© Illustration réalisée par une iA (Midjourney®) / Roularta Media Group

Démocratie sous pression: 51% des Belges estiment que leur vote ne compte pas (enquête)

Nicolas De Decker
Nicolas De Decker Journaliste au Vif

La Belgique est-elle fatiguée de sa démocratie ? Plusieurs éléments de l’enquête du Vif et de Knack semblent le prouver. Car si à peine 2 % des Belges estiment vivre dans une dictature, plus de la moitié trouve que la démocratie est en danger. Et 51,8 % pensent qu’il faut un leader fort sans l’influence d’un Parlement…

Désarroi démocratique, aspirations à un pouvoir plus fort et fractures entre classes sociales, générations et régions se répercutent sur le personnel politique, qui souffre d’un discrédit généralisé. Le tout met le régime sous tension. Et ce, même en Belgique francophone, où le cordon sanitaire a maintenu l’extrême droite dans les marges, mais où ses arguments convainquent pas mal de monde.

Certains chiffres ont beau rassurer, ils ne composent parfois que des poisons sucrés. Les Belges aiment la démocratie. En tout cas, ils en apprécient l’étiquette. Mais ce qu’ils pensent en goûter ne correspond pas toujours à sa saveur originale. Ainsi ces trois constats, extraits de la grande enquête « La démocratie sous pression » commandée par Le Vif et Knack (1), et qui établissent qu’un marginal 2,2 % des Belges pensent vivre dans une dictature, qu’un ridicule 1,7 % d’entre eux considèrent que le moyen le plus efficace de diriger le pays serait « un dictateur », et que 10,4 % estiment que notre système « doit être supprimé, et remplacé par un système plus autoritaire ». Alors que de grandes puissances mondiales ont déjà basculé, sur d’autres continents, vers des formes modernes d’autoritarisme, alors qu’en Europe, l’illibéralisme s’installe et l’ex- trême droite gouverne, alors même que la place enviée de plus grand parti de Belgique semble être promise, le 9 juin 2024, au Vlaams Belang, ces trois constats pourraient surprendre positivement : les Belges qui aspirent consciemment et ouvertement à la dictature sont à peu près aussi nombreux que ceux qui détestent les frites, et près des deux tiers (64,2 %) affirment que la démocratie est le système le plus efficace. Ouf !

Mais cet attachement apparent cache une batterie de malentendus et de frustrations qui, dans les faits, mettent bien la démocratie belge sous pression.

Les malentendus, tout d’abord. Si tous les Belges se proclament démocrates, la définition pratique de la démocratie souffre de quelques imprécisions. En effet, aucun des éléments constituant, selon les sondés, sa « base essentielle » ne récolte davantage que 56 % des suffrages. Seuls le respect de la liberté d’expression (56 %), l’égalité des droits (53 %) et l’élection des représentants par les citoyens (50,3 %) sont choisis, dans une liste fermée où plusieurs choix étaient possibles, par une majorité. Le respect de la liberté de la presse (40 %), la coexistence de plusieurs partis politiques (34 %) et le respect de la liberté d’association (31,9 %), pourtant intrinsèques à l’Etat de droit démocratique, ne semblent fondamentaux que pour une minorité de Belges.

Plusieurs paradoxes

Paradoxalement, le contre-pouvoir le plus indispensable à la sauvegarde de la démocratie est pour eux l’opposition politique (à seulement 39 %, il est vrai), pourtant inconcevable sans coexistence de plusieurs partis politiques. Le célèbre souhait de Montesquieu que « le pouvoir arrête le pouvoir » ne paraît pas spécialement partagé par les répondants à « La démocratie sous pression » : ils donnent plutôt peu de crédit aux contre-pouvoirs, des réseaux sociaux (16,2 % estiment qu’ils sont indispensables à la sauvegarde de la démocratie) à d’indéfinis « mouvements citoyens » (33 %), en passant par les médias (25,7 %), les assemblées citoyennes (27,4 %) ou les syndicats (28,3 %).

Dans cette veine assez paradoxale, la meilleure manière, pour eux, de « faire entendre sa voix et de faire avancer la démocratie » est certes de voter, très loin devant les autres formes de participation politique telles que signer une pétition (34,7 %), participer à une manifestation, pacifique (28,6 %) ou non (9,2 %), se présenter comme candidat aux élections (22,1 %), adhérer à un parti politique (15,1 %), ou poser des actes de désobéis- sance civile (9,8 %). Mais le pourcentage de réponses positives, à 64,2 %, expose en creux une aigre réalité : plus d’un tiers des Belges ne considèrent pas l’acte le plus consubstantiel à la démocratie représentative comme essentiel à celle-ci. Un autre paradoxe, il n’est pas le moindre, et il n’est pas le moins inquiétant, se lit comme dans un miroir de cette enquête où l’on s’affiche démocrate sans vraiment savoir en quoi cela consiste. Il pose ce paradoxe que personne ne veut d’un dictateur pour diriger le pays, mais que plus de la moitié des sondés (51,8 %) pensent que « le pouvoir doit être exercé par un leader fort sans l’influence d’un Parlement ». Un leader fort qui ne serait pas un dictateur, donc, et un Parlement dépourvu de toute influence mais qui serait démocratique…

Le désaveu des politiques

On en vient, alors, aux frustrations qui mettent la démocratie sous pression. Elles font adhérer 30 % des personnes interrogées à l’affirmation que « la Belgique n’est pas une démocratie », et ce sont incontes- tablement elles qui amènent 56 % des Belges à estimer que la démocratie est en danger. Notre enquête égrène en effet des frustrations de plusieurs ordres, qui témoignent d’aspirations démocratiques sans doute sincères, peut-être pas très bien comprises, et très souvent dirigées vers le monde politique. L’estime des mandants pour leurs mandataires se mesure à leur envie, presque systématique, de les rem- placer partout, au Parlement par des assemblées citoyennes ouvertes à tous, et au gouvernement par des experts.

Cette volonté de remplacer les acteurs, parlementaires et ministres, de la démocratie représentative par d’autres rouages s’explique par l’image dégradée qu’ont les mandataires politiques dans l’opinion publique.  A  une  écrasante  majorité (70,3 %), les Belges sont plutôt ou tout à fait d’accord avec l’idée que les politiques font passer leurs intérêts avant ceux de la population. Ils sont une majorité relative à penser que la plupart des politiques sont corrompus (49,3 % sont plutôt d’accord ou tout à fait d’accord, contre 36,4 % qui se disent plutôt pas ou pas du tout d’accord). Et il s’en trouve une majorité absolue (53,9 % sont plutôt d’accord ou tout à fait d’accord, 33,8 % sont plutôt pas d’accord ou pas du tout d’accord) pour trouver que la plupart d’entre eux sont incompétents. Puisqu’ils n’aiment pas beaucoup ceux pour qui ils ont dû voter, les Belges n’aiment pas le résultat des élections auxquelles ils participent. 51 % des sondés considèrent en effet que leur vote ne compte pas. Conséquence de ce mépris, et remède possible, ils sont près de trois quarts à vouloir s’attaquer au statut des mandataires politiques, et à leur réclamer un décumul absolu des mandats, publics et privés, ainsi qu’un plafonnement de leurs revenus.

(1) Enquête réalisée par l’institut Kantar du 4 au 8 septembre 2023 auprès de 1 012 Belges âgés de 18 ans ou plus, avec une marge d’erreur de 3,1 %.


Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire