Pierre-Yves Jeholet, le bulldozer
Attaquant au foot comme en politique, il a usé de son écrasante force de travail pour passer de la ferme du grand-père jusqu’à l’exécutif wallon. Sans le savoir, le ministre MR de l’Emploi et de l’Economie incarne ce qu’il attend des autres : un bosseur loyal, exceptionnel en amitié, fougueux jusque dans ses contradictions.
Ce portrait a été publié pour la première fois en novembre 2017
Scène rare au milieu d’un vignoble du Beaujolais. Après un pique-nique vin et fromage, Pierre-Yves Jeholet, chemise bleu libéral sans cravate, fait une sieste dans l’herbe. Lui qui dort si peu. Quatre heures de sommeil, moins si nécessaire, et le Hervien avale une journée de ministre avec l’aplomb du fougueux attaquant qu’il était déjà il y a vingt-cinq ans, sur les terrains de football, jusqu’en division 3. Aux études, les soirées arrosées dans les cercles ne l’empêchaient pas de se rendre au premier cours du lendemain, dans une forme à faire pâlir ses amis, piégés par ses invitations à » prendre une petite drache » – comprenez : à boire des bières. Quelques mois plus tard, il pouvait parcourir cent kilomètres entre Herve et Louvain-la-Neuve pour aider ces mêmes amis, chaque jour de blocus, à réussir leurs examens de seconde session.
Goguenard, généreux, fidèle en amitié, dur mais juste : tel serait le vrai Pierre-Yves Jeholet, selon ses proches, derrière la sévérité apparente de ses discours, un regard de PDG autoritaire et ses attaques contre ceux qui ne cherchent pas d’emploi ou ceux qui gèrent mal les aides à l’emploi. Jusqu’en juin dernier, le bien surnommé » Schtroumpf grognon » au parlement de Wallonie tonnait contre la majorité PS-CDH avec l’indignation, à défaut de finesse constante, d’un dramaturge depuis les bancs de l’opposition. » Ministre du chômage « , » ministre de rien « … En deux punchlines corrosives, le chef de groupe MR pouvait aisément dissoudre un élu. » Dans ces moments-là, on peut le comparer à un bulldozer sans benne : il fait beaucoup de bruit, ça impressionne, mais quand on regarde mieux, ça ne sert à rien « , pointe l’ex-ministre PS de l’Emploi, Eliane Tillieux. » Parfois, au-delà de l’insulte, on se demande quel est son propos « , abonde un député. » On a tous nos formules, ça fait partie du jeu, relativise Pierre-Yves Jeholet. S’il m’est arrivé de blesser quelqu’un, je le regrette, car ce n’est pas mon intention. «
Grâce à la rupture entre le PS et le CDH, proclamée par Benoît Lutgen le 19 juin dernier, le bulldozer a subitement conquis ces lignes ennemies sur lesquelles il chargeait depuis 2009. Dans sa benne de ministre, désormais, un arsenal de compétences jusque-là détenues par le PS : l’Economie, l’Industrie, la Recherche, le Numérique, l’Emploi, la Formation. Dans son grand bureau subsistent encore quelques indices de cette passation de pouvoir. Des cadres colorés, un portrait de la reine Fabiola et du roi Baudouin, laissés par son prédécesseur, Jean-Claude Marcourt. La touche personnelle du libéral se limite à deux caricatures dédicacées et à un » coup de coeur de Séville » : trois anciennes gazettes espagnoles encadrées présentant l’agenda de corridas, sous la silhouette d’un taureau qu’il entend » prendre par les cornes « . A l’image de ce dossier » Forem « , en évidence sur son espace de travail.
Le culte du travail
Ce communicateur-né ne pourrait contenir sa révolte dès qu’il est question de l’emploi au Sud du pays. Solennel dans son nouveau QG namurois, il répète son intime conviction les poings fermés : » L’émancipation, l’intégration et l’inclusion sociale de chacun passent par le travail. » Quitte à user de termes rugueux. » Je veux dire à certains que le chômage n’est pas une rente. Je veux qu’ils fassent tous les efforts pour retrouver un job. Et que le Forem n’accepte plus cette culture de l’excuse mais les responsabilise « , assène-t-il, fin août, au Soir et à Sudpresse, suscitant de vives critiques. » Je sais que le message est fort, mais il faut arrêter de croire que les politiques vont régler tous les problèmes, maintient-il aujourd’hui. Non, les jeunes n’auront pas toujours le boulot de leurs rêves. Je ne peux pas non plus entendre qu’il est difficile de travailler la nuit, d’être infirmière, maçon ou mécanicien. Quel message donnerait-on à l’égard de ceux qui bossent dans ces métiers-là depuis quarante ans ? »
Le libéral de 49 ans puise ce discours volontariste de sa propre expérience. Pour le comprendre, il faut remonter aux années 1970, dans le petit village de Xhendelesse. Avant sa fusion avec Herve, l’entité est gérée par son grand-père maternel, le PSC Alexandre Chapellier. Le bourgmestre est agriculteur et, dès leur plus jeune âge, Philippe et Pierre-Yves Jeholet l’aident à remplir les pots de sirop, à ramasser les pommes de terre, à rentrer le foin. » Pierre-Yves a toujours eu cette envie de rendre service et cette faculté de voir directement ce qu’il y a à faire « , raconte Philippe Jeholet, directeur du CPAS de Herve depuis 1992. Plus tard, les deux frères passeront de nombreux week-ends à vendre des savonnettes au porte-à-porte, pour pallier les difficultés financières de l’IMP l’Horizon, à Stoumont, dirigé par leur père.
L’adolescent aime l’indépendance. Il se rend à vélo à ses entraînements de foot et en bus au Standard de Liège, pour assister aux matchs avec ses amis. Il organise des courses entre voisins, anime les fêtes de village et négocie, dès 13 ans, la création d’une maison des jeunes auprès du bourgmestre Georges Gramme. Est-ce pour cette raison que ce père de deux enfants, Boris (20 ans) et Chloé (18 ans), ne supporte pas l’oisiveté ? Après sa candidature en droit à l’université de Liège, celui qui s’enregistrait depuis sa chambre pour commenter des matchs rejoint l’UCL, pour une licence en journalisme. Pigiste touche-à-tout pour Radio Ciel, à Seraing, il en devient rapidement le rédacteur en chef. » J’étais fier de mon premier emploi. A l’époque, je gagnais 20 000 francs par mois (NDLR : 500 euros) pour un contrat de 24 heures par semaine, et j’en prestais au moins le double. » Le culte du travail, encore et toujours.
Le coup de foudre politique
C’est au fil de ses contacts avec le monde politique liégeois que survient le grand basculement, en 1995. Didier Reynders, alors président du groupe PRL-FDF à la Chambre, recherche un attaché de presse. Le député provincial PRL Philippe Wathelet lui parle de Pierre-Yves Jeholet. Quand il rencontre Didier Reynders chez lui, c’est un » coup de foudre politique « , comme le confirme son frère. Les deux hommes se comprennent et se complètent. Cette rencontre le propulse directement dans les plus hautes sphères du parti. Le début d’une loyauté sans bornes, envers le futur président du MR, de 2004 à 2011. Certains y voient la marque d’un » carriériste opportuniste « . L’intéressé, lui, dément : » Je n’ai pas beaucoup d’amis en politique et je ne cherche pas non plus à en avoir. Mais Didier Reynders en fait partie. »
Loyal au plus fort de la fronde qui divisera, dès 2009, le MR liégeois en deux clans, les pro-Reynders et les pro-Michel, précipitant la fin de règne de son modèle politique. Loyal dans la composition de son actuel cabinet ministériel, » une petite cour inféodée à Reynders « , comme le qualifie un détracteur. Son porte- parole, Nicolas Reynders, pourrait difficilement s’exprimer sur ce point. Loyal envers ses autres amis en politique : Jean-Luc Crucke, son colistier au Budget et à l’Energie, Philippe Boury, son chef de cabinet, Charles Gardier, son remplaçant au parlement de Wallonie, ou les députées Caroline Cassart, Kattrin Jadin et feue Véronique Cornet. Soulignant sa » grande fidélité « , Daniel Bacquelaine, ministre fédéral des Pensions, le voit comme un successeur cohérent à la présidence provinciale du MR de Liège. Une loyauté feinte et calculée ? Ses proches le contestent formellement. » J’ai peut-être l’air d’un dur, mais je suis terriblement émotif, affirme ce grand amateur de randonnées. Je ne pourrais ni mentir, ni tricher sur mes sentiments. »
En 1998, des élus de Herve voient d’un mauvais oeil l’arrivée de celui qu’ils assimilent à un apparatchik. Alors qu’il fait construire sa maison avec son épouse, Pierre-Yves Jeholet se profile rapidement comme le chef de file de la liste Herve 2000, qui deviendra ensuite Herve Demain (HDM). En 2006, après six ans d’opposition, il entend décrocher le mayorat pour remettre de l’ordre dans un fief aux mains du PSC puis du CDH depuis des décennies. Si sa liste vire en tête, un accord CDH-PS renvoie HDM au balcon pour six années de plus. Cet épisode le marquera à jamais. » Il m’a fait comprendre qu’il n’y a jamais de cadeau en politique. Pour gagner, il faut être arithmétiquement incontournable, point barre. »
Cadastre des contradictions
Au lendemain de la désillusion, il tient un discours impérial à ses troupes. Leur demande de se remettre au travail. Leur promet la majorité absolue au prochain scrutin. Le soir du 14 octobre 2012, le compteur s’arrête à 52 % des voix en faveur de HDM. Le bulldozer vient de renverser les remparts CDH. Clivant, le nouveau bourgmestre – aujourd’hui empêché – revient sur une promesse de campagne en augmentant les impôts. Sa méthode : de la rigueur budgétaire, avant tout, quitte à avancer à petits pas. L’homme abhorre la » culture des subsides et du saupoudrage « , un symptôme qu’il relie parmi tant d’autres au » système socialiste « . » Je pourrais travailler avec le PS, tempère-t-il. Mais pas avec ceux qui courent après le PTB. »
Certains ricanent déjà à l’idée de recenser ses propres contradictions. » Son discours sur le scandale des rémunérations dans l’intercommunale Publifin est rétrospectivement assez audacieux, quand on sait que le MR était de la fête « , commente un élu wallon. » Le MR a repris la même ruse que le précédent gouvernement pour engager au-delà du plafond requis dans les cabinets « , ajoute le chef de groupe Ecolo Stéphane Hazée. Et si Pierre-Yves Jeholet ne tolère pas les critiques contre son entourage ou sa famille, il lui arrive pourtant d’user de ces mêmes arguments contre ses adversaires politiques. L’ex-ministre socialiste Paul Furlan, qui a démissionné après le séisme Publifin, en janvier dernier, ou l’ancien bourgmestre PSC de Herve, José Spits, s’en souviennent encore.
» Pour ceux qui ne le connaissent pas, Pierre-Yves ne projette pas ce qu’il est réellement « , ramasse Charles Gardier. Voilà sans doute la plus grande de toutes les contradictions. Celle qui ne cesse de surprendre des proches fascinés par sa simplicité et son indéfectible sens de l’amitié, une fois le rideau du théâtre politique tiré.
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