Plan de relance: pourquoi la Wallonie est à la traîne (enquête)
Le gouvernement wallon a recalibré plusieurs fois ses différents plans de relance. Du coup, plusieurs projets financés par la Facilité européenne pour la reprise et la résilience sont en danger…
Selon le rapportage semestriel fédéral, la Région wallonne est le niveau de pouvoir qui a le plus de mal à respecter ses «jalons» et ses «cibles», puisque quatorze d’entre eux avaient été atteints fin octobre, que six étaient en passe de l’être dans les temps, mais que huit n’avaient pas été accomplis, ou ont été reportés.
Ce plus mauvais bulletin wallon sur les jalons et les cibles ne surprendra pas dans la fière patrie des plans Marshall, Marshall 2.Vert et autres Marshall 4.0. La relance wallonne, en effet, a traversé plusieurs plans aux contours chaotiques, en particulier depuis 2020, toujours revus, toujours réduits et toujours condamnés en vertu de cet adage funeste du «qui trop embrasse mal étreint».
Dès les prémices de la confection du Plan national pour la reprise et la résilience, la Région wallonne s’était distinguée.
Elle avait tout d’abord, avant les autres Régions, lancé son propre plan, dit «Get up Wallonia», censé aider l’économie wallonne à encaisser le coronavirus.
L’annonce européenne de sa Facilité n’avait donc manifestement pas pris les sudistes de court, et, si l’on veut, la masse des demandes transmises fin 2020 au fédéral – plus d’une centaine de projets – exprimait cette préparation.
Le sécateur de la concertation belge avait contraint l’exécutif wallon à moins d’ambition. Le Conseil social, économique et environnemental de Wallonie (Cesew) aussi, qui fit remarquer à la fin de l’hiver 2021 au gouvernement régional que les projets qu’il espérait faire financer par la FRR comptaient pour 133% de l’enveloppe qui devait être dévolue à la Wallonie.
Le Plan pour la reprise et la résilience (PRR) fédéral tel qu’il s’expose sur nextgenbelgium.be, ne recense finalement que 22 projets d’investissement à mettre en œuvre par la Wallonie, pour un coût d’1,5 milliard d’euros. Le compte wallon est, lui, différent, puisque le rapport annuel 2022 du Plan de relance de la Wallonie, publié par le gouvernement Di Rupo, considère qu’«au sein du Plan national belge, la Wallonie porte 32 mesures (correspondant à 51 projets auxquels s’ajoutent trois réformes)». Au moins aura-t-on, sur la base de ces deux incertains dénombrements, un ordre de grandeur…
Le gouvernement PS-MR-Ecolo avait voulu que Get Up Wallonia fasse partie du Plan national pour la reprise et la résilience, et ce fut en fait le PNRR qui allait s’intégrer à un énorme Plan de relance wallon. Celui-ci comptait au départ 319 mesures, et nécessitait 7,6 milliards d’euros de financement public rien que dans les provinces wallonnes. Là encore, la Wallonie voyait trop large, et risquait une trop grande dispersion, à un point tel que, dans une sortie conjointe à la fin 2021, l’Union wallonne des entreprises et la FGTB dénonçaient «une impression générale de saupoudrage» et «un manque de cohérence et de liant».
Des négociations menèrent à un recadrage, et même si, formellement, les 319 mesures n’étaient pas abandonnées, l’ampleur de la relance espérée était très fortement resserrée: en mars 2022, le ministre-président Di Rupo flanqué des «partenaires sociaux et environnementaux» annonçait se recentrer sur 42 «actions prioritaires», rassemblées dans «quatre programmes d’action prioritaires» et portant sur 2,5 milliards d’euros d’investissements.
Et des 51 «projets» dénombrés par la Wallonie dans le PRR belge, «quatorze ont été identifiés par les PSE (NDLR: les partenaires sociaux et environnementaux, réunis au sein du Cesew) comme en lien direct avec les quatre programmes d’actions prioritaires (PAP)», comme le dit poétiquement le rapport annuel 2022 du Plan de relance wallon, qui laisse bien peu d’espace à la Facilité européenne: l’avancement des projets accrochés au PRR ne compte que pour deux de ses 202 pages…
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Les deadlines dépassées
Ces nombreuses révisions et ces sévères recentrages ont contribué à retarder certains des investissements wallons prévus dans ledit Plan national pour la reprise et la résilience, voire à y renoncer.
Le rapportage semestriel épingle les problèmes suivants
- Les lauréats d’un appel d’offres de soutien financier (117 millions) au développement de chaînes de valeur autour de l’hydrogène étaient supposés être notifiés au début de cette année. Mais les textes, pour les deux projets sélectionnés (l’utilisation de l’électricité excédentaire d’une usine de transformation de pommes de terre à Mouscron, dont l’hydrogène alimenterait quatre camions, et la construction d’une station d’électrolyse de l’eau à Leuze-en-Hainaut, pour une dizaine de véhicules), ne seront présentés qu’à la fin 2023 au gouvernement. Le retard est tel qu’il a été envisagé de sortir ces investissements du Plan national pour la reprise et la résilience. Les discussions, dit le rapportage, sont en cours, tant avec le fédéral qu’avec la Commission.
- Le gouvernement wallon envisage également de sortir le bus à haut niveau de service (BHNS) dans le Borinage du périmètre de la FRR européenne. Parce que les discussions avec les autorités communales ont duré, la deadline de septembre n’a pas été respectée pour l’attribution des travaux et les chantiers, à inclure dans un plus large permis unique, ne commenceront, au mieux, que l’année prochaine. C’est pourquoi la Wallonie a demandé en juillet si la Commission l’autorisait à déroger au Plan national pour la reprise et la résilience.
- Pour l’extension du tram liégeois vers Herstal, les travaux ont commencé début octobre. Mais ceux vers Jemeppe sont compromis par des tensions avec le consortium Tram’Ardent, en charge des travaux. Les négociations, selon ce qu’ont transmis les autorités régionales au gouvernement fédéral, devaient se boucler début novembre avec l’attribution des travaux, qui commenceraient en janvier. Mais ce chantier n’a toujours pas été attribué…
- Le ministre de la Mobilité, Philippe Henry (Ecolo), connaît également des problèmes avec le rehaussement de ponts sur le canal Albert. L’extension de trois des quatre ponts (Haccourt, Hermalle et Lixhe), posait des problèmes de sécurité routière, qu’il a fallu résoudre. Les travaux, désormais, devraient être achevés fin juin 2026, plutôt qu’au printemps 2025, comme prévu à l’origine.
- Compétence du socialiste Christophe Collignon, la construction ou la rénovation de huit cents logements sociaux a subi le contre-coup de l’inflation. Cinquante projets, pour un total de 801 logements sociaux précisément, avaient été validés. L’Union européenne devait en financer 280. Les sommes prévues par la FRR ne permettront d’en commander que 125… La Wallonie, dit le rapport, «espère être capable d’atteindre cette cible révisée» cet automne.
- Trois sites à Liège (3 000 m2), Namur (1 600 m2) et Charleroi (2 400 m2) doivent accueillir des infrastructures logistiques et de transformation favorisant les circuits courts, dites de «ceinture alimentaire». Trente-six projets qui s’y intégreront ont été sélectionnés en avril dernier. Mais les marchés publics devaient être passés en décembre 2022, et certains ne le seront qu’au printemps 2024. Pour cette raison, le délai pour la construction et la mise en opération des trois «hubs» a été repoussé au 30 juin 2025.
- Les trois appels à projets dans le cadre de la digitalisation des gouvernances locales et régionales, théoriquement pilotés par les ministres De Bue (MR), Borsus (MR), Tellier (Ecolo) et Collignon (PS), ne seront pas menés à leur terme, parce que la Région wallonne n’est pas capable de les financer si elle perd la manne européenne. Ils ont d’ores et déjà été abandonnés.
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