Politico-anxiété: quand les élections nuisent à la santé mentale
Pour une partie de la population, l’arrivée des élections génère un stress, voire aboutir à des épisodes dépressifs. La polarisation politique exacerbe ce phénomène.
Ce dimanche, c’est le jour J pour le passage aux urnes, après des mois de débats politiques. Une période électorale qui va déterminer l’avenir de la Belgique, mais pas seulement. L’exposition permanente des affrontements entre candidats et l’omniprésence des thématiques politiques pourrait aussi avoir un impact sur la santé mentale de certains Belges. C’est en tout cas ce qui ressort de plusieurs études. Des scientifiques ont même conceptualisé le phénomène, avec des noms comme «trouble de stress électoral» ou «politico-anxiété». Les chiffres sont rares mais lorsqu’ils existent, ils sont particulièrement inquiétants.
Une véritable épidémie
Un pays où la «politico-anxiété» a été bien étudiée, ce sont les Etats-Unis. Lors des élections de mi-mandat de 2018, lorsque Donald Trump était au pouvoir, des chercheurs de l’Université d’Etat de Caroline du Nord ont suivi 140 adultes pendant 30 jours. Résultat: d’importants niveaux de stress d’anticipation ont été relevé parmi les électeurs, «ce qui signifie qu’ils s’attendaient à ressentir un stress lié aux élections dans les 24 heures suivantes», explique dans Shevaun Neupert, auteur de l’étude et professeur de psychologie. Pire: lorsque cela se produisait, ce stress était si puissant que leur santé physique était altérée.
Lors des élections de 2020, ce problème a pris des proportions encore plus importantes. Une étude de l’American Psychological Association a démontré que 68% des adultes ont ressenti un stress intense au cours de l’année électorale, contre 52% en 2016. Chez les démocrates, cela montait même à 76% (contre 67% chez les républicains, et 64% pour les «indépendants»). Les Afro-Américains, pour la plupart inquiets de voir Trump rester quatre ans de plus à la Maison-Blanche, ont été 71% à subir ces épisodes de stress, soit bien plus que les 46% des élections de 2016. Les personnes victimes de maladies chroniques étaient elles aussi plus sensibles que le reste de la population. Le climat politique était si dégradé que le New York Times avait pris l’initiative de créer un site interactif spécial, Election Distractor, destiné à apaiser les électeurs.
Dans des cas extrêmes, cette tension peut provoquer des troubles de stress post-traumatique (TSPT). Une étude publiée dans Politics and the Life Sciences en 2023 a estimé que durant les élections américaines de 2020, 12,5% des adultes étaient concernés par ces TSPT. En temps normal, cette prévalence n’est que de 3,5%.
Le bonheur n’est pas en Belgique en 2024
Cette politico-anxiété est-elle aussi présente en Belgique? Les chiffres manquent mais la réponse semble pencher vers l’affirmative. C’est en tout cas l’impression de Sylvie Blairy, professeure de psychologie clinique à l’ULiège. «Il y a de plus en plus de gens à la recherche d’une aide psychologique, surtout chez les jeunes, constate-t-elle. Les personnes plus précarisées sont particulièrement sensibles, car elles vont être impactées par les décisions politiques qui seront prises.» Des groupes minoritaires et peu représentés peuvent eux aussi ressentir la même chose.
“Les élections peuvent avoir des effets significatifs, surtout en période de forte polarisation politique et de couverture médiatique intense”
Jasper Van Assche, professeur en psychologie sociale et politique à l’ULB
Les débats liés au conflit israélo-palestinien, à l’écologie, à la guerre en Ukraine, etc., sont des thèmes régulièrement abordés lors des entretiens de Sylvie Bairy qui pointe également l’impact que peuvent avoir les chaînes d’information en continu sur ce type de patients.
«Les élections peuvent avoir des effets significatifs sur la santé mentale de la population, surtout en période de forte polarisation politique et de couverture médiatique intense», confirme Jasper Van Assche, professeur en psychologie sociale et politique à l’ULB. Il en veut pour preuve les conséquences possibles des élections sur la santé mentale repérées par la littérature scientifique. Parmi elles: l’anxiété, «des individus peuvent se sentir submergés par les informations et les discussions politiques constantes, y compris sur les réseaux sociaux, ce qui provoque une inquiétude pour leur avenir, leur sécurité, etc». Il y a également le découragement, «en particulier chez ceux qui se sentent aliénés ou non représentés par les candidats en lice». Des conflits interpersonnels peuvent aussi éclater à cause de ce contexte tendu (avec des amis, des membres de la famille, des collègues, etc.). Tout cela peut contribuer à provoquer un état d’épuisement et de fatigue émotionnelle, d’où une dégradation du bien-être mental.
Le contexte politique n’est pas le seul élément qui provoque ces consultations, insiste Sylvie Blairy, et d’autres problèmes personnels pèsent beaucoup dans la balance. Mais indéniablement, ce stress électoral constitue un facteur contribuant à un climat d’insécurité global. «Ceux qui souffrent d’éco-anxiété vont être davantage inquiets si des partis écartent les questions d’écologie de leurs programmes.». «Lorsque les débats se concentrent sur des attaques personnelles plutôt que sur des questions de fond, cela peut frustrer les électeurs», renchérit son collègue de l’ULB. Et dans les cas les plus extrêmes, cela peut aller jusqu’à la dépression.
L’année de tous les dangers
Le fait que 2024 soit une année très riche sur le plan électoral n’arrange rien au problème. «Les campagnes prolongées et intensifiées peuvent maintenir un niveau élevé de stress pendant une période plus longue, en particulier si les enjeux sont perçus comme critiques», note Jasper Van Assche. Pour Sylvie Blairy, cela pourrait, à force, provoquer un sentiment de désaffection: «nous sommes obligés de voter en Belgique, mais toute une partie de la population va finir par se désintéresser de la politique».
Pour ces personnes, le poids de cette politico-anxiété est d’autant plus lourd qu’il ne s’arrête pas le jour des élections mais qu’il perdure. C’est que les scientifiques appellent le stress post-électoral. «Cela peut aussi survenir, surtout chez ceux dont les candidats ou partis perdent», confirme le professeur bruxellois. «Ils peuvent avoir des sentiments de deuil, de déception et de frustration, ce qui peut conduire à un stress prolongé. Si les résultats des élections sont contestés (comme la dernière fois aux Etats-Unis), l’incertitude peut continuer à peser sur la santé mentale de la population.».
Comment sortir la tête de l’eau?
Mais comment faire face pour ces personnes qui ressentent le besoin de s’informer, tout en sachant que cela les affecte. Difficile donc de simplement se «déconnecter», reconnaît Sylvie Blairy. Pour y arriver malgré tout, elle conseille de s’investir dans d’autres activités. Si cela ne suffit pas, installer des applications contrôlant le temps passé devant les infos et sur les réseaux sociaux peut aider. Une sorte d’indicateur de dépassement des limites…
Aux Etats-Unis, Shevaun Neupert propose une autre technique: «l’analyse des problèmes». Ici, il ne s’agit pas vraiment de moins s’informer. «Cette technique consiste à réfléchir de manière critique aux raisons pour lesquelles ces personnes pensent qu’elles subiront un stress lié aux élections au cours des prochaines 24 heures», explique-t-il. «Par exemple, si elles pensent qu’elles vont avoir une dispute au sujet des élections avec une connaissance, elles pourraient réfléchir à la raison pour laquelle elles auraient cette dispute […] Cela peut aider les gens à réfléchir à des moyens d’éviter une dispute qu’ils anticipent, ou à réfléchir à des moyens de rendre la dispute moins animée.». Selon le chercheur américain, la méthode a fait ses preuves. En la testant sur des politico-anxieux, ces derniers arrivaient à mieux contrôler leur stress. Celui-ci est toujours présent mais cette fois-ci aucune conséquence n’a été remarquée sur leur santé physique. Un moindre mal, en somme.
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