Luc Delfosse
Philippe, pauvre héritier
Honni soit qui mal y pense, mais en matière de communication sur une imminente passation de pouvoir, le Palais sucre étrangement les fraises.
Bien sûr, à l’aube de la quatre-vingtaine, on comprend bien que le roi Albert est fatigué, pour ne pas dire usé par le labeur qui a été le sien ces dernières années, sa couronne étant pour ainsi dire en équilibre aussi instable que celui de ce royaume depuis que la N-VA y donne sans façon le la. Ou y sonne le glas.
Oh bien sûr le chef de l’État est aussi d’une nature plus légère, moins « douloureuse » que feu son frère. Cet homme d’une certaine gaieté, évidemment plus enclin au dolce farniente et aux joies du cabotage sur la grande bleue, n’entend manifestement pas mourir en ses atours, ses ors et ses très austères devoirs.
Bien sûr, ses enfants, les mâles reconnus à tout le moins, lui causent bien du souci. On sait Laurent ingérable, colérique et capricieux. Quant à l’aîné, Philippe, certes un peu plus sûr de lui depuis quelques années et un tantinet moins gaffeur, il est toujours considéré à tort ou à raison comme un héritier plutôt falot pour ne pas dire niais par un nombre considérable de Belges.
Et son père, en personne ?
Ah ! mais nous voilà précisément au coeur de l’étrange mélodrame qui se joue sous nos yeux avec, d’un côté, un monarque dont on sent bien que la quille l’obsède et de l’autre un prince cinquantenaire dont chacun et… sa famille elle-même semble se demander s’il a l’étoffe d’un chef d’État depuis que Baudouin, l’autre siècle déjà, s’escrimait publiquement à lui mettre le pied au royal étrier.
Car enfin, en distillant les fuites depuis quelques mois sur une « prochaine » abdication, en ne démentant rien ni même de « discrètes consultations » sur la date du renoncement et le couronnement éventuel de Philippe Ier, le Palais et le gouvernement viennent encore accentuer, à l’insu de leur plein gré si l’on ose dire, l’image de l’incommensurable faiblesse pour ne pas dire de l’incompétence de Philippe. Agissant de la sorte, valse hésitant, se tâtant si laborieusement, le « 16 » et Albert II lui-même accréditent maladroitement la thèse selon laquelle ce « garçon », pour parler cru, serait trop frêle, trop inexpérimenté, trop « bleu » en quelque sorte pour gérer la situation de crise que devrait engendrer, l’an prochain, la mère des élections et le triomphe escompté de la NVA au Nord (sans compter le racrapotement jusqu’à peau de chagrin des compétences royales, qui est déjà inscrit dans les astres).
Quoi ! trop « frêle » alors que voilà plus de trente ans qu’on le prépare au métier ! Et si non : pourquoi ne pas y aller franco, sans… atermoiements funestes ?
Mais quand cet homme timide et humilié prêtera serment en juillet ou en novembre prochain ou à la Saint-Glinglin, mais de toute façon dans des conditions humaines et politiques chaotiques, il aura décidément de très bonnes raisons pour gronder dans sa barbe de monarque bientôt protocolaire, que l’on n’est jamais si bien trahi que par les siens.
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