Pénurie de main d’oeuvre: on engage ! Mais on ne trouve pas… (analyse)
Les postes vacants ne manquent pas en Belgique, a fortiori à Bruxelles et en Wallonie. Ce n’est pas nouveau. Mais la pénurie d’emplois, qu’on déplore depuis au moins deux décennies, n’a jamais été aussi critique. Certains secteurs sont particulièrement touchés. La preuve en chiffres.
Douze vols annulés, quatorze retardés. Le hall des départs est plein à craquer. Distribution de bouteilles d’eau par les pompiers. La situation à Schiphol, au début des vacances de mai des Néerlandais, était dantesque. En cause: l’aéroport amstellodamois est confronté à une pénurie de personnel inédite depuis la crise sanitaire. Cela risque-t-il d’arriver à Bruxelles-National qui déplore plus de 1 200 postes non pourvus, de bagagiste à pilote en passant par serveur dans l’Horeca? Pas impossible. Dans le secteur aérien comme dans bien d’autres, en Belgique, l’offre d’emplois vacants atteint des sommets. La courbe avait un peu diminué durant le Covid, certaines entreprises ayant renoncé à recruter en voyant leur chiffre d’affaires se réduire à cause des confinements. Mais avec la relance, les indicateurs sont repartis à la hausse.
En Wallonie, 80% des métiers en pénurie structurelle sont des métiers de l’enseignement professionnel.
Fin 2021, selon l’Office national de statistique (Stabel), le nombre d’emplois vacants par rapport au nombre total d’emplois disponibles dans les entreprises approche les 5%. C’est énorme. Plus de deux tiers de ces vacances concernent la Flandre, 20% la Wallonie et 12% Bruxelles. Selon le dernier baromètre de ManpowerGroup, plus de trois employeurs belges sur quatre ont des difficultés à recruter. C’est un peu moins qu’en 2021, mais davantage que les années précédentes (59% en 2019).
Dans le sud du pays, l’Union wallonne des entreprises (UWE) évalue le nombre d’emplois vacants, qui ne sont structurellement pas pourvus, à plus de 40 000. «Ils n’ont jamais été aussi nombreux, nous dit son administrateur délégué, Olivier de Wasseige. Depuis fin 2020, ça a grimpé de 50%. Il faut remonter à 2017 pour voir ce chiffre dépasser les 30 000.» Oui, on engage, y compris en Wallonie, donc. Chaque année depuis 2015, le Forem, l’Office wallon de l’emploi et de la formation professionnelle, publie une liste des métiers en pénurie ou critiques. Il y a sept ans, la première comptait à peine septante fonctions. La dernière, en juin 2021, en recensait 126. Celle qui est annoncée pour le début de cet été devrait être encore plus fournie.
La situation n’est guère différente à Bruxelles, où le taux d’activité est le plus bas des trois Régions (plus de 5 000 postes vacants), alors que 50% des emplois relèvent du public ou du parapublic. Le ministre bruxellois de l’Emploi, Bernard Clerfayt (DéFI), vient d’entamer une longue série de tables rondes avec les principaux secteurs concernés: Horeca, transport, construction, informatique, logistique, industries technologiques, soins de santé… «Il s’agit de métiers qu’on retrouve un peu partout, lorsqu’on lit les rapports de l’OCDE», tente de nuancer le ministre. Vrai. Mais la Belgique affiche tout de même le deuxième taux de vacances d’emploi le plus important de l’Union européenne (4,7), après la Tchéquie et juste devant les Pays-Bas (voir graphique ci-dessus). «Et surtout loin devant la moyenne UE de 2,4, deux fois plus basse», observe Sébastien Cosentino, expert du marché du travail chez Randstad Group.
100% des métiers de la construction
Des métiers sont scotchés à la liste du Forem de manière permanente, depuis des années. D’autres y entrent et en sortent, mais huit sur dix y reviennent régulièrement, indiquant ainsi quels sont les secteurs les plus affectés. «Environ 80% des métiers en pénurie structurelle sont ce que j’appelle des “professions du geste”, soit des métiers de l’enseignement professionnel, précise Marie-Kristine Vanbockestal, administratrice générale de l’Office wallon. Cent pour cent des métiers de la construction sont concernés, beaucoup aussi dans l’industrie, puis dans une mesure un peu moindre, dans le transport, la logistique, l’agroalimentaire et l’Horeca. Pour les 20% restants, il s’agit de métiers intellectuels et scientifiques, de niveau supérieur ou universitaire, tels ingénieur, informaticien, médecin, pharmacien…»
Pas une semaine sans qu’une grande entreprise ou un secteur de l’économie ne défraie la chronique en illustrant l’écart de plus en plus abyssal entre l’offre et la demande d’emplois. Début mai, Aviato, le centre pour l’emploi de l’aéroport de Bruxelles-National, a lancé, en fanfare, une nouvelle campagne de recrutement pour pourvoir les 1 200 postes vacants. Il y a urgence, surtout avec les vacances d’été qui approchent. «Les demandeurs d’emploi, les étudiants, les nouveaux arrivants et toute personne à la recherche d’un nouveau défi sont les bienvenus», a lancé, à cette occasion, Arnaud Feist, le CEO de l’aéroport, en cachant mal son désarroi. A peu près au même moment, le 30 avril, Infrabel, qui compte 930 postes ouverts, organisait, à Bruxelles, une journée pour séduire des candidats aux métiers du rail. «C’est un record, 930, affirme Frédéric Sacré, porte-parole de la société gestionnaire de chemin de fer. On n’a jamais connu ça. Evidemment, on recherche des profils très demandés par d’autres secteurs: soudeurs, électriciens, électromécaniciens, etc.»
Toujours dans le domaine du transport, en septembre dernier, Febetra, la Fédération belge des transporteurs routiers, lançait un cri d’alarme en déplorant que ses membres cherchaient 5 000 chauffeurs (il en manque 400 000 à l’échelon européen). Depuis, la campagne «En route vers l’aventure» a boosté les inscriptions dans la filière du secondaire professionnel d’environ 50%. Mais, avec un routier sur deux âgé de plus de 50 ans, la pénurie restera néanmoins une réelle menace pour cette profession.
Seize emplois par jour ouvrable
Comme l’indique la liste du Forem, le secteur le plus touché par les métiers en pénurie est celui de la construction. Ce n’est pas nouveau, mais les chiffres atteignent, ici aussi, des pics impressionnants: 20 000 postes sont à pourvoir dans tout le pays, dont 7 000 en Wallonie. Un tiers des métiers de la liste du Forem sont des métiers du bâtiment. De plus en plus de travailleurs étrangers sont engagés. Récemment, l’Adeb, qui regroupe les 65 plus grosses entreprises de construction, représentant 10 milliards de chiffre d’affaires (soit près de 15% du secteur dans son ensemble), a annoncé la création de sa propre filière d’enseignement pour faire face à une situation jugée critique.
Même constat préoccupant du côté de l’industrie technologique, représentée par la fédération Agoria, qui manque de 21 000 candidats en Belgique, dont 4 000 en Wallonie, soit des travailleurs techniques – surtout liés à l’électricité – et du digital (codeurs, programmeurs, experts en cyber- sécurité…). Selon Manpower, c’est dans le secteur IT que les difficultés de recrutement sont les plus fortes. Prévoyant que la demande des entreprises ne diminuera pas, Agoria Wallonie s’est engagée, au début de l’année, à fournir au secteur seize emplois par jour ouvrable pendant dix ans, soit 40 000 au total, simplement pour pallier les départs naturels. «Une ambition qui a été revue un peu à la baisse, du moins pour 2022, avec les prévisions de croissance récemment corrigées», regrette Clarisse Ramakers, directrice générale de cette fédération régionale.
La Défense, qui doit engager cette année 2 500 militaires, a pris ses quartiers dans plusieurs centres commerciaux.
De manière générale, les professions Stem (science, technologie, ingénierie, mathématiques) sont très affectées par la pénurie, y compris dans le secteur public qui pleure pour trouver des informaticiens. Révélateur: les entreprises biotech et medtech, en pleine expansion en Wallonie, viennent de lancer, avec le pôle santé BioWin de la Région, le vaste projet de recrutement «Urgence talents», sur trois ans, pour combler 2 400 postes dont les profils sont plus recherchés que jamais depuis la crise du Covid. Cette initiative, alliant le privé et le public dans le domaine biopharma, avec des acteurs comme GSK, UCB, Univercells ou Janssen, est inédite et montre qu’il est urgent de réagir.
We want you
Autre métier du geste en grande souffrance de bras, dans un domaine très médiatisé depuis le Covid, et qui montre que les jobs pénibles sont désertés: les infirmiers et infirmières. Tous les hôpitaux, maisons de soins ou de repos, privés et publics, cherchent désespérément des blouses blanches. «Avant la pandémie, en tenant compte d’une norme d’encadrement correcte, il en manquait 20 000 rien que dans les hôpitaux, insiste Arnaud Bruyneel, de l’association Siz Nursing. Depuis le Covid, on ne sait pas combien ont quitté la profession.» Or, selon la Commission de planification de l’offre de santé, le nombre d’infirmiers devrait augmenter de 20% d’ici à vingt ans en Belgique pour faire face aux besoins croissants de la population. Cela s’annonce (très) compliqué pour l’ensemble du secteur des soins.
Désormais, tous les moyens sont bons pour recruter: des vidéos de présentation diffusées dans les écoles, sur les réseaux sociaux bien sûr (de Facebook à TikTok), mais aussi dans les centres commerciaux. Fin février, la Défense, qui doit engager cette année 2 500 militaires, dont un grand nombre de sous-officiers, a pris ses quartiers dans plusieurs centres commerciaux, comme elle l’avait déjà fait en 2020, pour mieux approcher les jeunes.
Début mai, à Bruxelles, Proximus a organisé le «Fiber Job Day». L’ opérateur télécom a besoin de 3 000 ETP, d’ici à 2023, pour déployer la fibre optique. «L’ événement a attiré 500 candidats, nous dit Haroun Fenaux, de Proximus. C’est pas mal. Il est trop tôt pour dire si nous aurons des difficultés à recruter. Nous faisons tout pour proposer des jobs excitants, avec beaucoup d’avantages, sur les plans du salaire mais aussi de l’équilibre travail et vie privée, de plus en plus exigé par les candidats.» En 2019, avant le Covid, Proximus a signé une convention avec les syndicats pour permettre à ceux qui le souhaitent de télétravailler trois jours par semaine. Par ailleurs, l’entreprise se targue d’être une des premières à avoir officialisé le droit à la déconnexion.
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