Carte blanche
Plaidoyer contre la suppression du cours de religion (carte blanche)
« Certains représentants de la laïcité voudraient débarrasser une bonne fois pour toutes le gouvernement de la Communauté Française du « problème » posé par les cours de religion », déplore Antoine Gosset, enseignant.
Une information, qui ne semble émouvoir personne ou presque, a cependant dernièrement retenu toute mon attention. Il s’agit de l’éventuel élargissement à deux heures obligatoires du cours de philosophie et citoyenneté qui compte actuellement une heure obligatoire dans l’enseignement officiel plus une autre facultative qui vient remplacer tout ce qu’il reste des cours de religion ou de morale.
Sans vouloir minimiser l’excellent travail fait par les professeurs donnant ce cours de philosophie et citoyenneté, cette situation laisse tout de même rêveur… Rappelons-nous qu’il y a quelques années d’ici, alors que ce nouveau cours était introduit, des journalistes l’avaient alors baptisé « cours de rien », puisque personne n’était alors capable de dire ce qu’on y mettrait… Mais bon, on a trouvé à y mettre des choses intéressantes, très bien, c’est plutôt une bonne chose.
Mon interrogation ici est différente: où va-t-on aller trouver cette deuxième heure de philosophie et citoyenneté? La réponse semble à mon avis évidente pour les laïcistes désireux de voir disparaître les cours de religion: on va transformer l’heure (de religion ou de morale) qui restait. Pardon pardon pardon ???
Quelle est cette attaque contre la Constitution belge, qui bétonne le droit de recevoir un cours d’une des religions reconnues? Eh bien je pense en toute bonne foi (c’est le cas de le dire) que certains représentants de la laïcité voudraient débarrasser une bonne fois (encore !) pour toutes le gouvernement de la Communauté Française du « problème » posé par les cours de religion. Je pense cependant que c’est une erreur profonde, et ce pour beaucoup de raisons dont je n’évoque ici que les plus flagrantes.
D’abord, les cours de religion me semblent être un des derniers bastions de la parole libre, où l’on peut se questionner et questionner les autres librement sans être jugé. Cela fait d’ailleurs partie intrinsèque des cours de religion, qui proposent tous à ma connaissance une réflexion philosophique en mettant au centre les questions de sens. L’approche originale proposée par ces religions permet de rendre concrètes et personnelles des questions universelles mais abstraites sans en faire une description peu apte à amener le débat, base pourtant essentielle de toute société démocratique. Si le cours de philosophie et citoyenneté permet également de poser ces questions existentielles, il est loin d’en avoir le monopole, puisque tous les cours de religion le faisaient déjà avant lui.
Ensuite, si l’on a peur que les cours de religion n’abordent pas suffisamment les autres religions et les rapports entre toutes ces religions, qu’on se rassure: les programmes de ces cours de religion ont très clairement mis à l’honneur l’étude des autres courants religieux ainsi que du dialogue interconvictionnel. Si l’on veut vivre aujourd’hui dans une société multiculturelle, « multicultuelle » et hétérogène, il faut accepter de mettre en avant le dialogue et les rapports entre toutes ces convictions. Les cours de religion le font depuis longtemps au travers d’une compétence commune à tous les cours de religion, pourquoi les supprimer?
Enfin, si la citoyenneté est mise en avant dans le cours de philosophie et citoyenneté, il me semble aberrant de supprimer l’étude et l’interrogation des différentes convictions qui existent dans la société, dont les salles de classe ne sont jamais qu’une représentation miniature. Un cours désincarné dans lequel serait faite une présentation du panel des convictions qui existent ne peut que se heurter à l’indifférence des auditeurs en recherche de sens à leur vie ; certains pourraient se tourner alors vers ce qui peut combler cette recherche de sens, c’est-à-dire tout ce que la société ou des personnes malveillantes peuvent leur proposer : consommation à outrance (de gadgets techniques coûteux et pourtant peu utiles, d’images de toutes sortes…), obéissance aveugle au dictat des publicités et du politiquement correct, voire plongée dans l’extrémisme religieux le plus barbare (2015, c’était hier). Les cours de religion ont cette faculté qu’ils aménagent un espace de débat qui déconstruit les discours radicaux et pervers de toutes sortes.
Les cours de religion remplissent donc bien les fonctions demandées à des cours philosophiques. Bon. On peut donc légitimement se demander pourquoi certains veulent les supprimer. Je vois deux raisons majeures à cet état de fait.
La première réside dans la composition des partis qui forment le gouvernement de la Communauté: MR, PS et Ecolo, trois partis qui ne sont pas spécialement connus pour leur ouverture aux convictions philosophico-religieuses autres que la torche de la laïcité… Ce faisant, ils choisissent à mon avis de s’asseoir sur les 80% de parents et d’élèves satisfaits de se voir proposer lors de leur scolarité un cours de religion. Et ce en stoemelings, sans tambour ni trompette, et surtout en essayant que le moins de monde possible soit au courant. L’éventuelle suppression de la dernière heure de religion répondrait donc parfaitement au désir des militants laïcistes infiltrés dans les partis, mais non à celui de la population. On parlait de démocratie ?
La seconde raison de cette suppression correspond, pensé-je, à la volonté d’embarquer le plus grand nombre de citoyens possibles dans une pensée unique déversée par le biais d’un cours unique dans les têtes blondes des futurs électeurs. Comment maîtriser au mieux un pays et ses institutions si ce n’est en invitant fermement la population à penser la même chose que le gouvernement ? Je renvoie les lecteurs non avertis à leurs classiques et à Gn 11, 1-9 : la pensée unique ne mène qu’au despotisme et à tous ses égarements.
Bref, j’ai le sentiment qu’on essaie de nous faire avaler une couleuvre, qu’il y a baleine sous caillou, qu’on piège le citoyen en profitant de son inattention. Le gouvernement de la Communauté Française pourrait-il par conséquent très rapidement clarifier la situation en disant où il va trouver sa deuxième heure de citoyenneté sans bien sûr toucher pour toutes les raisons développées plus haut à l’heure de religion/morale ? En prenant cette fois bien sûr la peine d’en informer largement les citoyens, pour que, rassurés, ils puissent encore se reconnaître dans leurs représentants…
Antoine GOSSET, enseignant
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