Pierre Minuit, le Wallon qui a acheté Manhattan aux Indiens
En 1626, Pierre Minuit, un calviniste d’origine tournaisienne, a acheté l’île de Manhattan aux Amérindiens. Voici la véritable histoire du fondateur méconnu de New York.
Rendons à Minuit ce qui appartient à Minuit. Victime des légendes non fondées qui entourent la naissance de New York, Pierre Minuit a longtemps été absent des livres d’histoire et reste méconnu en Belgique. Pourtant, ce calviniste d’origine hennuyère, gouverneur de la colonie du Nouveau Monde baptisée « Nova Belgica » ou « Nieuw Neederland » selon les cartes, est considéré aujourd’hui comme l’une des grandes figures de l’histoire de l’Amérique avant les Etats-Unis. Et pour cause : c’est lui qui a acheté l’île de Manhattan aux Amérindiens. Lui aussi qui a développé la bourgade de Nieuw Amsterdam, rebaptisée New York une quarantaine d’années plus tard.
Fils d’un Wallon émigré en Allemagne, Minuit est né à Wesel, dans le duché de Clèves, vers 1585. Ses ancêtres paternels, tournaisiens, ont fui les Pays-Bas espagnols au temps des persécutions religieuses. Etabli à Utrecht, en contact avec les églises réformées wallonnes de Leyde et d’Amsterdam, il s’intéresse aux témoignages des pionniers wallons implantés, depuis 1624, sur un vaste territoire situé entre les Etats actuels du New Jersey et du Connecticut. La Compagnie néerlandaise des Indes occidentales charge alors Minuit de rédiger un rapport sur l’état de la colonie, sur son organisation et ses potentialités commerciales. Le maître-mot est la rentabilité : la Compagnie espère davantage que les quelques fourrures troquées avec les Indiens.
Minuit fait donc un aller-retour outre-Atlantique. Il visite les différents fortins et se rend compte que la dispersion des implantations est un sérieux handicap. Il écoute les plaintes des premiers colons, converse dans leur langue avec les francophones. Il découvre que le gouverneur en place, Willem Verhulst, est détesté : il impose des punitions incessantes et aurait détourné des fonds et volé les Indiens. La faute de trop. Car, en bons calvinistes, les responsables de la Compagnie exigent des colons qu’ils n’abusent pas les indigènes. Impressionnés par le rapport de Minuit et par son plan d’action, ils rapatrient Verhulst et renvoient le Wallon à Nieuw Amsterdam avec le titre de gouverneur et la mission d’y établir une infrastructure qui favorise le commerce.
Le 4 mai 1626, Minuit débarque sur l’île des Manhattes, où la colonie ne compte encore qu’une trentaine de maisons, alignées le long de rues bien tracées. Un fortin protège la grange où sont stockées les vivres. Le village est entouré de champs et vergers entretenus par des Wallons. Habitué à diriger des groupes, le nouveau gouverneur compose son conseil. C’est à ces huit compagnons qu’il fait part de sa première ambition : acheter l’île aux autochtones. La cérémonie d’achat se serait déroulée le 26 mai, trois semaines après l’arrivée de Minuit en Amérique.
Pour acquérir l’île, il aurait offert aux Indiens des tissus, des haches, des ustensiles de cuisine. Valeur estimée : 60 florins, l’équivalent d’une semaine de salaire du gouverneur ! Homme entreprenant, Minuit fait croître Nieuw Amsterdam. Le fortin est remplacé par un édifice en dur, protégé par des bastions et des fossés. Les fermes alentour, appelées « bouveries », rappellent les exploitations de Wallonie. Pour faciliter l’acheminement du blé vers le bourg, une route est tracée, Breedweg, futur Broadway. Soucieux de pacifier la région et de nouer de nouveaux contacts commerciaux, Minuit veille à rester en bons termes avec les tribus indiennes voisines de l’île.
Mais après cinq ans d’efforts, il est suspendu de ses fonctions, victime de l’hostilité du nouveau pasteur de la communauté et des intrigues d’un directeur de la Compagnie, qui cherchait à imposer son neveu au poste de gouverneur. Rappelé dans les Provinces-Unies, il est licencié en 1632.
Entré au service du roi de Suède, qui a lui aussi accueilli dans son pays de nombreux protestants originaires des Pays-Bas espagnols, Minuit repart outre-Atlantique en 1638. Il y crée Fort Christina, un avant-poste à l’embouchure du Delaware. Fier de son travail, il tient à faire le récit de l’établissement de la Nouvelle-Suède à ses commanditaires. Mais il ne reverra jamais l’Europe : il disparaît le 5 août 1638 dans un ouragan au large de l’île de St-Christophe, aux Antilles.
Néerlandais, Allemands, Suédois… s’approprient Minuit
Les origines de Minuit et son sinueux parcours ont brouillé les pistes et favorisé des tentatives de « récupération ». Les Hollandais revendiquent la nationalité batave de « Pieter Minnewit ». Les Suédois, son appartenance à l’histoire scandinave. Les Allemands lui ont élevé une statue à Wesel, sa ville natale. Les Français, eux, ont assuré qu’ils avaient trouvé sa trace à Valenciennes.
Jusqu’il y a une douzaine d’années, beaucoup, en Belgique, étaient persuadés que Minuit était natif du village d’Ohain, en Brabant wallon, où un quartier créé en 1979 a même été baptisé Manhattan ! Cette confusion a été entretenue par l’académicien Robert Goffin. Réfugié aux Etats-Unis pendant la Seconde Guerre mondiale, il tentait de sensibiliser les Américains au sort de son pays en évoquant le souvenir des premiers habitants de New York, des Wallons. En réalité, les racines familiales de Minuit sont tournaisiennes, comme le révèlent les archives locales.
Surtout, la paternité de la fondation de New York a été attribuée, à tort, au gouverneur hollandais Peter Stuyvesant, arrivé à Nieuw Amsterdam plus de vingt ans après Minuit. Or, l’homme qui a donné son nom à une marque de cigarettes ne peut être considéré comme le premier responsable du développement de Manhattan. Son principal « fait d’armes » aura été, en 1664, la cession aux Anglais de l’île dont il avait la garde. Reste que, ces dernières années, les Pays-Bas n’ont cessé d’affirmer aux New-Yorkais qu’ils leur devaient tout et que les Wallons n’étaient qu’ « un détail de l’histoire néerlandaise de New York » (pour citer le magazine Trouw).
La biographie qu’Yves Vander Cruysen consacre à Pierre Minuit, à paraître ces jours-ci (Pierre Minuit, l’homme qui acheta Manhattan, éditions Jourdan), vise à remettre les pendules à l’heure. Confronté à la disparition de la plupart des archives – celles de la ville de New York ont été brûlées dans l’incendie de la State Library, en mars 1911 -, l’auteur a effectué des recherches aux Etats-Unis, à Tournai, Bruxelles, Wesel et Göteborg. Son objectif : redonner à la Belgique un petit bout de son histoire.
Les extraits de la biographie consacrée à Pierre Minuit dans Le Vif/L’Express de cette semaine.
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