Patrick Dupriez
Peste porcine africaine : « L’abattage de 4000 porcs sains est un désastre éthique et moral »
« Il n’y a plus de cochons vivant en Gaume. Peut-être pour longtemps… », déplore Patrick Dupriez, coprésident d’Ecolo.
C’est une activité économique qui disparaît. C’est le patrimoine génétique, fruit d’un travail de longue haleine de la part des éleveurs, qui a été anéanti en quelques jours. C’est aussi un désastre éthique et moral : l’abattage de 4000 porcs qui n’ont majoritairement pas pu être consommés alors qu’ils étaient sains.
L’abattage de 4000 porcs sains est un désastre éthique et moral
Imaginez la détresse d’un éleveur qui voit ses animaux euthanasiés sur sa ferme et le cadavre laissé là jusqu’au passage de la société qui l’éliminera… Les Verts partagent la colère et l’écoeurement des éleveurs et de nombreux citoyens face à la radicalité, à la précipitation et aux conséquences de la décision prise par le ministre Ducarme suite à la détection du virus de la Peste porcine africaine sur des sangliers. Mais nous nous interrogeons aussi sur l’absence d’autres mesures qui nous semblent pourtant indispensables.
La décision d’abattre et de détruire
À ce jour, ni les organisations agricoles, ni les parlementaires n’ont d’informations précises, sur les arguments scientifiques qui ont justifié la décision d’abattre tous les porcs de la zone circonscrite de 63.000 hectares dans un délai aussi court. Quels experts ont été consultés ? Quelles études de référence ont été mobilisées ? Une telle urgence était-elle nécessaire et surtout proportionnée au risque ? Une zone plus réduite, par exemple les 3000 ha actuellement concernés par la présence du virus, n’aurait-elle pas été envisageable ? Une évaluation du risque de dissémination n’était-elle pas possible, considérant, dans le cas hypothétique de contamination, que des petits élevages de moins de 50 animaux fournissent un marché limité ?
Le ministre a de toute évidence décidé seul, puisque l’Europe n’imposait pas une telle mesure. Il a de la sorte explicitement favorisé les intérêts économiques de l’industrie porcine orientée vers l’exportation. À une époque où chacun vante volontiers les mérites du circuit court et de la transition, on peut s’étonner d’une décision aussi précipitée qui, de facto, protège le secteur industriel en sacrifiant des dizaines de petites exploitations inscrites dans une démarche d’agriculture durable soucieuse de la santé des citoyens.
Les modalités de décision et de mise en oeuvre
Comment expliquer qu’une décision aussi lourde de conséquences et de sens ait pu être prise par le ministre sans concertation préalable avec les représentants des éleveurs ? Une consultation des premiers concernés aurait pu permettre l’émergence de solutions alternatives, mesurées et cohérentes par rapport à la réalité de terrain.
Ainsi, un suivi sanitaire rapproché des exploitations associé à une mise en quarantaine aurait peut-être permis d’offrir un délai d’action raisonnable et proportionné au risque réel de contamination. Et ce, d’autant plus que l’ensemble des éleveurs a dû doubler ses clôtures quelques jours avant l’Arrêté ministériel….
Une fois la décision d’abattage prise, les autorités wallonnes et fédérales n’ont pas pris la peine d’organiser celui-ci en assurant la valorisation commerciale des animaux : plateforme de commercialisation en urgence, réquisition d’abattoirs (Gedinne et surtout Bastogne), ajout de frigos à l’abattoir de Virton (ceux de la protection civile, par exemple). Des modalités de stockage et de commercialisation en circuits courts ou de mise à disposition de banques alimentaires auraient pu être mises en oeuvre rapidement pour éviter que ce gaspillage indécent s’ajoute à la barbarie de la destruction de tant d’animaux. De nombreux citoyens se sont d’ailleurs organisés, spontanément, pour montrer leur solidarité envers les éleveurs touchés.
Et, finalement, la commercialisation des porcs abattus dans le respect des normes sanitaires n’a même pas été envisagée, alors que la FAO et l’Institut fédéral allemand d’évaluation des risques indiquent qu’une cuisson de quelques minutes à 70° détruit le virus de la PPA. L’organisation ou l’autorisation par l’AFSCA de la préparation des viandes après abattage aurait dû être étudiée.
Les écologistes posent donc la question : qu’aurait pu faire la Région wallonne pour négocier un moratoire de quelques jours, préserver un maximum d’exploitations et permettre que davantage de porcs puissent entrer dans la filière alimentaire plutôt que d’être détruits ? S’il est trop tard pour les élevages gaumais, il est impératif de tirer les leçons de ce gâchis pour anticiper d’autres situations semblables. L’enjeu est économique, mais aussi éthique : le respect des animaux et la considération à l’égard de ceux qui nous nourrissent se prouveront à travers la capacité des outils publics wallons à prévenir de telles crises.
L’indemnisation des agriculteurs
Face à la décision des ministres Ducarme et Collin, les agriculteurs se sont rapidement résignés à négocier l’indemnisation des pertes subies au risque de tout perdre. Mais de nombreuses incertitudes persistent et s’ajoutent à leur détresse.
Pour Ecolo, les indemnisations envisagées doivent absolument tenir compte du préjudice réel subi par les éleveurs, en particulier pour les exploitations bio, plein air… Seul un véritable accompagnement dans la durée – plus de 6 mois assurément ! – leur permettra de se reconstituer un cheptel et un patrimoine génétique, mais aussi de reconquérir les marchés qui auront été contractés par d’autres producteurs probablement étrangers.
Les éleveurs ont été sacrifiés pour rassurer les marchés et prévenir une potentielle propagation du virus chez les porcs. Après avoir imposé une mesure si lourde, décidée dans l’urgence et sans consultation des principaux concernés, le gouvernement a une obligation morale envers les producteurs. Elle dépasse largement quelques euros par porc… Il serait inconcevable que les pouvoirs publics ne prennent pas leurs responsabilités: assurer un véritable suivi sur toute la période de reprise de l’activité et responsabiliser l’ensemble des acteurs de la filière sur leur rôle de soutien des élevages porcins de qualité différenciée.
La prévention contre de nouvelles contaminations par le virus de la PPA
Plusieurs hypothèses existent pour expliquer l’arrivée – par ailleurs annoncée de longue date – du virus de la PPA en Wallonie. Ecolo s’interroge sur les mesures qui sont aujourd’hui prises pour éviter de nouvelles contaminations.
Ainsi, l’AFSCA évoque des tonnes d’aliments potentiellement contaminants jetés le long des routes ou encore les risques de contaminations par les chasseurs qui participent à des voyages de chasses dans des pays où la PPA est présente. Quelles mesures sont prises face à ces risques ?
La chasse est ouverte sur le territoire wallon depuis ce lundi à l’exception des 63.000 hectares circonscrits. Mais quelles instructions ont été données aux sociétés de chasses pour détecter d’éventuels nouveaux foyers et éviter la propagation du virus ?
Enfin, quel plan d’action est aujourd’hui prévu en cas de détection d’un foyer de contamination ailleurs en Wallonie, singulièrement dans des massifs forestiers à la densité de sangliers bien plus importante qu’en Gaume ?
L’élimination des sangliers et la réduction des risques
Le massacre des porcs sains et l’interdiction de circulation en forêt sont d’autant plus difficiles à admettre que l’élimination des sangliers de la zone contaminée n’est ni commencée, ni programmée. Ecolo demande que soient envisagées rapidement les techniques de destruction recommandées par la FAO et expérimentées ailleurs – par exemple l’utilisation du piégeage qui permet d’éviter la dispersion des sangliers – à tout le moins dans la zone de 3000 hectares où sont concentrés les animaux détectés positifs à la PPA.
Le problème de la surdensité de grands ongulés en Wallonie est dénoncé de longue date, notamment en raison du risque sanitaire qu’elle entraîne ou accroît. Alors qu’en juin dernier l’EFSA donnait des recommandations très claires pour éviter la propagation de la peste porcine, parmi lesquelles l’interdiction de tout nourrissage, il reste incompréhensible que le ministre Collin n’en ait pas tenu compte. Si le nourrissage dit « dissuasif » est un facteur aggravant les densités de sangliers, il accélère également la vitesse de propagation des virus. En conséquence, Ecolo (re)demande l’interdiction immédiate du nourrissage et de ses formes détournées comme les cultures de maïs en forêt ou en lisière forestière.
L’arrêté ministériel prolongeant la période de chasse constitue en outre, une fois encore, un abandon de responsabilité politique : inviter les chasseurs à réduire les populations sans assortir cet objectif d’obligations est totalement insuffisant. Des quotas doivent être imposés et des vérifications par le DNF systématisées avec sanctions à la clef pour ceux qui n’assument pas leurs responsabilités à l’égard de la société. La FWA vient de prendre une position extrêmement ferme en ce sens.
Le vivant n’est pas une marchandise. La protection de notre agriculture comme celle des différentes fonctions de la forêt appelle des mesures raisonnées prises dans la transparence et en concertation avec les scientifiques et les acteurs des secteurs concernés. Et si le gâchis de ces derniers jours, dont les lourdes conséquences se feront longtemps ressentir, est irréparable, les écologistes appellent au moins à préparer le futur pour éviter qu’il ne se reproduise.
Patrick Dupriez
Coprésident d’ECOLO
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