Peter Mertens
Perdre son emploi ou toucher moins d’indemnité : le faux choix proposé par le gouvernement aux malades de longue durée
Depuis 2017, les malades de longue durée sont activés via ce qu’on appelle une « procédure de réintégration ». Mais, dans 70 % des cas, le patron dit qu’il n’y a ni travail adapté ni autre travail disponible et le travailleur malade est licencié sans la moindre indemnité. Ce mardi 22 mai, le Conseil des ministres a décidé que les travailleurs malades qui collaborent insuffisamment à cette procédure de licenciement pourront perdre de 5 à 10 % de leur indemnité de maladie. Les sanctions possibles pour les patrons qui ne procurent pas un travail adapté ou un autre travail sont quasiment supprimées.
Une perte de 5 ou 10 % de l’indemnité de maladie
Le gouvernement entend économiser 100 millions sur les travailleurs malades et renvoyer des milliers de malades sur le marché de l’emploi. À cette fin, une procédure compliquée et contraignante a été élaborée. Le travailleur malade peut être envoyé par la mutualité ou par l’employeur au médecin du travail qui peut le déclarer définitivement inapte au travail. Ici, le patron peut dire n’avoir « pas de travail adapté ni d’autre travail » à proposer. Le travailleur est alors licencié pour « force majeure médicale », ce qui signifie sans la moindre indemnisation. Cela se passe ainsi dans 70 % des cas et, en un an et demi, la mesure touche entre 5 000 et 10 000 personnes.
u003cstrongu003eLes malades de longue durée sont donc placés devant un choix : collaborer à la procédure signifie dans 70 % des cas perdre son emploi, refuser la collaboration signifie perdre une partie de son indemnité.u003c/strongu003e
C’est pourquoi les syndicats ont conseillé aux travailleurs de ne plus entrer dans une telle procédure, afin d’éviter ainsi un licenciement sans indemnisation. Ils ont proposé d’accepter une réintégration volontaire via un rendez-vous spontané chez le médecin du travail et sans risque de licenciement. Désormais, le gouvernement riposte par des sanctions contre les gens qui ne collaborent pas à sa procédure de licenciement : ceux qui ne remplissent pas la feuille de renseignements de la mutualité perdent pendant un mois 5 % de leur indemnité et ceux qui ne se présentent pas pour un entretien avec le médecin conseil de la mutualité peuvent perdre 10 % de leur indemnité. Les malades de longue durée sont donc placés devant un choix : collaborer à la procédure signifie dans 70 % des cas perdre son emploi, refuser la collaboration signifie perdre une partie de son indemnité.
Ceci constitue un précédent particulièrement dangereux. Cela ressemble à ce qui s’est passé avec les chômeurs. Dans le cas de ces derniers, les premières sanctions limitées des années 1980 se sont bien vite muées en suspensions massives. Il existe déjà aujourd’hui des propositions en vue d’étendre à terme ces sanctions contre les malades au retrait complet de l’indemnité de maladie pour les personnes qui se montrent insuffisamment « coopérantes ». De la sorte, les malades sont face à un choix : perdre leur emploi ou perdre leur indemnité.
La semaine dernière, je consacrais la toute première contribution de mon émission sur YouTube, « De Keukenrevolutie » (La révolution de la cuisine) à la traque aux malades de longue durée. En quelques jours à peine, des centaines de témoignages sont arrivés par mail, via les médias sociaux et les commentaires sur YouTube. Des gens qui témoignent de la façon dont ils ont été les victimes d’un licenciement sans indemnité après avoir pourtant fait preuve de bonne volonté en acceptant la procédure de réintégration.
Des gens qui, pendant des années, se sont tués à la tâche dans des secteurs lourds comme l’industrie de la viande, se sont entendu dire froidement qu’il n’y avait « pas de travail adapté » après qu’ils ont fini par céder face à l’arthrose. Des gens qui perdent des centaines d’euros par mois et qui se retrouvent dans de graves problèmes financiers. Beaucoup de témoignages anonymes aussi, de gens dont la procédure est encore en cours et qui ont peur des répercussions de la part de leur employeur.
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L’amende pour les patrons : de 800 millions d’euros à 0 euro
Initialement, l’ensemble de la procédure prévoyait également des sanctions contre les patrons qui refusent de fournir un travail adapté ou un autre travail. Ces sanctions ont été quasiment supprimées, avec ce Conseil des ministres.
Il y a d’abord eu cette unique mesure positive de l’Accord du gouvernement fédéral : les patrons allaient être responsabilisés pour l’énorme augmentation du nombre de malades de longue durée. Toutes les études indiquent comme raison à cela le fait de devoir travailler plus longtemps ainsi que le stress croissant sur le lieu de travail. Désormais, les patrons n’allaient plus devoir verser un, mais deux mois de salaire garanti. Cette mesure allait faire une économie de 345 millions d’euros dans l’assurance maladie. Avec les actuelles mesures concernant la réintégration et les licenciements s’y rapportant, on va économiser environ… 100 millions.
Bien vite, les patrons ont crié au feu, ont dit que cette mesure allait leur coûter 800 millions en tout et que « ça allait torpiller le prompt rétablissement des malades ». Vincent Van Quickenborne, ex-ministre des Pensions et actuel bourgmestre de Courtrai (Open Vld), en remettait une couche : « C’est une augmentation d’impôt d’un milliard d’euros. » Le gouvernement a écouté et a supprimé la mesure déjà bien avant qu’elle ne soit introduite le 1er janvier 2016.
« Mais », s’est dit le gouvernement, « nous allons trouver une autre façon de responsabiliser les employeurs ». Fin 2016, apparaissait alors la proposition de sanctionner les employeurs qui ne faisaient pas assez d’efforts pour prévoir un autre travail ou un travail adapté pour les personnes qui étaient placées en trajectoire de réintégration. Pendant six mois, ils allaient devoir payer 10 % de l’indemnité de maladie du travailleur concerné. Même réaction du patronat. Même résultat : la sanction a été supprimée. Et toute l’affaire a recommencé de zéro.
L’an dernier, une amende presque symbolique de 800 euros pour les patrons qui ne collaborent pas à la réintégration et qui n’appliquent pas d’adaptations raisonnables vers un travail adapté et préfèrent ainsi licencier les malades, a été décidée. Mais le gouvernement a appris sa leçon : la procédure est si lourde, si longue, avec tant de possibilités d’appel, avec des interventions d’avocats, qu’elle peut difficilement aboutir à des condamnations. De plus, les PME de moins de 50 travailleurs sont exemptées et toute la procédure doit être portée par le Contrôle du bien-être au travail qui, avec ses 157 inspecteurs, ne peut rendre visite aux entreprises qu’une fois tous les… 26 ans.
Mais même cette sanction symbolique était encore trop lourde pour la FEB (Fédération des entreprises de Belgique). Cette fois, le gouvernement a décidé qu’un patron ne pouvait pas être sanctionné s’il ne faisait rien pour adapter le travail lourd et s’il se contentait de licencier le travailleur. Il ne peut être condamné que s’il… ne justifie pas pourquoi il ne fera rien. Naturellement, avec toutes les procédures d’appel nécessaires.
Protestations de plus en plus vives de toutes les couches de la société
La Plate-forme flamande des patients (110 associations de patients) et le Netwerk tegen armoede (Réseau contre la pauvreté) ont encore insisté auprès du gouvernement pour qu’il n’applique pas ces sanctions. « Les gens qui vivent d’une indemnité de maladie ont financièrement peu d’espace pour respirer mais sont confrontés à des frais de maladies très élevés. Nous craignons que ces sanctions ne leur mettent encore plus le couteau sur la gorge », explique David de Vaal de Netwerk tegen armoede.
Par la voix de leur président Luc Van Gorp, les Mutualités chrétiennes (MC) qualifient les sanctions de « déplorables ». Il rappelle que le malade de longue durée est déjà sanctionné en tant que chef de famille par une perte de 40 %. Et que, par contre, l’amende de 800 euros infligée aux patrons n’est possible que via une procédure compliquée. Et de conclure : « Au lieu de menacer de sanctions, nous ferions mieux de nous demander comment il se fait que tant de gens sont des malades de longue durée et de faire des efforts pour empêcher que les gens se retrouvent dans de telles situations. »
La veille du Conseil des ministres, une motion de protestation a également été votée lors du colloque de Progress Lawyers Network. Plus de 150 représentants des syndicats et du monde associatif, ainsi que des personnalités du monde juridique, médical et académique ont débattu toute la journée sur le sujet. Des médecins et des sociologues ont expliqué comment le fait de travailler plus longtemps et le stress croissant étaient à la base de la problématique. Tous étaient d’accord pour dire que l’actuelle procédure d’intégration n’est rien d’autre qu’une machine à licencier à bon compte pour les patrons. Unanimement, les participants ont plaidé en faveur d’une intégration volontaire, respectueuse du patient.
Et n’oublions surtout pas que le thème des malades de longue durée était particulièrement présent aussi lors de la manifestation syndicale du 16 mai dernier : des dizaines de milliers de manifestants y ont dit non à une société qui se contente de faire travailler les gens plus longtemps et plus dur puis les licencie et les sanctionne une fois qu’ils tombent malades.
Face cela, il y a des politiciens étrangers au monde qui les entoure et qui, manifestement, ne peuvent témoigner de la moindre empathie pour la douleur, la perte de salaire et les frais élevés de maladie de centaines de milliers de patients. Froidement, sans la moindre compassion, ils ont voté cette réintégration qui fait que des milliers de malades vont perdre leur emploi sous la menace de lourdes sanctions. Comme Jan Spooren, de la N-VA, qui se justifie : « Grâce à cette mesure, nous allons pouvoir faire face plus efficacement à la forte augmentation du nombre de malades de longue durée. »
Une seule mesure positive : on la supprime !
Naturellement, bien des malades de longue durée aimeraient retourner au travail. Et, dans toute la procédure de réintégration, il y avait une seule mesure qui aurait pu avoir un effet positif, à savoir la « reprise progressive du travail ». Cette mesure permet, avec l’approbation du médecin conseil de la mutualité, de reprendre le travail à mi-temps. Sur le plan des rentrées d’argent, le travailleur peut ainsi combiner un salaire à mi-temps avec une indemnité à mi-temps de l’assurance maladie. C’est à peu près la seule mesure de réintégration qui est permise dans bien des entreprises pour répondre aux besoins des travailleurs malades.
u003cstrongu003eIl s’agit de licencier les travailleurs malades dont le patron ne veut plus et de les forcer à dénicher d’autres emplois, souvent pires, pour éviter ainsi d’agrandir la pénurie sur le marché de l’emploi, qui pourrait effectivement attiser l’agitation sociale u003c/strongu003e
Mais, au printemps, le gouvernement a décidé de réduire l’indemnité de ces travailleurs en « reprise progressive du travail » et d’en limiter la durée. Jusqu’à présent, l’indemnité de maladie était calculée sur base du salaire et, désormais, elle sera calculée sur base du nombre d’heures prestées. Résultat : les gens à bas revenu verront leur indemnité réduite à 250 euros par mois. En outre, la période d’une telle reprise progressive du travail sera limitée à deux ans au maximum. Naturellement, il y a eu de très vives protestations. C’est pourquoi la ministre de la Santé libérale Maggie De Block a déclaré que la nouvelle mesure ne s’appliquerait pas aux gens qui sont déjà dans le système. Mais, pour ceux qui y entreront à l’avenir, les allocations resteront donc réduites.
Toute cette mesure montre clairement que le gouvernement est peu soucieux de réintégrer les travailleurs malades. Il s’agit tout simplement pour lui de 100 millions d’économies sur l’assurance maladie afin de pouvoir continuer à réduire les cotisations patronales à la sécurité sociale. Il s’agit également de licencier les travailleurs malades dont le patron ne veut plus et de les forcer à dénicher d’autres emplois, souvent pires, pour éviter ainsi d’agrandir la pénurie sur le marché de l’emploi. Celle-ci pourrait effectivement attiser l’agitation sociale et provoquer des augmentations salariales.
Voilà pourquoi il faut réclamer la suppression de l’actuelle procédure de réintégration. Celle-ci doit être remplacée par une procédure basée sur le volontariat et qui contraint effectivement les patrons à adapter le travail pénible. Il faut créer une procédure qui ainsi franchira de réelles étapes vers un travail humain et épanouissant.
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