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Les universités belges ont été parmi les premières, au début de ce siècle, à mesurer l'importance du plagiat. © getty images

Plagiat dans les universités, quand la pâle copie fait tache

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Les faits récurrents de copier-coller mettent les universités dans l’embarras. Pour traquer la copie de seconde main, elles ont recours à des logiciels de détection, mais dont l’efficacité reste très relative.

Trois petites secondes et deux manips, Ctrl + C/Ctrl + V, et le tour est joué. Qui n’a jamais été tenté de s’attribuer une théorie éprouvée et validée, de cueillir dans la masse presque illimitée de contenus qu’offre le Web le fruit d’une brillante réflexion? Le plagiat fait partie des mauvaises pratiques intellectuelles courantes mais dans un monde dominé par l’informatique, l’emprunt de textes ou d’idées est devenu si aisé que certains n’hésitent pas à parler de fléau.

Deux cas très différents ont récemment défrayé la chronique. En février dernier, des dizaines d’étudiants de l’Université libre de Bruxelles (ULB) qui avaient passé leur examen en distanciel ont été accusés de tricherie par la faculté de philosophie et de sciences sociales. Des passages « strictement identiques » leur ont valu un zéro pointé pour les questions sur lesquelles portait le plagiat. En France, une affaire bien plus sulfureuse agite le milieu académique: Me Arash Derambarsh, avocat diplômé de la prestigieuse université de la Sorbonne et militant politique, aurait copié quelques centaines de pages pour construire sa thèse. Il a depuis été radié du barreau de Paris.

Les logiciels de contrôle permettent surtout d’éviter les plagiats de masse. » – Michelle Bergadaà, Institut international de recherche et d’action sur la fraude et le plagiat académiques (Irafpa).

Une longueur d’avance

Le copier-coller a toujours préoccupé les universités mais l’apparition de nouveaux outils de contrôle a permis de prendre la mesure du phénomène. Professeure émérite à l’université de Genève, Michelle Bergadaà a fondé l’Institut international de recherche et d’action sur la fraude et le plagiat académiques (Irafpa). Depuis dix-huit ans qu’elle étudie le phénomène, elle constate que malgré l’existence et l’amélioration constante des logiciels de détection de similitudes, l’évolution des pratiques de fraude évolue en parallèle. « Les logiciels de contrôle, pour autant qu’on les utilise pour tous les travaux, permettent surtout d’éviter les plagiats de masse ou de pincer les tricheurs amateurs. Mais les vrais fraudeurs, eux, prennent toujours des chemins de traverse pour contourner les règlements. Les logiciels ne cessent d’évoluer pour coller à cette réalité mais qu’il s’agisse de la technologie ou du juridique, les deux réagissent aux besoins de la société et ne les anticipent pas. »

L'intention frauduleuse reste malaisée à prouver.
L’intention frauduleuse reste malaisée à prouver.© getty images

Aujourd’hui, rien n’est plus facile pour un étudiant flemmard que de piocher un passage dans une thèse ou une étude écrite dans une langue étrangère et de le soumettre à un logiciel de traduction automatique… Histoire de brouiller les pistes. Autre pratique répandue pour contourner les logiciels antiplagiat: reformuler l’idée ou la théorie d’un autre pour la reprendre à son compte. Quant à l’autoplagiat, dont on parle moins et qui est plus courant chez les enseignants-chercheurs, il consiste à copier son propre travail pour l’intégrer dans une autre oeuvre sans citer la source initiale. S’il ne s’agit pas d’un vol à proprement parler, la technique s’apparente à de la fraude aux droits d’auteur lorsque ceux-ci ont été cédés à un éditeur. Cela permet aussi de faire croire qu’on a écrit deux ou trois articles alors qu’on n’a fourni le travail que pour un seul.

Les cas de plagiat sont souvent davantage un problème d’ignorance des règles de citation. » – Eric Uyttebrouck, Centre d’appui pédagogique de l’ULB.

Profs conscients mais peu formés

Les universités belges, nous apprend Michelle Bergadaà, ont été parmi les premières, dans le courant des années 2000, à mesurer l’importance du plagiat parmi les étudiants. Malgré ce déclic, les formations données au personnel sur l’intégrité, la manière de construire un dossier pour plagiat et d’utiliser les logiciels, n’est pas toujours adéquate.

Responsable du Centre d’appui pédagogique de l’ULB, Eric Uyttebrouck fait le même constat à propos des logiciels mis à la disposition de tous les enseignants bien que certains, souligne-t-il, n’en font jamais usage. En charge de l’accompagnement et de la formation des professeurs, il confirme l’utilité toute relative de cet outil capable de détecter les correspondances mais pas de l’interpréter. « Le logiciel n’est qu’une aide à la décision, c’est à l’enseignant de trancher. Il peut aider à faire la comparaison avec d’autres textes mais il ne nous dira rien de la légitimité de cette correspondance. » Le texte pourrait, par exemple, « matcher » avec un autre document dans lequel le même auteur exprime la même pensée avec un vocabulaire très proche. Pour autant, on n’est pas dans le registre du plagiat. « A contrario », illustre encore Eric Uyttebrouck, « il pourrait indiquer que le document contient 2% de plagiat. Ça peut sembler peu mais si c’est sur deux cents pages… La seule chose à faire pour un professeur, c’est de vérifier soi-même les extraits pour se forger sa propre opinion. » Dans certains cas spécifiques, le logiciel n’est même d’aucune utilité.

A l’ULiège, Christelle Kiehm, conseillère au service qualité de vie des étudiants a été surprise d’apprendre que des internautes proposent aux étudiants de réaliser leurs travaux contre rémunération. Récemment, un étudiant ayant utilisé ce procédé « clé sur porte » s’est retrouvé devant la commission disciplinaire. « On ne sait pas qui est derrière cette vente. On a repéré qu’il s’agissait d’un travail acheté sur Internet parce qu’il y comportait des erreurs de traduction et des coquilles scientifiques. »

Dans ce cas-là comme dans d’autres, lorsque l’enseignant a acquis la conviction que l’étudiant a triché, il est libre de limiter la sanction à une décision pédagogique, attribuer un zéro par exemple, ou d’en informer le rectorat. La procédure peut alors déboucher sur des sanctions disciplinaires allant de l’admonition à l’exclusion. Le choix laissé au professeur de porter ou non les faits à la connaissance du recteur a pour conséquence qu’aucune statistique fiable sur le nombre de plagiats constatés ne peut être fournie. Difficile, dès lors, de juger de l’ampleur réelle du phénomène.

Open data sauce plagiat

Revenons-en à notre universitaire lambda soupçonnée d’avoir sciemment siphonné des extraits. Convoqué devant le recteur et les autres membres de la commission, il sera amené à exposer ses arguments. Pour préparer sa défense, il a le droit de consulter son dossier avant l’entrevue et peut faire appel au service juridique de la Fédération des étudiants francophones (FEF) ou aux différents conseils d’étudiants. Le jour de l’entrevue, il pourra être accompagné d’un de ces représentants ou d’une autre personne de son choix. « Tout dépend des cas, bien entendu, mais il n’est pas rare qu’après l’audition, les charges soient diminuées ou abandonnées« , relève Chems Mabrouk, présidente de la FEF. Si la sanction tombe, un éventuel recours pourra être introduit auprès du Conseil d’Etat.

Il n’est pas rare qu’après l’audition, les charges soient diminuées ou abandonnées. » – Chems Mabrouk, Fédération des étudiants francophones.

Pour éviter de devoir en arriver là, les établissements tablent sur des campagnes d’information destinées à dissuader leurs étudiants de jouer au copiste. A Liège, décrit Christelle Kiehm, les étudiants de première année sont invités, lorsqu’ils naviguent sur le site de l’université, à participer à un quiz sur le plagiat reprenant différentes situations. Dans certaines facultés, comme en droit par exemple, les règles conventionnelles régissant la manière dont il convient de se référer aux sources sont enseignées dans un cours de méthodologie.

Pour Eric Uyttebrouck, la méconnaissance par les jeunes de ce qu’est le plagiat et de ses critères est problématique. A l’heure où Internet leur offre une source intarissable d’informations et d’open data, l’internaute à tendance à oublier l’existence de la propriété intellectuelle et à se servir de tout ce savoir sans rendre à César ce qui lui appartient. « On parle déjà de plagiat quand on cite les idées d’une autre personne sans la citer et pas uniquement quand on reprend ses paroles sans y faire référence. Le plagiat va donc bien de l’idée à la page entière en passant par le paragraphe réécrit à sa sauce. » Le responsable du centre d’appui pélagique de l’ULB identifie une autre méprise: « Les étudiants pensent souvent que s’ils citent leurs sources, ça va les déforcer. Or, on ne leur demande pas de trouver de nouvelles idées mais de savoir les agencer, les structurer. Les cas de plagiat sont en fait souvent davantage un problème de méthodologie et d’ignorance des règles de citation. Après, la question est aussi de savoir s’il y a eu une intention frauduleuse. » Ce qui reste particulièrement malaisé à prouver.

Plutôt bricoleur ou plutôt manipulateur?

Qu’est-ce qui pousse un étudiant à mettre en péril son cursus universitaire en pillant les productions des autres? Le stress, la fainéantise, le sentiment d’impunité? Pour Michelle Bergadaà, la pression exercée par les universités qui espèrent percer dans les rankings n’est pas étrangère au phénomène. Une émulation, nous explique la spécialiste du plagiat, qui peut aussi mener à une banalisation de la négligence (« puisque tout le monde le fait… ») et à la relativisation des enjeux. Elle décèle aussi dans l’augmentation des cas le signe de la désillusion d’une jeunesse que le monde du travail ne fait plus rêver.

Au fil de ses entretiens durant lesquels elle tentait d’expliquer au tricheur que l’université ne pouvait pas envoyer un faussaire sur le marché du travail, elle a mené une étude ethnologique pour expliquer qu’il n’y a pas d’un côté les « bons » et de l’autre les « voyous ». « C’est beaucoup plus nuancé et il faut savoir écouter les plagiaires pour les remettre sur le droit chemin… ou les exclure sans remords. » Elle a dégagé quatre profils: le petit tricheur, qui n’a pas grande moralité mais qui peut se rattraper s’il est bien accompagné ; le fraudeur qui aime l’interdit, qui tente le coup de poker sachant qu’il risque d’être démasqué ; le bricoleur, un hyperactif qui cumule les activités et qui, l’échéance arrivée, est pris de panique et se saisit de tout ce qui lui permettra de rendre le travail ; enfin, le manipulateur, celui qui nie en bloc ou rejette la faute sur les autres. Ce dernier profil se rapproche du délinquant si difficile à coincer qu’on retrouve dans les cours et tribunaux.

Des cours de méthodologie dès le secondaire

La multiplication des cas de plagiat inquiète aussi les établissements de l’enseignement secondaire, car c’est souvent là que se prennent les bonnes ou les mauvaises habitudes. Au CES Saint-Vincent, à Soignies, tous les travaux de fin d’étude remis par les élèves de technique de transition passent au logiciel antitriche. Fabien Capiau, professeur de géographie et préfet des études, va plus loin en proposant aux élèves d’utiliser les outils d’aide à la détection pour qu’ils puissent prendre conscience qu’ils ne sont pas à l’abri d’un plagiat, même involontaire. Une fois par an, ils peuvent soumettre un texte à Compilatio et recevoir les résultats mentionnant le pourcentage de texte non authentique. L’expérience fait ensuite l’objet d’une discussion en classe. « Quand le pourcentage de texte plagié est problématique, je cherche à comprendre ce qui s’est passé en discutant avec l’élève. L’objectif est vraiment de les former à toutes les questions qu’ils se posent sur le plagiat, la manière de construire un TFE et comment s’y retrouver dans la jungle d’Internet. » Le préfet déplore une méconnaissance totale des règles élémentaires comme l’usage des guillemets mais aussi de la fiabilité des sources. Il estime qu’un cours axé sur ces questions devrait être mise en place dans chaque établissement scolaire.

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