Carte blanche
Payer moins d’impôts ? Non merci !
C’était il y a quelques jours, dans notre boîte aux lettres. Un tract électoral nous attendait. Le sourire aux lèvres, une candidate – dans une des plus riches communes de Bruxelles – tentait de nous charmer avec cette proposition : » Vous voulez payer moins d’impôts ? » Elle espérait que notre réponse serait positive et, ainsi, gagner notre voix.
Cette femme n’est pas la seule à surfer sur la vague. Au cours des dernières semaines, à l’approche de la remise des déclarations d’impôts, tous les journaux ont consacré articles ou suppléments spéciaux à la question. « 8 astuces » par-ci, « 5 conseils » par-là… Et toujours ce même objectif : payer moins d’impôts. « En toute légalité », bien sûr. Banquiers, assureurs et experts comptables ne tiennent pas un autre discours. A tous leurs clients, ils vendent leurs produits et distillent leurs conseils en invoquant cette fin récurrente : échapper au fisc.
L’argument est tentant. Payer moins d’impôts, c’est conserver plus d’argent pour soi. Pour sa propre maison, ses propres loisirs, ses propres enfants… Pour investir en bourse ou soutenir des oeuvres caritatives. Payer moins d’impôts, c’est pouvoir orienter davantage le devenir de ses deniers. C’est gagner en liberté. Vraiment, c’est tentant.
Il reste que cette perpétuelle quête du moindre impôt risque de nous faire passer à côté d’une question majeure : celle de la finalité de l’impôt. Si l’État prélève des fonds auprès de ses citoyens, c’est pour remplir un certain nombre de missions. Celles-ci sont de différents ordres. Il y a tout d’abord les grandes missions régaliennes : définir le droit, exercer la justice, maintenir la paix, défendre les intérêts nationaux à l’étranger… Il y a ensuite les services rendus aux citoyens, qui permettent à ceux-ci d’accéder pleinement à l’exercice de certains droits : enseignement, soins de santé, culture, infrastructures… Enfin, il y a les missions de régulation de la vie économique et sociale qui poursuivent des objectifs partagés tels que la préservation de l’environnement ou la coopération au développement.
Payer moins d’impôts ? Non merci !
Remettre l’accent sur les finalités de l’impôt a tout son sens. Les concepteurs de la déclaration fiscale l’ont bien compris, eux qui ont récemment fait apparaître sur les logiciels de « taxonweb », le détail de la manière dont les prélèvements fiscaux sont utilisés. Même si la démarche pourrait aller plus loin, elle doit être saluée. Elle nous invite aussi à nous interroger : peut-on sérieusement tenter d’esquiver l’impôt et, en même temps, regretter les coupes opérées dans les services publics, la pauvreté de l’offre des transports en commun ou le prix des médicaments ?
On entend déjà la riposte de certains. Particulièrement ceux qui estiment n’avoir pas besoin des « services » rendus pas l’État. Ils ne peuvent avoir entièrement raison. Très souvent, c’est sans s’en rendre compte que l’on profite des services publics – en utilisant les voiries, en ayant le droit de porter plainte, en bénéficiant d’une eau de qualité et d’une alimentation sûre, en espérant que notre planète survivra à notre passage… Bien sûr, certains citoyens sont davantage « bénéficiaires » que d’autres. C’est particulièrement le cas des fragiles et des précarisés – les enfants en bas âge, les chercheurs d’emploi, les malades chroniques, les personnes handicapées ou âgées… C’est ici qu’intervient la notion de solidarité. L’impôt ne fonctionne pas selon le principe de « cash back » : ce qui est donné ne sera pas entièrement récupéré. Car ce qui est donné est aussi partagé. La fiscalité est au service de la communauté humaine dans son ensemble et de l’environnement dont elle est partie prenante. Il est logique, dès lors, que les plus lourdes charges reposent sur les épaules les plus solides. Et que les plus faibles – ou ceux qui traversent des passages difficiles – soient aussi les plus soutenus.
Il reste que l’impôt n’est pas une sorte d’absolu qu’il faudrait accepter en tout cas et qui ne pourrait faire l’objet de débats. Autant que les modalités de son prélèvement, la manière exacte dont il est dépensé doit être publiquement discutée. De ce point de vue, les prochaines campagnes électorales offrent de belles occasions. Aux candidats qui prônent une diminution de la fiscalité, n’ayons pas peur de demander comment les impôts perçus lors de la précédente législature ont été concrètement utilisés, de manière à ce que nous puissions en juger. Il importe en effet que les recettes fiscales soient gérées avec efficacité et en toute transparence. La lutte contre les abus, la fraude et les gaspillages doit constituer une priorité, notamment pour les médias, chiens de garde de nos démocraties.
Nous croyons en tout cas qu’une certaine revalorisation de l’impôt s’impose. Ne pourrions-nous pas imaginer être heureux, fiers même, de contribuer, par nos deniers, à la construction de notre société ? Si nous ne parvenons à changer notre regard – et nos actes – vis-à-vis de la fiscalité, imperceptiblement, nous prendrions un risque. Celui de réduire toujours davantage la dimension commune de nos existences. Nous poserions alors les jalons d’un monde moins juste et plus égoïste. En mettant en péril la solidarité, nous menacerions en fait l’avenir même de nos démocraties.
Le Centre Avec (www.centreavec.be)
Pour aller plus loin : www.centreavec.be/site/impots_et_bien_commun
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