Fusillades en cascade en Belgique: «Augmenter le nombre de policiers n’est pas la solution»

Fusillades en cascade en Belgique: «Augmenter le nombre de policiers n’est pas la solution»

Nathan Scheirlinckx
Nathan Scheirlinckx Journaliste au Vif

Anvers, Bruxelles, Lodelinsart… La Belgique commence 2024 par une cascade de fusillades. La faute à un corps de police en sous-effectif? « C’est là qu’est l’os », s’exclame le président du SLFP Police Vincent Gilles. « Une fausse bonne idée », répond Christian-Paul De Valkeneer (UCLouvain), professeur en criminologie.

En Belgique, l’année 2024 a commencé avec une cascade de fusillades. À Bruxelles, elles ne se comptent déjà plus sur les doigts des deux mains. L’échange de coups de feu lors du ‘Fort Chabrol’ de Lodelinsart, qui a coûté la vie d’un policier, a tout récemment marqué les esprits. Et relancé une énième fois le débat lié au nombre de policiers sur le sol belge, insuffisant selon certains. Le gouvernement d’Alexander De Croo (Open Vld) s’est d’ailleurs fixé comme objectif d’attirer 1.600 nouveaux policiers au cours de cette législature.

«On n’y est pas du tout. Le manque d’effectifs au sein des forces de police est structurel, condamne Vincent Gilles, président du syndicat SLFP Police. Lors de l’opération à Lodelinsart, des policiers liégeois ont dû venir en renfort des policiers carolos. Un collègue qui y participait m’a confié que la moyenne d’âge de l’équipée était de 55 ans». Et le syndicaliste de citer un chiffre, 5.900, pour évoquer le manque de personnel, tant aux postes de terrain qu’administratifs. «C’est là qu’est l’os : un grand nombre de ces emplois vacants concerne l’opérationnel». L’arrondissement de Bruxelles-Capitale, particulièrement touché par les fusillades ces derniers temps, ferait partie des plus à plaindre.

A Lodelinsart, la moyenne d’âge de l’équipée était de 55 ans

Vincent Gilles, président du syndicat SLFP Police

Voici le nombre de policiers en Belgique

Des policiers lors des funérailles de leur collègue tué lors du Fort Chabrol à Lodelinsart © BELGA

D’après ses propres chiffres, la police fédérale comptait, au 31 décembre 2023, 13.909 employés. La police locale, dont les derniers chiffres remontent au 31 décembre 2022, comptabilise un peu plus de 40.000 employés. «Grosso modo, on peut dire qu’un tiers des policiers sont au fédéral, et deux tiers au local», développe Christian-Paul De Valkeneer, coprésident du Groupe d’Études sur les Politiques de Sécurité (GEPS) de l’UCLouvain.

Selon les données d’Eurostat, la Belgique, avec 336 officiers de police pour 100.000 habitants, se situait en 2021 dans la moyenne européenne en terme de présence policière sur son territoire. Faisant mieux que ses voisins directs (Luxembourg, France, Allemagne, Pays-Bas). Une analyse balayée du revers de la main par Vincent Gilles : «C’est de la couillonnade, on compare des pommes avec des poires. Dans tous ces pays, on ne comptabilise pas l’entièreté des effectifs, parce que certains n’ont pas l’étiquette ‘policier’. Nous avons fait le calcul en ajoutant ces personnes, et là on s’est rendu compte que la Belgique était en deçà de la norme européenne».

C’est de la couillonnade, on compare des pommes avec des poires

Vincent Gilles, président du syndicat SLFP Police

“Avoir plus de policiers ne diminue pas forcément la criminalité”

Christian-Paul De Valkeneer estime qu’augmenter les effectifs policiers représente une fausse bonne idée. © BELGA

A contrario, Christian-Paul De Valkeneer estime qu’augmenter les effectifs policiers représente une fausse bonne idée. «Les résultats d’une étude que nous avons réalisée le confirment : avoir plus de policiers ne diminue pas forcément la criminalité. Celle-ci avait même plutôt tendance à baisser dans les endroits où le nombre d’agents était resté stable, comme en Région wallonne».

Toute la question est de savoir comment endiguer ces fusillades à répétition, qui touche surtout les grands centres urbains comme Bruxelles et Anvers. «Le phénomène est difficile à gérer, parce qu’il se règle à plusieurs échelles : locale, nationale et internationale, reconnaît Vincent Gilles. Je crains que le monde politique ne se contente de poser des rustines, avec des actions coup-de-poing pour rassurer les citoyens.» Le syndicaliste est rejoint par Christian-Paul De Valkeneer : «Rajouter des agents dans les rues, ou bien même l’armée (NDLR: comme le veut le MR), ne va en rien régler les problèmes de criminalité. Il s’agit davantage de mesures symboliques, qui seront visibles par les citoyens».

Rajouter des agents dans les rues, ou bien même l’armée, ne va en rien régler les problèmes de criminalité

Christian-Paul De Valkeneer

Fusillades à répétition: quelles solutions?

Le problème de la police belge se situe plutôt au niveau de sa dispersion, explique celui qui enseigne les matières liées à la sécurité à l’UCLouvain. «Les moyens policiers sont éclatés entre le fédéral et les zones de police au niveau local. Une ville comme Bruxelles comporte six zones de police, alors même que la capitale est un ensemble urbain intégré, où on ne se rend même pas compte quand on passe d’une commune à l’autre.» Fusionner les zones de police – une mesure voulue par les partis écologistes à Bruxelles mais déjà rejetée par la majorité – rendrait selon Christian-Paul De Valkeneer la police plus efficace.

Mais ce n’est pas la solution miracle, explique-t-il avant de glisser deux mesures concrètes à mettre en place. «Un : pour avoir un impact sur la criminalité, il faut se concentrer sur ce qu’on appelle les hotspots. C’est-à-dire concentrer les efforts policiers sur un phénomène, en identifiant un endroit et un groupe de personnes. Deux : réinvestir la composante judiciaire de la police, qui est souvent le parent pauvre, surtout au niveau local. Les bourgmestres feraient bien de s’en inspirer, plutôt que de placer des uniformes bleus dans la rue.»

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