Peter Mertens
Pendant que Bruxelles s’enfonce dans le bling-bling et les scandales, Barcelone révolutionne la ville
Lorsqu’elle a été élue bourgmestre de Barcelone, Ada Colau a immédiatement diminué son salaire de manière drastique », ai-je expliqué lors d’une interview ce dimanche à la radio. Siegfried Bracke en a avalé son café de travers et tweeté son mécontentement.
« Lorsqu’elle a été élue bourgmestre de Barcelone, Ada Colau a immédiatement diminué son salaire de manière drastique », ai-je expliqué ce dimanche matin lors d’une interview sur Radio 1 à propos de « Fearless Cities », la conférence des villes progressistes qui s’est tenue ce week-end à Barcelone et à laquelle j’étais présent. Une bourgmestre qui diminue drastiquement son propre salaire ? Siegfried Bracke en a avalé son café de travers et a immédiatement saisi son Smartphone. « Se réveiller le dimanche matin en écoutant Radio1 et entendre une longue interview sans aucune critique sur les bienfaits du communisme… On doit être en Flandre #Vlaanderen », a-t-il tweeté pour le monde entier.
Wakker worden met @radio1be en minutenlang kritiekloos interview @pvdabelgie over de zegeningen van communisme. Dit moet #Vlaanderen zijn..
— Siegfried Bracke (@sthbracke) 11 juin 2017
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Bracke doit-il donner sa bénédiction sur ce que Radio1 peut émettre ?
Le premier citoyen du pays ne comprend apparemment pas bien que, dans des interviews, on puisse parler d’autres manières de faire de la politique. En effet, j’évoquais non seulement les échevins et bourgmestres qui vivent avec un salaire moyen de travailleur, comme à Barcelone donc – tout autre chose que la politique de cumuls et de gros salaires qui existe chez nous -, j’abordais également la manière très stricte dont la Ville de Barcelone traite la grande corruption et les mesures mises en oeuvre à cet effet. Un contraste stupéfiant avec ce qui a encore été révélé la semaine dernière à Bruxelles, avec le scandale du SamuSocial. Là, des politiciens professionnels ont empoché de belles sommes d’argent destiné à l’aide aux sans-abris, et ce pour des réunions qui n’ont jamais eu lieu. Voilà ce que j’ai raconté à la radio. Mais, pour Siegfried Bracke, tout ça, c’est du pur communisme. Et la chaîne de radio publique ne peut pas en parler, selon le président de la Chambre. Pascal Debruyne, chercheur à l’Université de Gand, a ironisé sur le message posté par Bracke en twittant : « Se réveiller avec le premier citoyen-cumulard qui doit donner sa bénédiction sur ce que peut émettre Radio 1 ? Ça doit être ça, la Flandre de Siegfried Bracke #siegfriedsvlaanderen. » Sur quoi, le chercheur a promptement été bloqué.
Un nouveau projet de ville, né dans le mouvement social
Mais revenons à Barcelone, où je me suis rendu ce week-end pour participer au « Fearless Cities Summit » (le sommet des villes sans peur), à l’invitation de Barcelona en Comú, le mouvement citoyen qui, sous la direction de l’activiste Ada Colau, a remporté les élections municipales en 2015 à Barcelone. Ada Colau est donc bourgmestre de la grande ville catalane depuis le 13 juin 2015. Cette liste citoyenne est née de la base, de la lutte sociale des dernières années. En 2008, lorsque les bulles immobilières spéculatives ont éclaté, l’Espagne a énormément souffert. Des milliers de gens ont été expulsés de leur logement par les banques. Mais les citoyens sont passés à l’action et, à Barcelone, ils se sont organisés dans le PAH (Plateforme des victimes du crédit hypothécaire), le groupe d’action d’Ada Colau pour se battre contre les expulsions de logements. C’est ce mouvement, et non pas un groupe de politiciens professionnels, qui a formé le noyau d’un nouveau projet de ville : « Barcelone en commun ».
Quelques heures après le tweet absurde du premier citoyen de Belgique dimanche matin, je rencontrais la bourgmestre Ada Colau à l’Université de Barcelone. « Je ne suis pas seulement la première femme à être maire de Barcelone, a-t-elle lancé en riant, mais aussi la première maire issue d’une famille de simples travailleurs, et la première maire qui ne provient pas du circuit des politiciens professionnels. » Une des premières mesures prises par la toute fraîche bourgmestre Colau lorsqu’elle a pris ses fonctions a été de diminuer drastiquement son propre salaire de bourgmestre, le faisant passer de 8 000 à 2 000 euros. « Nous avons une fonction d’exemple, a souligné Ada Colau. Si j’ai un mandat de bourgmestre, c’est pour changer les choses, pas pour m’enrichir personnellement. » Dans mon récent livre Graailand (que l’on pourrait traduire par « pays de profiteurs », publié pour l’instant en néerlandais), j’ai évoqué le « Code Colau », une série de règles pour diriger Barcelone de manière éthique, transparente et démocratique, au service des gens. « Car la démocratie est née dans les villes », rappelle Colau.
« Nous menons une lutte pour ce qui en fait devrait aller de soi »
Barcelona en Comú ont un programme radical pour la transformation de la ville. La plateforme urbaine veut mettre un frein à la spéculation sur le marché immobilier, faire revenir la gestion de la distribution de l’eau et de l’énergie dans le secteur public et mettre un terme à la corruption en politique. D’ici la fin de son premier mandat, Ada Colau veut avoir construit au moins 4 000 nouveaux logements publics, approvisionner des dizaines de milliers de ménages en énergie verte et abordable et avoir effectué un virage radical vers des moyens de transport plus durables. Un des plus grands défis de la majorité est de faire repasser la distribution de l’eau dans les mains des pouvoirs publics.
Ada Colau le résume elle-même : « Nous menons une lutte pour ce qui en fait devrait aller de soi, mais qui semble aujourd’hui inaccessible pour tant de gens. » Mais l’évidence n’est pas toujours évidente. La nouvelle majorité progressiste de Barcelona en Comú doivent se battre contre les grandes entreprises internationales, les entreprises d’énergie privées, les spéculateurs immobiliers, les grandes chaînes hôtelières, les banques et d’autres puissances économiques qui mettent tout ce qu’elles peuvent dans la balance pour pourvoir continuer leur business as usual dans la ville méditerranéenne. La réponse de Barcelona en Comú ? S’appuyer sur les habitants de la ville. Ceux-ci sont impliqués de toutes les manières. Non pas passivement mais activement. En les impliquant au niveau de leur quartier, avant qu’un nouveau projet soit lancé, et non pas quand tout est déjà bétonné. En les mobilisant contre la corruption et les conflits d’intérêts et en offrant une protection aux lanceurs d’alerte. Une boîte aux lettres spéciale a été créée à cet effet, et toute plainte fait l’objet d’une enquête indépendante.
Deux visions de la ville totalement opposées
La Barcelone d’Ada Colau est une énorme source d’inspiration pour relever tous les défis qui se posent aux grandes villes. La crise du logement, la spéculation, l’écart croissant entre riches et pauvres, la pollution atmosphérique, la mobilité, et un groupe de plus en plus grand d’habitants qui sont abandonnés à leur sort. Ces ingrédients sont également présents dans nos villes. Mais d’un vrai renouveau urbain participatif dans nos grandes villes, il n’est jusqu’à présent pas question. La consternante affaire à laquelle nous avons assisté la semaine dernière à Bruxelles n’est probablement que la partie émergée de l’iceberg. Des échevins de villes comme Anvers adorent se rendre au prestigieux salon de l’immobilier à Cannes pour copiner avec des promoteurs immobiliers et embrasser leur vision néolibérale de la ville. Une vision qui s’appuie sur la concurrence internationale entre les villes et se met à plat ventre pour attirer les plus grands groupes financiers, promoteurs immobiliers et riches touristes. Aux dépens des habitants mêmes de la ville qui n’arrivent plus à suivre l’augmentation des prix et sont ainsi poussés dans les périphéries. Aux dépens aussi de la transparence et de la participation, et en faveur de la politique des salons feutrés et des arrangements conclus dans des restaurants chics et très chers.
Nous préférons examiner ce qui se passe à Barcelone, avec sa révolution pour une ville durable et à dimension humaine. C’est une vision tout autre de la ville, qui se base sur le « droit à la ville » de chaque habitant. Celle ci part de ce qui se vit dans les quartiers et dans les mouvements sociaux, en dehors du microcosme de l’hôtel de ville et de la politique professionnelle ; elle développe des quartiers « complets » avec des écoles, des logements, des espaces publics, de lieux de rencontre, des bibliothèques, des centres culturels, des antennes locales de police et des agents de quartier, proches de la population ; elle ne se veut pas une démocratie très formelle mais un véritable processus de participation avec, pour les dirigeants, des principes de responsabilité et de révocabilité et l’obligation constante de s’informer et d’informer dans les quartiers mêmes et non pas via les médias ; elle entretient un lien permanent avec les mouvements citoyens, non pas pour intervenir à leur place mais pour rendre possible un contrôle fort sur les pouvoirs de la ville ; et elle veut féminiser la politique. Plus de 60% des fonctions dirigeantes à Barcelone sont exercées par des femmes, et on voit et sent ce même esprit dans la conférence des Fearless Cities. La révolution de la ville menée à Barcelone est à l’opposé de la politique bétonnière de villes comme Bruxelles ou Anvers.
Un large réseau de « villes sans peur »
Nos villes peuvent bien évidemment beaucoup apprendre de la Barcelone d’Ada Colau. Et pas seulement de Barcelone, d’ailleurs. Aussi de Valparaíso au Chili, de Vancouver au Canada, de Rosario en Argentine et d’encore bien d’autres. Ces cités se sont baptisées des « villes sans peur ». « Parce que les gens ont peur, et on les comprend, explique un des responsables de l’initiative. Peur face au montant très élevé de leur facture d’énergie, peur de tomber malade et ne pas pouvoir se payer les soins médicaux nécessaires, peur de perdre leur emploi. Mais aussi peur face à la pollution de l’air, à la qualité de la nourriture, à l’engorgement de la circulation routière… Ou peur du racisme et de la discrimination, peur des vols, des agressions et du terrorisme. Au plan local, nous voulons faire ce qu’il est possible de faire au niveau local, et créer un environnement sûr pour les gens là où ils vivent ensemble. C’est cela, les villes sans peur. » C’est pour réfléchir à cela que, ce week-end, 700 personnes venues de 180 villes dans 40 pays se sont réunies à Barcelone. Outre les bourgmestres de Barcelone de Madrid et les maires de Berkeley (États-Unis) et de Vancouver (Canada), plus de 100 plateformes d’action communales et municipales étaient également représentées. Pour échanger des expériences concrètes. Avec des mesures qui sont déjà mises en pratique aujourd’hui. Sí se puede, oui, c’est possible !
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