hauteur de 2% du PIB d’ici cet été contre 1,31% actuellement. Ce qui sortirait la Belgique de sa place de mauvaise élève face à la norme des 2% fixée par l’Otan en 2006. La N-VA souhaite aller plus loin avec un projet ambitieux d’une puissante armée belge et espère atteindre les 2,5% du PIB d’ici 2034. Theo Francken et la N-VA utilisent une rhétorique d’urgence, bercée par les déclarations des représentants militaires pour qui «nous ne sommes plus en paix».
Au Parlement, le PTB s’est érigé en unique parti à dénoncer cet argument de la nécessité à s’opposer aux plans d’armement de l’Europe et de la Belgique. Pour Raoul Hedebouw, la course à l’armement et la préparation à la guerre risquent de provoquer cette dernière. Une analyse que partage Christophe Wasinski, professeur en sciences politiques à l’ULB et expert en questions d’armement: «On peut difficilement donner tort au PTB. Si l’on veut la paix, il faut préparer la paix. Pas la guerre. L’armement rapide et massif de l’Union européenne risque de faire peur aux Russes. La réaction attendue est qu’ils s’arment davantage eux aussi. Jusqu’où ça ira? Je n’aime pas cette logique qui rentre dans celle de la guerre froide. Je le rappelle, mais cette dernière a pris fin grâce à la diplomatie et la politique. Ce n’est pas par les armes que l’on règle un conflit et qu’on installe une paix durable.»
Dans le dialogue de sourds entre la N-VA et le PTB, le premier voit l’Union européenne comme une faible entité militaire qui, en cas d’attaque de la Russie, verrait ses pays membres tomber un par un. Le second se concentre sur des chiffres bruts pour justifier son désaccord: un effectif de 1,5 million de soldats européens contre 1,3 million pour la Russie ou des dépenses militaires trois fois supérieures.
Une vision qui, pour Christophe Wasinski, est un peu biaisée et trompeuse: «Encore faut-il que les pays de l’Union européenne agissent ensemble. C’est beau de tout mettre en commun mais, je le rappelle, nous n’avons pas d’armée européenne. Seulement plusieurs petites armées étatiques qui, en l’état, ne font pas d’ombre à la Russie.»
L’armée joue le jeu de la N-VA
Theo Francken et sa politique d’investissement sont salués par les responsables de l’armée. Le général Frederik Vansina, au micro de la RTBF, déclarait que la Belgique n’est plus en temps de paix, mais pas non plus en guerre. Quelque part au milieu. Pour le militaire, ces investissements sont plus que bienvenus et totalement justifiés. Mais pour l’expert en politique d’armement Christophe Wasinski, Theo Francken et l’armée belge servent une rhétorique qui cache certains intérêts: «Il ne faut pas se faire avoir. Bien sûr que la Défense a intérêt à saluer une augmentation de leur budget. Qui refuserait un doublement des investissements pour son secteur? Ils ont tout à gagner à s’ancrer dans ce discours alarmiste. Dans les faits, nous ne sommes pas en guerre. Nous sommes en paix.»
Et en temps de paix, sur l’année 2024, l’Union européenne a dépensé 457 milliards de dollars dans sa défense, trois fois plus que la Russie avec ses 142 milliards de dollars. Des chiffres qui, si on les compare, ne semblent pas justifier le plan européen «ReArm» à 800 milliards d’euros. C’est ce que dénonce Christophe Wasinski, qui demande à la Belgique et aux pays européens de faire les choses dans l’ordre: «Je trouve ça dingue que l’on parle déjà de telles sommes, d’investissements colossaux, alors que nous n’avons toujours pas fait l’inventaire des stocks d’armes de l’UE. Avant de faire les courses, c’est quand même mieux de regarder ce qu’on a déjà, non?»
Mais cette vision est nuancée par Wally Struys, professeur émérite à l’Ecole royale militaire et spécialiste de l’économie de la Défense. Pour lui, l’analyse du PTB ne tient pas compte des réalités concrètes: «Dire que nous sommes trois fois plus forts que les Russes est trompeur. Ce n’est pas qu’une question de chiffres bruts. La Russie produit ses armes à un coût bien moindre. Une balle de fusil leur coûte huit fois moins cher. Leurs matières premières, leur main-d’œuvre, tout leur revient moins cher. Leur capacité de production est plus élevée, leur chaîne logistique plus autonome. Il faut relativiser nos budgets. Nos armées européennes sont morcelées en 27 ministères de la Défense qui se font concurrence. Une Europe militaire forte n’existe pas encore.»
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Francken croit encore aux USA
Theo Francken justifie son plan de financement par une volonté d’être autonome dans l’industrie de l’armement. Il veut investir dans les infrastructures belges et favoriser les échanges commerciaux avec les pays européens. Mais il se dit conscient que la relance d’une économie de l’armement solide et efficace en Belgique n’est pas chose aisée. En attendant, le ministre de la Défense compte bien faire appel une nouvelle fois aux Américains en achetant davantage d’avions de combat de type F-35. La Belgique en possède déjà 34, prêts au combat. Sa proposition est d’en obtenir jusqu’à douze de plus. D’un revers de la main, il balaye une certitude: «L’existence d’un mécanisme permettant aux Etats-Unis de désactiver à distance les F-35 belges est une légende urbaine.»
Pour Christophe Wasinski, le ministre se trompe totalement. «Il joue avec les mots. Non, il n’existe pas d’interrupteur magique. Mais pour faire voler ces avions, il faut des heures de maintenance pour une heure de vol. Ils sont très exigeants en maintenance. Si le fournisseur, donc les Etats-Unis, décide de ne pas effectuer les mises à jour, alors les F-35 sont totalement inutilisables.» Acheter américain sans dépendre de ces derniers: une contradiction que Theo Francken ne préfère pas relever pour le moment?
La Défense au prix du social?
«Chaque euro dépensé pour les armes, c’est un euro en moins pour les soins, les pensions, les salaires», martèle Raoul Hedebouw. Le chef de file du PTB accuse le gouvernement de privilégier les industries militaires au détriment du social.
Un argument qu’écarte Wally Struys: «Opposer la défense aux dépenses sociales est fallacieux. Le social et la santé représentent 52% du PIB. La défense, 1,31%. Ce n’est pas elle qui plombe nos finances, mais bien l’évolution des dépenses des Régions et des Communautés. Depuis 1995, les budgets sociaux ont explosé, tandis que ceux de la Défense n’ont cessé de baisser.»
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