Peur des returnees? « Les suspects de terrorisme en Belgique sont davantage un groupe à risque »
Alain Grignard, expert en terrorisme auprès de la police fédérale, ne craint pas un retour massif des combattants de Syrie. Il est davantage préoccupé par les nombreux suspects de terrorisme qui sont libérés en Belgique. » Il n’existe pas de Local Task Force ou une autre structure prête à les suivre. «
Alain Grignard (65 ans) a été convoqué comme expert par la commission d’enquête parlementaire sur les attentats du 22 mars à Bruxelles. Ayant déjà traité des dossiers terroristes de haut niveau (les CCC, par exemple), il est désormais commissaire à la police judiciaire fédérale. Il enseigne également l’islamologie au Centre d’Étude sur la Radicalisation et le Terrorisme (CETR) de l’université de Liège. Il s’est entretenu avec notre confrère de Knack à propos de la chute du califat de l’Etat islamique et le risque que représentent les Foreign Terrorist Fighters (FTF).
Devons-nous craindre ceux qui reviennent du Califat ?
La chance que les étrangers puissent s’échapper vers l’Occident est faible. Les Européens ne peuvent se cacher nulle part, tout comme les gens du Maghreb qui sont aussi dans le viseur. Il y a un gros risque qu’ils soient dénoncés ou tués, car ces FTF sont détestés par tout le monde là-bas. Bien sûr, il faut rester vigilant. Ils n’ont pas besoin de revenir en nombre. Quelques-uns avec de mauvaises intentions suffisent à causer beaucoup de tort.
Durant la bataille de Mossoul, une centaine de combattants de l’EI, dont un certain nombre de Belges, ont été capturés. Comment notre pays devra-t-il réagir si une condamnation à mort concerne un compatriote ?
Notre pays doit-il réagir ? Vous ne pouvez pas reprocher aux Irakiens de poursuivre et de punir les terroristes étrangers pour les actes qu’ils ont commis en Irak. Mais ne vous inquiétez pas, la plupart des FTF ne verront jamais un juge. Que pensez-vous qu’il se passe lorsqu’ils en tiennent un ? Ils sont d’abord interrogés, souvent en présence des forces spéciales américaines. Lorsque toutes les informations ont été arrachées, on s’en débarrasse. Les procès réels, qui seront réservés à certains dirigeants de l’EI, serviront d’exemple pour montrer au monde que la primauté du droit fonctionne. Des gars du calibre de Tarik Jadaoun (célèbre combattant belge de l’EI, aussi connu sous le nom de Abu Hamza Al-Belgiki, ndlr), risquent en effet la peine de mort.
Le monde est-il devenu plus sûr après la chute du califat, ou le risque d’attaques en Occident va-t-il augmenter ?
C’est certainement une bonne chose que l’EI n’ait plus de territoire à partir duquel des opérations militaires puissent être mises en place. L’effet d’attraction sur les djihadistes étrangers a également largement disparu. Mais le danger n’a pas disparu, car l’idéologie reste vivante. Tout comme les causes sous-jacentes qui expliquent l’attrait de l’EI. Peut-être qu’Al-Qaïda va prendre à nouveau le dessus. Avec le fils de Ben Laden comme nouveau leader, le groupe jouit encore d’un certain prestige. Les textes théoriques sur le djihad qui sont partagés sur les réseaux sociaux sont presque tous attribués à Al-Qaïda. La source d’inspiration ne s’est donc pas asséchée. C’est pour ça que le risque de terrorisme interne (homegrown terrorism) reste réel.
Dans les mois à venir, un certain nombre de FTF qui purgent leur peine en Belgique seront libérés. L’objectif est de les accompagner via des groupes d’intervention locaux (Local Task Force). Est-ce réaliste ?
Je suis sceptique. Dans la seule région de Bruxelles, il y a environ 100 FTF, dont la plupart sont toujours en prison. Vont-ils tous les contrôler via une Local Task Force ? Je crains qu’il y ait des problèmes de capacité et de coordination. Ce qui m’inquiète encore plus, ce sont les quelque 200 suspects que nous avons arrêtés entre l’opération contre la cellule terroriste de Verviers et les attentats du 22 mars 2016. Nous avons brassé très large et arrêté tous ceux qui pourraient être suspectés de terrorisme. C’est ici tout le dilemme : contrairement au grand banditisme, vous ne réagissez pas aux faits commis. Avec les dossiers de terrorisme, vous devez anticiper, vous devez arrêter les gens sur base de prétendues intentions. Beaucoup de personnes qui ont été arrêtées sont désormais libres. C’est logique, car ils n’ont commis aucun fait grave et ont donc reçu de peines relativement courtes.
Pourquoi est-ce inquiétant ?
Un détenu quitte rarement la prison en étant une meilleure personne. Cela doit également s’appliquer aux FTF. On peut penser qu’ils vont retourner dans la société avec du ressentiment et de l’amertume. C’est donc un groupe à risque, et il n’y a pas de Local Task Force ou une autre structure prête à suivre ce groupe.
Aucun pays n’a vu, proportionnellement, partir autant de jeunes en Syrie que la Belgique. Pouvez-vous l’expliquer ?
(Soupir) Je ne veux pas sous-estimer le phénomène, mais l’image de la Belgique comme vivier de combattants de l’EI n’est pas juste. Nous sommes en quelque sorte victimes de notre transparence. L’OCAM a une estimation assez précise des personnes parties vers la Syrie. Quand je demande des chiffres aux collègues français, ils admettent qu’ils n’en ont aucune idée.
Arriverons-nous un jour à contenir ce phénomène ?
Un monde sans menace terroriste ? Nous devons abandonner cette illusion. En Europe, nous vivons depuis longtemps dans une bulle, avec la conviction naïve que les guerres et les flux de réfugiés au Moyen-Orient et en Afrique ne nous affectent pas. La terreur est une arme psychologique, et l’EI le sait. C’est efficace, il suffit de penser à l’attaque ratée du Thalys. Il n’y a eu aucun mort, personne n’a revendiqué l’attaque, et pourtant son effet ne peut être nié. On ne prend plus le Thalys comme avant, nous sommes déjà inquiets quand quelqu’un monte avec un sac à dos. Surtout lorsqu’il s’agit d’un personne à la couleur de peau foncée. Et c’est exactement ce que les mouvements comme l’EI souhaitent. Plus le fossé entre les musulmans et le reste de la société est profond, plus leur idéologie se renforce. Nous ne devons pas entrer dans ce piège, nous ne pouvons pas nous laisser entrainer par des émotions. C’est un cliché, mais c’est également criant de vérité : la possibilité de mourir à cause d’un accident de la route est encore beaucoup plus importante que d’être victime d’un attentat.
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