Thierry Fiorilli
Philippe, le maître atout d’Elio Di Rupo
Or donc, il ne faut surtout pas qu’Albert II abdique. Pas maintenant. Pas avant les élections de 2014. Pas avant la formation du gouvernement qui en découlera.
Pas tant que la N-VA peut s’arc-bouter de tout son poids sur les coins enfoncés dans le jointoyage des briques nationales pour faire s’écrouler tout ce qui reste de l’édifice belge. Pas tant que Delphine lui cherche des poux. Qu’il soit fatigué, qu’il ait envie d’autre chose, que sa fonction soit officiellement surtout protocolaire, que Benoît XVI ait (re)dessiné la voie en décidant de céder de son vivant le flambeau pontifical, que Beatrix ait laissé son trône à son fils en toute simplicité, peu importe : l’actuel roi des Belges doit rester en fonction. Coûte que coûte.
Et Philippe ne lui succèder que le plus tard possible. Amen.
On connaît la prière depuis des mois. Et, depuis des années, l’effroi qu’inspire la perspective de voir régner un jour le fils aîné d’Albert II.
On pourrait pourtant considérer les choses sous un autre angle. En n’envisageant pas l’après-25 mai 2014. Mais l’avant. En ne se focalisant plus uniquement sur les services de secours à mobiliser une fois les scrutins fédéral, régionaux et européen joués, et la N-VA consacrée. Mais en estimant qu’on peut tenter d’endiguer le raz-de-marée des nationalistes flamands. En leur minant le terrain. En occultant leurs thèmes de campagne. En pariant sur le fait qu’il y a moyen de lui couper le son. D’empêcher qu’on leur déroule le tapis rouge.
Comment ? En tablant sur une reprise économique, même timide, qui permettrait de desserrer l’étau de la rigueur. En spéculant sur d’autres comportements suicidaires des seconds couteaux du parti de Bart De Wever (ceux qui changent les noms français des friteries, ceux qui baissent leur pantalon devant les francophones, ceux qui décrédibilisent leur rôle et leur formation). Autant d’éléments favorables, mais sur lesquels Elio Di Rupo et tous ceux qui veulent abattre la N-VA n’ont aucune prise.
En revanche, ils peuvent presser Albert II d’abdiquer. Et Philippe d’enfin sauter le pas.
Dans ce scénario, l’actuel roi annoncerait dès son discours du 20 juillet sa décision de se retirer. (Et de reconnaître sa fille naturelle, tant qu’à faire, ce qui lui garantirait une fin de vie sans plus aucune pression.) Philippe monterait sur le trône à l’automne. Festivités nationales. Elans patriotiques. Joyeuses entrées à Bruxelles, Namur, Gand, Liège, Charleroi. Belle foire d’empoigne à Anvers, capitale de N-VAland. Reconstruction d’un large sentiment d’identité belge, d’appartenance au même pays. Accéléré et amplifié par la probable qualification des Diables rouges pour la Coupe du monde de football (elle serait décrochée cet automne, elle aussi). Accord au sein de la majorité fédérale sur les modifications du statut royal à faire voter sous la prochaine législature – tout ce qui rognera le risque d’influence, d’intervention, d’avertissement, de divisions communautaires du nouveau roi.
Autant d’événements susceptibles d’ôter de la lumière et de l’écho aux patrouilles de De Wever. Autant d’occasions d’empêcher le favori de la compétition d’occuper toute la scène. Autant de possibilités d’augmenter les chances, après « la mère de toutes les élections », de reconduire la même tripartite au fédéral et de limiter la toute-puissance de la N-VA au gouvernement régional flamand.
Autant d’arguments pour transformer Philippe en, sinon meilleur allié d’Elio Di Rupo, au moins en maître atout. Davantage que son père, aujourd’hui, en tout cas. La vie est toujours pleine de rebondissements. Même dans les meilleures familles.
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