Périphérie : « Le Conseil d’Etat a apporté la bonne interprétation des facilités »
En annulant les décisions des communes respectant la nouvelle jurisprudence du Conseil d’Etat, la ministre Homans (N-VA) « méconnaîtrait totalement » la portée du « très grand arrêt de principe » rendu par la haute juridiction administrative. Le point avec Christian Behrendt, professeur de droit public à l’Université de Liège.
Le 20 juin 2014, dans un arrêt confirmant la nomination de Véronique Caprasse (Défi, alors FDF) au mayorat de Crainhem, le Conseil d’Etat a voulu apporter une solution définitive à l’interprétation des facilités linguistiques dans les six communes à statut spécial de la périphérie bruxelloise.
Depuis cette date, les francophones qui le souhaitent peuvent signaler à l’autorité locale qu’ils désirent recevoir leurs documents administratifs en français. Cette mesure est valable quatre ans. Passé ce délai, et sans nouvelle demande exprimée, le courrier est à nouveau automatiquement adressé en néerlandais, la langue de la région.
Fortes de cet arrêt, rendu par l’assemblée générale bilingue de la haute juridiction administrative, les communes concernées ont fait appel à la société privée flamande Remmicom, qui a établi pour elles un programme informatique. Le code N, qui apparaît, dès l’origine, à côté du nom de chaque habitant, se change en F, à la demande et durant quatre ans. Si la demande n’a pas été réitérée au bout de quatre ans, le code N réapparaît automatiquement. Cinq des six communes ont opté pour cette solution.
Wemmel, dont le bourgmestre est néerlandophone, a fait appel à Remmicom mais l’annulation des décisions des cinq communes « pionnières » par la ministre flamande de l’Intérieur, Liesbeth Homans (N-VA), est intervenue avant que cette entité du nord de Bruxelles ait pu s’engager dans la procédure. Le maïeur, Walter Van Steenkiste : « Nous sommes prêts à lancer la procédure, dès que nous y serons obligés. J’attends une décision définitive qui clarifie la situation (des recours ont été introduits au Conseil d’Etat, NDLR). On est dans le flou, ce n’est pas correct. Le régime des facilités relève du pouvoir fédéral, Mme Homans n’est pas compétente pour les interpréter. »
Liesbeth Homans affirme que les décisions des communes violent la Constitution, les lois linguistiques en matière administrative et les circulaires flamandes.
Prenons l’exemple de la décision ministérielle signifiée au collège de Wezembeek-Oppem, dont le bourgmestre est Frédéric Petit (MR). Nous avons soumis l’argumentation de Mme Homans à Christian Behrendt, professeur de droit public et constitutionnel à l’Université de Liège.
Mme Homans ne veut pas tenir compte de l’arrêt du Conseil d’Etat, instaurant une nouvelle jurisprudence en matière de facilités linguistiques…
Mme Homans fait comme s’il s’agissait là d’un petit arrêt du Conseil d’Etat, rendu par une toute petite assemblée générale (paritairement bilingue, NDLR), dans une toute petite affaire sans aucun intérêt… Et comme si, à côté, il y avait eu de grands arrêts rendus au préalable par les chambres flamandes… (1) Dans sa décision (« De faciliteiten moeten keer op keer worden aangevraagd »), elle se livre à l’exacte négation du nouvel arrêt rendu en assemblée générale par le Conseil d’Etat.
La ministre prétend que la « solution des quatre ans » est développée dans les considérants de l’arrêt et pas dans le dispositif (la décision en elle-même, NDLR). Elle n’aurait donc aucune valeur juridique…
C’est totalement méconnaître le fait que cet arrêt veut tracer une ligne directrice dont on peut penser que le Conseil d’Etat se l’appliquera aussi à lui-même, à l’avenir… En cela, cet arrêt a une portée bien plus large que le seul règlement du sort de la bourgmestre Caprasse.
Cet arrêt du Conseil d’Etat est un très grand arrêt de principe et se veut d’ailleurs comme tel. Quand le Conseil d’Etat rend un arrêt en assemblée générale, j’insiste, il veut tracer une direction de jurisprudence. Cet arrêt se veut pacificateur et consensuel. Il souhaite, c’est son rôle, apporter une bonne interprétation à la législation linguistique. Et il est très équilibré. Il développe tout un raisonnement sur la portée des facilités linguistiques en périphérie bruxelloise. Il apporte une sécurité juridique à une matière qui relève avant tout de la compétence du législateur fédéral. Demain matin, l’autorité fédérale pourrait prendre une circulaire en la matière mais elle ne parvient pas à le faire… Plus personne, dans ce pays, ne parvenait à le faire… Le Conseil d’Etat, dans une assemblée générale paritairement composée, avec un grand nombre de magistrats, est arrivé, lui, consensuellement à une solution.
Liesbeth Homans considère que le dispositif mis au point par la société Remmicom constitue un enregistrement automatique de l’appartenance linguistique des habitants. Il aboutirait, à terme à l’instauration d’un régime bilingue dans ces communes unilingues flamandes. Heurtant ainsi la primauté du néerlandais en Flandre et les fondements de la construction institutionnelle de notre Etat fédéral…
Le Conseil d’Etat a trouvé un point d’équilibre entre les thèses francophone (« francophone, une fois pour toutes ») et flamande (demande répétée pour chaque document), qui respecte la primauté de la langue néerlandaise et le principe d’intégration linguistique progressive des citoyens allophones, même si les délais de quatre ans sont reconductibles sans limite.
Intellectuellement, je ne comprends pas comment, à l’ère de l’informatique, on pourrait faire autre chose que tenir à jour une banque de données reprenant les souhaits linguistiques de plusieurs milliers d’habitants… A moins de conserver d’énormes classeurs papier sur de multiples étagères, renfermant les fameuses lettres… Ce système serait particulièrement chronophage… Il me paraît difficilement concevable d’avoir un système qui garantisse l’application du système mis en place par le Conseil d’Etat sans que la commune dispose d’un registre…
Propos recueillis par Michelle Lamensch
(1) Avant la réforme de l’Etat de 2012, le contentieux administratif des communes à facilités de la périphérie était traité exclusivement par des chambres flamandes du Conseil d’Etat.
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