Alexander De Croo, l’homme qui ne respectait pas ses propres deadlines
Alexander De Croo avait promis un accord avec Engie sur la prolongation du nucléaire avant le 31 décembre. Les discussions sont toujours en cours. Une énième deadline que le Premier ministre n’est pas parvenu à respecter…
Le jeudi matin, le gouvernement tombait et Alexander De Croo, jeune président de l’Open VLD, entrait dans l’histoire politique de la Belgique comme intransigeant traceur de lignes de la mort.
On était le jeudi 22 avril 2010.
Alexander De Croo présidait son parti depuis trois mois à peine. Le roi Albert II avait chargé Jean-Luc Dehaene d’une mission de déminage sur la scission de l’arrondissement électoral de Bruxelles-Hal-Vilvorde.
Le futur Premier ministre avait posé une énorme mine sur les pas de l’ancien, et la dilection d’Alexander De Croo pour la deadline précipitait le pays dans des élections anticipées dont sa formation sortirait méchamment perdante.
Il voulait alors un accord pour le mercredi soir, sinon ça allait barder. C’était aussi pour lui une façon de redonner une crédibilité à l’autorité politique, à une époque où le prétendu fossé entre le soi-disant citoyen et le fantasmé monde politique s’était gravement creusé. C’était également une manière de se positionner. A minuit, ce soir-là, les négociateurs devaient bien le constater: la deadline était atteinte, et la dernière chance qu’Alexander De Croo avait lui-même imposée était passée. C’était fini. «Alea jacta est», dirait, sur Twitter, son copain Vincent Van Quickenborne.
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Etait-ce parce que ça lui avait alors si peu réussi?
Poursuit-il depuis lors la quête opiniâtre d’une revanche sur ces vilaines deadlines?
Ou bien est-ce une méthode qui ne fonctionne pas mais qu’il retente jusqu’à ce qu’elle réussisse?
En tout cas, depuis qu’il a endommagé son parti en faisant glisser tout le monde sur une limite trop fermement posée, Alexander De Croo n’a eu de cesse de planter bravement des barrières temporelles qu’on ne pourra jamais franchir mais que toujours, piteusement, il traverse l’air de rien.
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Sinon? La réquisition?
Le Premier ministre en avait dessiné une bien visible, de deadline, ce samedi 31 décembre à minuit: il fallait qu’il ait signé un accord avec Engie-Electrabel, propriétaire et exploitant des sept réacteurs nucléaires belges, pour la prolongation de dix ans des deux réacteurs les plus récents, Doel 4 et Tihange 3, voués à être éteints en 2025.
Sinon? Sinon, on pourrait utiliser un article du code de droit économique permettant la réquisition d’infrastructures par l’Etat, avait dit Paul Magnette, même Georges-Louis Bouchez n’avait pas dit non, et les études juridiques avaient été entamées.
Et aussi, sinon, le gouvernement Vivaldi, affaibli jusqu’à l’atonie, et déchiré sur tant d’autres sujets, n’y aurait probablement pas résisté – le MR, d’ailleurs, considère depuis juin dernier que la ministre Groen Tinne Van der Straeten n’est plus vraiment négociatrice.
Or, samedi 31 décembre à minuit, la deadline était en train d’être atteinte et la dernière chance qu’Alexander De Croo avait lui-même imposée avec Tinne Van der Straeten était proche d’être passée. C’est alors qu’il a fait diffuser, en fin d’après-midi, un communiqué expliquant mine de rien mais piteusement tout de même qu’un délai était encore «nécessaire pour parvenir à un accord qui satisfait entièrement les deux parties», et que «le gouvernement fédéral et Engie ont, dès lors, décidé de prolonger les discussions en cours dans les prochains jours. L’objectif reste d’aboutir rapidement».
L’énième deadline d’Alexander De Croo n’avait, une fois de plus, pas été respectée et ça n’avait même plus l’air si grave que ça. Cette fois, ce n’était pas à l’intérieur de sa coalition qu’on ne s’accordait pas.
Ici, il discute encore avec Engie, le Premier ministre, car deux questions restent en friction: la garantie de la société- mère, française, plutôt que d’une de ses filiales, éventuellement codétenue par l’Etat belge, pour assumer le coût du démantèlement, et ensuite le lien, que la Belgique veut maintenir, entre un plafond des sommes dégagées par Engie pour le stockage et le traitement des déchets nucléaires et la relance effective des deux réacteurs prolongés.
Peut-être parce que, sur cette question spécifique du nucléaire, Alexander De Croo et son gouvernement ont brillé par l’absence systématique de respect des limites posées par eux-mêmes. L’ accord de gouvernement bouclé le 30 septembre 2020 prévoyait déjà que la Vivaldi choisisse, en novembre 2021, de prolonger les deux réacteurs les plus récents si la stabilité des prix et la sécurité d’approvisionnement n’étaient pas garanties, ou bien de les déconnecter du réseau en 2025 comme prévu. Fin décembre 2012, après d’infinies querelles, la Vivaldi décidait qu’elle se donnait une nouvelle deadline pour être vraiment sûre, c’était début mars 2022. L’extinction, en décembre, était en fait assurée. Une invasion de l’Ukraine plus tard, la prolongation, en mars, devenait certaine.
Elle s’encadrerait de lourdes deadlines ignorées à la seconde de leur systématique dépassement: une lettre d’intention non contraignante était prévue pour juin. Elle ne fut signée que le 21 juillet.
Le «joint development agreement», le document final, alourdi de milliers de pages d’annexes, devait suivre en septembre.
Rien ne se produisit en septembre.
Alors Alexander De Croo et Tinne Van der Straeten promirent qu’il serait signé le 31 décembre.
Il n’est donc toujours pas paraphé.
Et la fiscalité? Les pensions?
La réforme fiscale non plus, qui devait être présentée au printemps 2021 et dont la présentation fut reportée à l’été, avant d’être reproposée en octobre puis d’être attendue pour décembre avant de se voir repoussée au mois de mars.
Un peu comme la réforme des pensions, que Karine Lalieux (PS) avait diffusée à la rentrée 2021 et qu’Alexander De Croo avait retoquée au printemps suivant, où elle fut agendée pour le mois de juin 2022, avant d’être adoptée sous une forme fort atténuée en juillet 2022 et d’être remise à l’agenda fin décembre par Alexander De Croo sans l’avis de la ministre des Pensions mais on en reparlera en mars 2023.
On dirait même que c’est une marque de fabrique, ou bien plutôt un vice de construction, d’Alexander De Croo et du gouver- nement qu’il dirige tant bien que mal: Alexander De Croo se donne une deadline et puis il ne la respecte pas. Lorsqu’il était coformateur, en septembre 2020, Alexander De Croo avait déjà demandé un délai de quelques jours au roi, parce qu’il n’avait pas pu terminer sa mission à temps. Fin 2020, celui dont la carrière politique avait commencé en 2010 sur une deadline non respectée, mais à laquelle il s’était tenu, donnait une interview à Sport/Foot Magazine.
«Sans pression, c’est plus difficile pour moi. J’aime les deadlines, j’ai toujours été comme ça», il disait.
Mais comment alors les traiterait-il, ces deadlines, s’il ne les aimait pas?
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