Accord sur l’accueil des demandeurs d’asile : « La Vivaldi cherche à ne plus paraitre laxiste » (interview)
Cette nuit, le gouvernement s’est mis d’accord sur plusieurs mesures pour tenter de résoudre la crise de l’accueil qui sévit en Belgique depuis plusieurs mois. Les demandeurs d’asile ne dormiront plus dans des tentes, mais la question migratoire, présente depuis 2015, est elle loin d’être réglée. Eclairage avec Marco Martiniello (ULiège), spécialiste de la sociologie des migrations.
Création de 2000 places d’accueil supplémentaires, expulsion d’un centre en cas de demande d’asile refusée, plus d’enfants dans les centres fermés… Cette nuit, le gouvernement a entériné l’accord sur l’accueil des demandeurs d’asile, qui contient une batterie de mesures visant à résoudre la crise de l’accueil. Pour Marco Martiniello (ULiège), spécialiste de la sociologie des migrations, une solution d’urgence a été trouvée mais il faudra autre chose sur le long terme pour sortir de cette crise.
Quelle a été votre première réaction ce matin, en découvrant l’accord sur l’accueil des demandeurs d’asile ?
On présente ça comme un accord historique alors que cet accord sur l’accueil des demandeurs d’asile a été acquis après de longues négociations au bout de la nuit, après une séance marathon. C’est un accord qui est typiquement belge, fait de compromis. On met en valeur une carotte mais derrière les bâtons sont quand même très très forts. Quoi qu’en dise la secrétaire d’Etat Nicole De Moor, on est de nouveau dans une gestion réactive et non proactive de la crise de l’accueil. Je le dis souvent mais je trouve que c’est assez juste : ‘gouverner, c’est prévoir’. Et pour le coup la crise de l’accueil n’est pas nouvelle, elle a commencé en 2015. Huit ans plus tard intervient cet accord, qui n’est pas révolutionnaire. On reste dans une même lignée pour la politique de l’asile et de la migration belge.
Il y a quand même du positif dans cet accord ?
Oui, deux mesures en particulier. Tout d’abord, je trouve ça bien qu’il y ait enfin une solution pour ces centaines de personnes qui dormaient dans la rue à quelques pas de la capitale de l’Europe. Cette situation était intolérable et l’image de Bruxelles à l’étranger en a beaucoup souffert. Ensuite, le gouvernement a réaffirmé qu’on ne placerait plus d’enfants dans des centres fermés. Je trouve déjà le concept de centre fermé très limite, mais alors quand il s’agit d’enfants cela devient vraiment inacceptable. La Belgique peut se réjouir de ces deux mesures mais je tiens à tempérer les réjouissances : cela reste de la politique court-termiste.
Vous voulez dire que peu importe le gouvernement, la gestion du portefeuille de l’Asile et de la Migration reste la même ?
Absolument. Que ce soit Maggie De Block, Theo Francken, Sammy Mahdi ou maintenant Nicole De Moor, la gestion du dossier évolue peu. Il y a des nuances, certes, mais la philosophie reste sensiblement la même. C’est celle d’une politique d’accueil à deux vitesses : les Ukrainiens d’un côté, et le restant de l’autre. On peut l’expliquer de différentes manières mais en tout cas, cela me parait clair que toutes les personnes qui arrivent en Belgique ne sont pas traitées de la même façon. À l’heure actuelle, votre couleur de peau ou votre région d’origine détermine encore vos chances d’obtenir une place d’accueil dans notre pays. C’est préoccupant, mais moins que ce qui se passe pour le moment au Royaume-Uni. Là-bas ils outrepassent toutes les règles internationales en matière d’asile. Nous n’en sommes pas encore là chez nous.
La philosophie reste sensiblement la même. C’est celle d’une politique d’accueil à deux vitesses : les Ukrainiens d’un côté, et le restant de l’autre.
Revenons à l’accord sur l’accueil des demandeurs d’asile survenu cette nuit. En quoi il vous dérange ?
On dit qu’on va faciliter le renvoi, volontaire ou assisté. Avec cet accord sur l’accueil des demandeurs d’asile, le gouvernement veut créer de nouvelles places et en libérer d’autres en sortant toute une série de personnes des centres ouverts notamment. À terme, ne va-t-on pas reproduire la même situation ? Si des personnes doivent quitter le territoire mais qu’elles refusent l’accompagnement vers un autre pays, comment le gouvernement va procéder ? Le risque est que ces personnes qui se sont vues refuser l’asile viennent augmenter les rangs des sans-papiers en Belgique. Seul l’avenir nous dira comment la situation va évoluer.
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700 places supplémentaires seront créées dans des conteneurs. Que pensez-vous de cette solution ?
Écoutez, personnellement si je demandais l’asile dans un pays je n’aimerais pas être accueilli dans un container ! Mais vous savez, il y a déjà des demandeurs d’asile qui se trouvent dans des containers sur le territoire belge. Ils sont entassés dans des espèces de villages prévus à cet effet. Ici on veut en installer des nouveaux, mais il faudrait déjà voir où. Certaines communes refusent leur implantation sur leur territoire. Et puis je ne sais pas à quel point ces containers sont confortables. Au fond, ce n’est pas la question la plus importante. Le plus important est que les demandeurs d’asile disposent de conditions de vie dignes. Je pense par exemple à l’hygiène, qui doit être suffisante. Il faut bien se rendre compte que même avec une douche et un logement, ces personnes ne mènent pas une vie ‘normale’. Elles sont à des milliers de kilomètres de leur pays d’origine et ont été poussées à le quitter d’une manière ou d’une autre.
Pourquoi placer certains demandeurs d’asile dans des conteneurs ? Il n’y a pas assez de bâtiments publics pour les installer ?
Certains vous diront que peu de bâtiments publics rassemblent les conditions nécessaires pour accueillir ces demandeurs d’asile. Je connais leurs arguments par cœur : « ça coûte cher », « il faudrait faire des travaux », etc. Evidemment, je peux comprendre que les circonstances budgétaires ne sont pas les meilleures après la crise sanitaire et l’envolée des prix de l’énergie. Ces facteurs externes peuvent expliquer certains choix posés en matière d’asile et de migration.
Si un demandeur d’asile voit sa demande refusée, il devra quitter le centre qui l’accueille endéans les 30 jours. Quel impact cela va avoir selon vous ?
Il y a des demandeurs d’asile qui ne sont pas en mesure de rentrer dans leur pays d’origine, voire même dans le premier pays européen par lequel ils ont transité. Le risque est qu’une grande partie de ces personnes disparaissent en quelque sorte dans le tissu social, se fondent dans la masse des sans-papiers. Et on sait très bien comment cela se déroule dans ces cas-là. Ils vont peut-être travailler, oui, mais en black dans un restaurant qui les exploite. On pourrait au fond résumer la situation avec cette question : l’accord va-t-il résoudre la question de l’accueil ou renforcer un problème préexistant, à savoir celui des sans-papiers ? J’ai l’impression qu’on applique une logique de vase communicant, à savoir qu’on vide certains centres pour les remplir à nouveau après. Mais les personnes qui en sont sorties, où vont-elles finir ?
La solution sur laquelle table la majorité Vivaldi est la coopération au retour de ces personnes dans leur pays, que le gouvernement souhaite inscrire dans la loi. 1000 demandeurs d’asile seraient concernés par un éventuel retour.
Je suis sceptique de l’efficacité d’une telle mesure. Jusqu’ici preuve en est que ça n’a pas bien fonctionné. Mille personnes, c’est beaucoup ou pas beaucoup en fonction de l’échelle que vous prenez. Quoi qu’il en soit, supposons que ces 1000 demandeurs d’asile soient expulsés du territoire belge, résoudrait-on pour autant la crise de l’accueil ? Je ne le pense pas.
L’objectif du gouvernement est que le droit à l’accueil soit respecté pour tous les demandeurs d’asile d’ici l’hiver 2023-2024, soit dans un an. Un objectif atteignable avec l’accord sur l’accueil des demandeurs d’asile ?
N’oublions pas que nous sommes déjà en précampagne électorale. Il faut interpréter chaque déclaration politique avec cette grille de lecture-là. Concernant la politique de l’accueil, je ne suis pas très optimiste. Il y a un éléphant dans la pièce dont personne ne parle et qui ne se retrouve pas dans l’accord : la régularisation. Pourtant cet outil pourrait faire partie de la solution à cette crise de l’accueil. Mais Sammy Mahdi (prédécesseur de Nicole De Moor à l’Asile et à la Migration et président du CD&V, NDLR.) n’en voulait pas, tout comme le gouvernement actuel n’en veut pas. On préfère appliquer une rustine plutôt que de résoudre réellement cette crise. À mon sens, la Vivaldi cherche avec cet accord à éviter de paraitre laxiste sur cette thématique. Mais beaucoup de mesures sont restrictives, comme concernant le regroupement familial, et aucune idée de fond quant au profilage de la Belgique comme une terre d’immigration et d’accueil. Pourtant, notre pays va continuer à suivre cette tendance, comme tous les autres pays européens d’ailleurs. Il va falloir arrêter de réagir sans cesse, pour réellement agir sur cette question.
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