Alexander De Croo va-t-il tuer l’Open VLD ? (analyse)
Alexander De Croo parviendra-t-il à réaliser ce qu’Elio Di Rupo et Charles Michel, avant lui, avaient pu éviter : faire disparaître son parti ?
Le Premier ministre tuera-t-il son parti ? L’interrogation est presque un marronnier du Vif, car la question est on ne peut plus récurrente. Avec une quinquennale régularité, tous les derniers locataires du 16 rue de la Loi ont mené leur formation à la défaite électorale. A chaque fois, cette défaite s’accompagnait de coûteux remous internes. Le Vif s’était demandé si Elio Di Rupo tuerait le PS en 2014, lorsque, relégué dans l’opposition fédérale par la coalition dite suédoise, il avait repris, peinard, la présidence de son parti. Le Vif s’était également demandé si Charles Michel tuerait le MR, en 2018, quand, vaincu aux communales d’octobre, il se préparait à reprendre la présidence de son parti pour mener une malheureuse campagne de président-Premier ministre en affaires courantes. Alors Le Vif se demande, en 2023, si Alexander De Croo tuera l’Open VLD l’an prochain. Et le Flandrien est bien mieux parti pour y parvenir que ses deux prestigieux prédécesseurs wallons.
Car leurs partis pensaient aller mal, et ils n’allaient pas bien, mais les sondages les situaient en Wallonie autour des 30 % pour le PS, et au-delà des 20 % pour le MR. L’Open VLD, lui, part déjà de beaucoup plus bas. Le dernier sondage Kantar-La Libre-RTBF place le VLD à moins de 9 %, à la dernière place des formations flamandes. C’est un plancher que les libéraux n’ont plus connu depuis les années 1950. Le VLD était le premier parti du pays en 1999 et 2003, il est aujourd’hui dans un tel état que le voir redépasser les 10 % en juin 2024 serait considéré comme une victoire.
Les partis, même grands, peuvent mourir. Plus encore quand ces grands partis sont devenus petits.
Les derniers mois ont été catastrophiques pour le parti du Premier ministre, qui avait juré de démontrer que la Belgique pouvait fonctionner. Le gouvernement d’Alexander De Croo n’a pas pu boucler une petite réforme fiscale qui aurait baissé la fiscalité sur le travail, et c’est sans doute le moins dysfonctionnel. Son parti, lui, ne fonctionne plus du tout. Car depuis le début de l’été, le président du parti d’Alexander De Croo, qui était un de ses deux meilleurs amis politiques, Egbert Lachaert, a démissionné et a été remplacé
par un inconnu, Tom Ongena, et le vice-Premier d’Alexander De Croo, qui était un de ses deux meilleurs amis politiques, Vincent Van Quickenborne, a démissionné parce que ses services ont gravement dysfonctionné et a été remplacé par un inconnu, Paul Van Tigchelt, parce que son parti est incapable d’encore vraiment bien fonctionner.
Alexander De Croo tuera-t-il donc l’Open VLD ? En tout cas, les partis, même les grands, peuvent mourir. C’est encore plus le cas pour les grands partis qui sont, comme le sien, devenus petits. Un chercheur américain, Charles Mack, a consacré plusieurs travaux à la mort de formations politiques. Il dégage deux critères déterminants pour enterrer un parti, décomposés en deux sous-critères.
- Primo, des dirigeants divisés entre eux et en décalage avec leur base et les évolutions sociologiques.
- Secundo, l’existence de concurrents idéologiquement proches et « pas trop usés par l’exercice du pouvoir », eux.
Voyons comment ces quatre caractères frappent d’une affliction létale le parti d’Alexander De Croo.
Des dirigeants divisés entre eux…
La tête du VLD est restée la même ces dernières années, c’est celle d’Alexander De Croo, président puis vice-Premier puis Premier, en gros toujours patron de son parti depuis sa victoire à la présidentielle interne de 2009. Elle est restée la même mais elle a énormément bougé. Alexander De Croo est devenu président en réclamant un durcissement de la ligne sur le communautaire, sur la migration et sur l’économie, alors que les plus conservateurs des libéraux flamands avaient été aspirés par la fugace Liste Dedecker, fondée par Jean-Marie Dedecker après qu’il eut échoué à prendre, en 2005, la présidence de l’Open VLD, et puis par la beaucoup plus durable N-VA. Le parti s’est ensuite, sous la présidence de Gwendolyn Rutten, vaguement réorienté vers un libéralisme à la fois économique (sur la fiscalité) et culturel (sur le féminisme et sur la migration). Virage qu’incarna, avec son essai Le Siècle de la femme, l’alors fringant Alexander De Croo.
Mais après ça, contre Gwendolyn Rutten qui voulait gouverner dans cette veine, avec les verts et sans la N-VA, Alexander De Croo poussa très fort pour que son copain Egbert Lachaert soit élu, au printemps 2020, président de leur parti, avec une ligne dite « donker blauw », d’un libéralisme plus dur sur l’économie, plus raide dans les guerres culturelles, plus flamand sur le communautaire, qui ne pouvait conduire qu’à une alliance avec la N-VA. Puis Egbert Lachaert et Alexander De Croo ont fait exploser les négociations entre le PS et la N-VA à l’été 2020 en s’associant aux écologistes, pour composer une coalition qui, parce qu’elle était dirigée par Alexander De Croo, pouvait, pensaient-ils, se montrer moins libérale sur l’économie, moins conservatrice sur les guerres culturelles et plus belge sur le communautaire.
Les libéraux flamands enchaînent, avec un désespérant brio, un Grand Chelem de morbidité partisane
Alexander De Croo est donc, dès le départ, assez divisé entre lui-même avant tout. En conséquence, son parti montre une infinité de tensions sur la ligne, et égrène tout un bottin de départs plus ou moins affirmés depuis quelque temps. La Brabançonne Eva De Bleeker s’est éloignée lorsque le Premier lui a reproché ses tableaux budgétaires erronés. La Bruxelloise Els Ampe a quitté le parti lorsque Tom Ongena est devenu président, l’autre Brabançonne Gwendolyn Rutten a annoncé abandonner la politique nationale lorsque l’Anversois Paul Van Tigchelt est devenu ministre, le Limbourgeois Patrick Dewael a dit vouloir siéger désormais à la Chambre comme indépendant, l’Alostois Jean-Jacques De Gucht et l’Ostendais Bart Tommelein veulent boycotter le bureau du parti et une autre Brabançonne, la bekende Vlaming Goedele Liekens, a déjà juré de ne plus jamais se présenter sur une liste Open VLD.
… et en décalage avec leur base…
Le grand VLD des années 1990 et 2000, celui de Guy Verhofstadt, était parvenu à rassembler des conservateurs très à droite et des progressistes fort peu conservateurs, ainsi que des Flamands fort avancés et des nostalgiques de la Belgique unie – on appelait « Pest Voor Vlaanderen » le PVV des années 1960 et 1970. La base conservatrice étant largement partie, il ne reste plus à l’Open VLD qu’une assise composée de libéraux alimentaires – les mandataires, les cabinettards, leur entourage – et d’électeurs plutôt indépendants et cadres, assez divisés sur la question migratoire mais néanmoins beaucoup plus ouverts que la base du concurrent N-VA et de l’ennemi Vlaams Belang.
… aux prises avec des concurrents plus crédibles…
L’Open VLD de 2019 avait perdu près de cent mille électeurs depuis 2014. Beaucoup de ceux-là ont voté pour la N-VA, compensant en partie ceux qui avaient choisi la N-VA en 2014 et l’avaient abandonnée pour le Vlaams Belang en 2019. Ce mouvement décennal avait été entamé en 2010, après la tatouille infligée aux libéraux après qu’Alexander De Croo, jeune président libéral, a provoqué des élections législatives anticipées sur la scission de l’arrondissement Bruxelles-Hal-Vilvorde. Depuis, la formation de Bart De Wever est, c’est un fait, plus encline que celle de l’actuel Premier ministre à accueillir les centaines de milliers de Flamands de droite qu’effraie encore le Belang.
… et pas trop usés par l’exercice du pouvoir
Les libéraux flamands sont au pouvoir au fédéral depuis 1999 sans discontinuer. Ils n’ont siégé qu’entre 2009 et 2014 dans l’opposition régionale flamande. Les laids compromis du pouvoir, présentés en Flandre, où médias et partis tirent vers la droite, comme de hideuses concessions à la gauche wallonne, ont réduit l’électorat de l’Open VLD à un tiers de ce qu’il était en 2004. C’est précisément une faute dans l’exercice de son pouvoir que Vincent Van Quickenborne a payée. L’usure de l’Open VLD l’expose d’autant plus aux critiques que les partis flamands de l’opposition conservent une apparente fraîcheur : le Vlaams Belang parce qu’il n’ira jamais au pouvoir au fédéral, la N-VA parce que, même quand elle est au pouvoir au fédéral, elle s’oppose au pouvoir fédéral.
Les libéraux flamands enchaînent ainsi, avec un désespérant brio, un Grand Chelem sur les quatre critères de morbidité partisane décrits par Charles Mack. Trois politologues de l’UGent – Jasmien Luypaert, Benjamin de Vet et Bram Wauters – posaient, eux, une équation à trois inconnues dans l’ouvrage collectif Les Partis politiques en Belgique (Editions de l’ULB, 2021) : « En somme, les défis auxquels l’Open VLD est confronté dans les années à venir sont au nombre de trois : maintenir un profil suffisamment clair tout en étant au gouvernement, avoir un positionnement cohérent face à la N-VA et le Vlaams Belang offrant au parti un profil singulier pouvant attirer suffisamment d’électeurs, et traiter la question migratoire, source potentielle de division dans le parti. » Leurs inconnues de 2021 sont des certitudes en 2023, le parti d’Alexander De Croo a échoué dans son triple défi.
A trois inconnues ou à quatre critères, les comptes de l’Open VLD affichent un résultat constant. Ce résultat, il est nul.
- Elio Di Rupo
- PS
- Charles Michel
- MR
- Le Vif
- Alexander De Croo
- Open VLD
- Vincent Van Quickenborne
- Egbert Lachaert
- Tom Ongena
- Paul Van Tigchelt
- Liste Dedecker
- Jean-Marie Dedecker
- N-VA
- Gwendolyn Rutten
- Els Ampe
- Patrick Dewael
- Guy Verhofstadt
- Vlaams Belang
- Bart De Wever
- UGent
- Jasmien Luypaert
- Benjamin de Vet
- Bram Wauters
- ULB
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici