Droit de manifester: « Il appartient aussi aux citoyens de se responsabiliser »
En service commandé, les forces de l’ordre sont soupçonnées de vouloir, par leur attitude, contrarier la participation à une manifestation. Débat avec Vincent Gilles, président du SLFP Police.
Le droit de manifester serait de plus en plus sous pression, voire menacé. Ce ressenti est-il partagé par les forces de l’ordre chargées de l’encadrer?
Non, pas du tout, bien au contraire si l’on constate le nombre de demandes introduites pour manifester et l’évolution des manifestations autorisées, avec ou sans conditions. On ne rechigne pas à la dépense pour que l’expression de ce droit puisse être garantie. Nous-mêmes, policiers, comme tout citoyen, nous menons depuis cinq mois, chaque semaine, des actions dans tout le pays.
La gestion de cette liberté de manifester serait-elle plus délicate qu’auparavant?
Avant 1990, la gendarmerie était la grande maîtresse de la gestion de l’espace public, dans sa conception la plus pure. Une manifestation était programmée d’un point A à un point B sans dérogations et, en cas de débordements, on coffrait, point à la ligne. Depuis, les corps de police ont vu leur cadre légal de plus en plus précisé, tourné vers la conception d’une gestion négociée de l’espace public. Un processus de négociation s’engage avec les organisateurs sous la forme d’une réunion physique au cours de laquelle l’usage du droit de manifester est balisé: le trajet est planifié, les points d’arrêt prévus, le service d’ordre interne de la manif discuté, etc. Avec, pour résultat, un effet bénéfique sur l’usage démocratique du droit de manifester.
Vincent Gilles – «Les bourgmestres ne semblent pas saisir l’ampleur du délitement observé dans le déroulement des manifestations.
Le comportement des manifestants évolue-t-il au fil du temps, en obligeant les forces de l’ordre à durcir le ton?
Depuis 2010, 2015, on observe un délitement lié à l’apparition des black blocs, éléments perturbateurs des manifestations. Le modus operandi de ces agitateurs qui fonctionnent en binôme, trinôme ou quadrinôme, empoisonne une manifestation en obligeant les forces de l’ordre à passer à l’action par l’intervention d’arroseuses, de la cavalerie, des équipes d’intervention. Les manifestations violentes ne datent évidemment pas d’aujourd’hui mais elles étaient autrefois essentiellement alimentées par une peur collective de perdre son emploi, comme on le voyait avec la montée des agriculteurs et des sidérurgistes à Bruxelles dans les années 1970 et 1980. Cette grande peur a fait place aujourd’hui, dans le chef de certains participants, à une absence de motifs, si ce n’est de recourir à la violence à des fins personnelles, pour casser des vitrines ou piller des objets de luxe. L’action des black blocs est plus insidieuse que celle de mouvements protestataires comme Extinction Rebellion qui nécessite une simple adaptation des techniques d’intervention policière.
Les autorités politiques ne mettent-elles pas gentiment la pression sur les forces de l’ordre pour restreindre la latitude de manifester?
Non, au contraire. C’est l’autorité administrative qui fixe un seuil de tolérance. Or, les bourgmestres ne semblent pas saisir l’ampleur du délitement que l’on observe dans le déroulement des manifestations. C’est le cas aussi, a fortiori, de leurs collègues députés à un degré supérieur de pouvoir. Cette absence de prise de conscience place la police dans une situation instable et dangereuse, y compris pour les manifestants. Faute de clarification, on risque de basculer dans un usage de la force qui serait illégitime, disproportionné, et qui sera contesté devant les tribunaux. Le législateur serait bien avisé de ne pas laisser d’espace en la matière, à moins de courir le risque que la sérénité dans la gestion de ces événements ne disparaisse.
Entre manif autorisée et tolérée, les forces de l’ordre en perdent-elles leur latin?
Tolérer une manif, cela revient pour un bourgmestre à dire oui alors qu’il devrait dire non… Dans ce cas de figure, faute de consignes et de seuil de tolérance préétabli, la gestion du maintien de l’ordre devient inconfortable.
Aller jusqu’à envisager de prohiber l’usage de casseroles en manifestation, c’est un peu exagéré?
Sous l’angle du maintien de l’ordre, ce n’est pas tant l’impact sonore qui pose problème qu’un emploi potentiel des casseroles comme arme de jet.
L’encadrement légal actuel de la manifestation serait-il à renforcer?
En tout cas, la prise en considération de l’action d’ultras, qu’ils soient de droite ou de gauche, doit obliger à réfléchir à un autre usage de l’outil policier. Il appartient au législateur de prendre conscience de cette nécessité, mais il appartient aussi aux citoyens de se responsabiliser quand ils exercent leur droit de manifester. Une salsa se danse à deux. Quand une manifestation se délite, ce n’est pas du seul fait de l’outil policier mais aussi de la responsabilité individuelle des citoyens. On finit par le perdre de vue, mais manifester est une affaire de droits et de devoirs.
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