59 femmes bourgmestres en Wallonie et à Bruxelles: un record, mais… une féminisation en trompe-l’œil
Si leur représentation augmente dans les conseils communaux, le nombre de femmes bourgmestres évolue lentement. Elles seront 59 en Wallonie et à Bruxelles. Elles étaient 47 avant les élections.
Le temps passe, les textes se succèdent, mais le constat demeure: les communes restent des bastions masculins. Pourtant, les avancées législatives imposant la parité, en 2006, et l’alternance des deux genres sur une même liste, en 2018, ont payé. Si bien que les conseils communaux comptent à peu près autant de femmes que d’hommes. A Bruxelles, par exemple, on atteint 49,2% d’élues, contre 48,8% en 2018 et 41,5% en 2012. Au fil de la campagne, la présence de femmes, sortantes ou têtes de liste en conquête, s’est aussi affirmée, notamment à travers de l’image; dans de grandes entités comme Mouscron et Courcelles, l’élection s’est jouée entre des candidates, plutôt que des candidats.
Pourtant, note Audrey Vandeleene, politologue au Centre d’étude de la vie politique (Cevipol) de l’ULB, «si la parité quantitative a bien eu lieu, le partage effectif du pouvoir, lui, se fait attendre». Au scrutin communal de 2024, les femmes demeurent en effet minoritaires aux positions où se concentrent les responsabilités: elles représentaient 28% des têtes de liste à Bruxelles –une proportion identique à celle de 2018– et 30% en Wallonie –en progrès par rapport à 2018, où elles n’étaient que 22%. L’engagement féministe, comme la parité, reste marqué chez les écologistes: sur les listes présentées par Ecolo, 45% sont des femmes. Le PS et Les Engagés affichent une part comparable, soit 32%, tandis que le MR atteint la moyenne. A l’autre bout du spectre politique, les listes étiquetées DéFI et PTB sont 29% et 28% à être menées par une femme, alors que les listes Team Fouad Ahidar n’en comptent aucune.
Or, la pole position et le degré de visibilité des femmes au sein des listes constituent des facteurs de première importance. En effet, lors de l’élection, les premiers ont plus de chances d’être élus dans les conseils communaux que les suivants et, in fine, d’obtenir les voix de préférence, le sésame pour décrocher le maïorat.
«On aurait pu espérer une évolution plus importante à l’issue du dernier scrutin.»
Audrey Vandeleene
Politologue
Une rotation plus lente
L’échelon local constitue ainsi le point noir de l’égalité des genres en politique. «La féminisation progresse un peu à l’issue des dernières élections, mais on aurait pu espérer une évolution plus importante», observe Audrey Vandeleene, tout en notant qu’au sein des autres assemblées et exécutifs la parité est quasi atteinte.
A Saint-Ghislain, Florence Monier est ainsi devenue la première femme à accéder au maïorat, rompant une chaîne de succession d’hommes. A Boussu, les clés de la commune ont également été confiées à une femme, Sandra Narcisi. De plus petites collectivités sont concernées. A Bouillon, Marie-Julie Nemery est la première bourgmestre de l’entité. Même chose pour Geneviève Bernard-Rolans, élue à Donceel, dans la province de Liège. Ou pour Patricia Poncin, à Daverdisse, dans celle du Luxembourg.
Le mouvement reste toutefois «modeste» et la féminisation «encore faible». A la veille du 13 octobre, les femmes étaient 46 à diriger une commune wallonne, sur 262 entités. A Bruxelles, c’était encore moins: on ne comptait qu’une seule maïeure élue (trois sont arrivées en cours de mandat et une autre suppléait son bourgmestre empêché). Aujourd’hui, elles seront 56 à ceindre l’écharpe maïorale en Wallonie et trois à Bruxelles. La conséquence logique du faible nombre de femmes têtes de liste, évidemment. Mais pas que.
«Le scrutin communal est une élection moins idéologique et très personnalisée», souligne Audrey Vandeleene. Les mandats ont tendance à être davantage successifs. Les maïeurs sortants –souvent masculins– ont du mal à céder leur place. Certains demeurent longtemps à leur poste, parfois 30 ans, voire plus. Sans compter le degré d’indépendance du niveau communal (NDLR: les sections locales disposent d’une grande autonomie) qui constitue également un élément clé. Résultat: une rotation nettement plus lente qu’à d’autres niveaux de pouvoir où, à chaque élection, le taux de renouvellement du personnel politique s’élève à près de 50%.
Ensuite, le mode de désignation des bourgmestres joue également. En Wallonie, est désigné bourgmestre celui ou celle qui obtient le plus de voix de préférence sur la liste la plus plébiscitée. A Bruxelles, en revanche, on fonctionne toujours par négociations entre les différents partis formant une majorité. «Or, de nombreux bourgmestres sortants choisissent eux-mêmes leur héritier, plus souvent masculin. Et ces successeurs désignés font parfois moins de voix que certaines femmes de la même liste», remarque Audrey Vandeleene. Enfin, dans des communes moins peuplées, les conseils comptent, en proportion, moins d’élus. Lorsqu’une liste obtient un seul élu, il s’agit très souvent d’un homme, plus fréquemment en tête de liste.
«Les partis politiques donnent encore trop peu de place aux femmes par rapport aux hommes.»
Audrey Vandeleene
Politologue
A la tête de petites communes
Les bourgmestres féminines dirigent surtout de petites entités. Pour près de deux tiers d’entre elles, il s’agit de communes de moins de 10.000 habitants. Elles sont à peine cinq, à Bruxelles et en Wallonie, à la tête d’une collectivité de plus de 50.000 citoyens. Les cinq plus grande villes wallonnes restent aux mains d’hommes. Pour Audrey Vandeleene, cela démontre encore la «difficulté d’intégrer la dimension genrée dans les lieux où le pouvoir est le plus concentré». «Les grandes villes offrent sans aucun doute davantage de visibilité, d’action, de moyens financiers, de liens avec les autres niveaux de pouvoir, poursuit la politologue. S’y présenter exige d’être ambitieux. On voit ainsi des candidats déménager pour assouvir cette aspiration. Sans oublier que cela représente un job à temps plein.»
Les femmes seraient-elles moins concernées, moins ambitieuses? Ce n’est en tout cas pas une question de désintérêt de leur part, ni de motivation. Toutes les études démontrent que l’échelon local reste, à leurs yeux, le plus attractif. En revanche, il faut les pousser. Ici encore, les études constatent qu’elles se freinent beaucoup. Elles sont ainsi moins nombreuses que les hommes à se porter candidates de leur propre initiative. Lorsqu’elles décident de se présenter, c’est généralement parce qu’elles y ont été encouragées, notamment par leurs proches. Quant aux hommes qui ont besoin d’encouragements pour se lancer, ils sont soutenus, plus que les femmes, par des membres d’un parti politique.
Les directions des partis (quasi exclusivement masculines) ont donc un rôle à jouer. «Nos conclusions, de manière générale, de toutes nos analyses, c’est que les partis donnent encore trop peu de place aux femmes par rapport aux hommes», résume Audrey Vandeleene. Un autre point de résistance existe: la disproportion genrée induite par les formations politiques est encore renforcée par les électeurs. Le corps électoral a ainsi tendance à moins voter pour les femmes. «Concrètement, les hommes ont tendance à voter pour des hommes, quand les femmes, elles, votent autant pour des hommes que des femmes», souligne la politologue.
«Les hommes ont tendance à voter pour des hommes. Les femmes, elles, votent autant pour des hommes que des femmes.»
Audrey Vandeleene
Politologue
Un climat trop mâle
La campagne s’est révélée rude, et ce climat trop mâle n’attirerait pas les femmes. «Dans nos sondages, elles affirment qu’elles n’apprécient pas cet environnement de combats et de pouvoir. Elles souhaitent aider les gens. Or, les femmes, davantage que les hommes, considèrent la politique comme un lieu où l’on exerce son pouvoir, s’affronte durement. Mais cette perception n’est pas exacte. Les politiques locaux sont proches de leurs concitoyens. Il existe un problème dans la manière dont la politique est présentée dans la société», pointe Audrey Vandeleene.
Reste à présent à former les collèges communaux. Les femmes y seront davantage représentées, certes. Avec des différences entre les Régions: en Wallonie, ces collèges doivent compter au maximum deux tiers d’élus du même sexe. A Bruxelles, ils devront être paritaires. «A nouveau, il ne faudrait pas que certains tentent de détourner la loi, conclut la politologue de l’ULB. Ainsi, on observe qu’au sein des collèges, des hommes s’attribuent de nombreux et importants portefeuilles, déséquilibrant le pouvoir de l’exécutif communal.»
Un effet masqué
En Wallonie, la disparition de l’effet dévolutif de la case de tête réduit l’efficacité de la tirette intégrale sur la parité (un nombre paritaire d’hommes et de femmes sur les listes). Pour rappel, voter en case de tête, c’est donner une voix à une liste. Tous les votes en case de tête forment alors une sorte de pot commun, ensuite réparti entre les candidats de cette liste, dans l’ordre de présentation sur celle-ci. Désormais, le pot commun ne compte que dans l’attribution des sièges entre les listes. Mais pas à l’étape suivante, celle d’attribution des sièges aux candidats et aux candidates. D’où un impact un peu moindre de la force de la tirette sur la parité, également à Bruxelles d’ailleurs, où l’effet dévolutif de la case de tête a été réduit de moitié.
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