Carte blanche

Peut-on laisser les élus repenser seuls la gouvernance ?

Le monde politique est en pleine crise : rémunérations excessives, jeux d’influence, cumuls de mandats parfois invraisemblables… Des négociations sont aujourd’hui en cours, à huis clos, entre les directions de partis et leurs conseillers pour s’accorder sur une réforme de la gouvernance en Wallonie et à Bruxelles.

Il s’agit là de la façon traditionnelle de gérer les crises politiques en Belgique. Nous pensons cependant que laisser à ce petit groupe de personnes le soin de régler les problèmes démocratiques actuels ne permettra pas de réellement combler le fossé entre représentants et représentés. Nous sommes convaincu.e.s que si les élu.e.s veulent réellement restaurer un climat de confiance avec les personnes qu’ils ou elles représentent, il est préférable de co‑construire ces réformes avec la population, et non uniquement entre les professionnels de la politique. Ceci permettrait d’aboutir à une réforme radicalement démocratique de la gouvernance en évitant les mesures de façade.

S’inspirer des expériences d’assemblées délibératives à l’étranger

De manière concrète, nous proposons de nous inspirer d’expériences démocratiques récentes qui ont été menées à l’étranger. Parmi celles-ci, on retrouve les assemblées délibératives. Ces assemblées permettent à des citoyen.ne.s tiré.e.s au sort parmi l’ensemble de la population, de discuter d’une problématique précise et de proposer ensuite des recommandations qui seront soumises à un référendum. Au Canada et aux Pays-Bas, les règles électorales ont été débattues par ces assemblées. En Irlande, les citoyens et citoyennes ont été jusqu’à proposer des réformes de la Constitution. En 2013, une assemblée délibérative irlandaise composée de 33 élus et 66 personnes tiré.e.s au sort a été réunie. Les participants ont débattu pendant seize mois, au cours desquels ils ont recueilli des informations et des témoignages, et échangé leurs différentes opinions. Ensuite, ils ont fourni des recommandations de modifications de la Constitution, dont certaines ont été soumises à référendum. À titre d’illustration, c’est par cette procédure que le mariage entre personnes de même sexe a été introduit dans la législation irlandaise, alors que le pays était pourtant très divisé sur la question.

Combiner assemblée citoyenne tirée au sort et consultation populaire sur la gouvernance

Ces expériences innovantes pourraient très bien être reproduites en Belgique. En effet, la Région wallonne et la Région bruxelloise pourraient décider d’expérimenter d’autres formes que la démocratie représentative classique en instituant une « Convention sur la gouvernance », pouvant par exemple mêler des élu.e.s et des citoyen.ne.s tiré.e.s au sort, comme ce fut le cas en Irlande. Ces citoyens et citoyennes non professionnel.le.s de la politique amèneraient un regard extérieur et plus critique sur les questions de gouvernance, tandis que les élus et élues apporteraient leur connaissance et leur expérience de la gestion publique et de ses contraintes. Cette « Convention sur la gouvernance » déboucherait sur un texte, reprenant les réformes jugées nécessaires pour assainir le monde politique.

Même si le référendum n’est pas autorisé par la Constitution belge, la consultation populaire a été rendue constitutionnellement possible au niveau régional depuis la sixième réforme de l’Etat. Nous pourrions dès lors imaginer que les propositions de l’assemblée délibérative seraient cette fois soumises à une consultation populaire régionale, afin d’être approuvées par un vote de l’ensemble du corps électoral de la région concernée. Etant donné que les consultations populaires sont des outils légaux non-contraignants pour les politiques, il existe un risque que les parlements wallon et bruxellois ne suivent pas ces recommandations. Toutefois, la présence préalable d’élu.e.s dans la convention, associée au risque de sanction électorale très importante en cas de non-respect du vote populaire, rendrait un rejet difficile, ou à tout le moins politiquement coûteux.

Mêler démocratie représentative, délibérative et participative pour sortir de la crise politique

Il s’agirait donc d’un processus en trois temps, ayant pour but de combiner démocratie représentative (l’initiative devant émaner des personnes élues et le texte étant ultimement adopté par un parlement), démocratie délibérative (discussion approfondie entre élu.e.s et citoyen.ne.s tiré.e.s au sort) et démocratie participative (approbation ou rejet du texte final par l’ensemble des citoyen.ne.s). Dans le dossier houleux de la réforme de la gouvernance belge francophone, ce processus participatif pourrait permettre à la population de trouver avec les élu.e.s des solutions aux problèmes actuels, comme ceux des cumuls des mandats et des rémunérations excessives, et par là, réduire le fossé entre gouvernants et gouvernés. Qu’attendons-nous pour tenter de réformer radicalement notre démocratie par des expériences innovantes permettant à toutes et tous de prendre part aux affaires publiques ?

Vincent Jacquet, Olivier Malay, David Petit, Raphaël Rousseau, Pierre-Etienne Vandamme, Sixtine van Outryve d’Ydewalle – Membres du collectif organisateur du Panel citoyen LLN & chercheurs et chercheuse à l’Université catholique de Louvain en sciences politiques, économie, géographie philosophie et droit.

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