Passé colonial : « Il est faux de dire que des excuses ouvrent la voie à des réparations »
La formulation d’excuses à propos du passé colonial n’ouvre pas juridiquement la voie à des réparations financières, a fait remarquer lundi le professeur Stephan Parmentier (KULeuven) devant la commission de la Chambre qui se penche sur le passé colonial de la Belgique, au cours d’une séance consacrée à la question des réparations.
La commission a ouvert un nouveau volet de ses travaux, quelques semaines après un voyage du Roi en République démocratique du Congo au cours duquel le chef de l’Etat a exprimé des « regrets » à propos de la colonisation. Le thème demeure controversé dans la population mais aussi dans le monde politique. Le premier parti de Belgique -la N-VA- a ainsi décliné la semaine passée l’invitation à une mission de la commission prévue début septembre en Afrique centrale en invoquant son refus de participer à tout processus de réparation financière.
Difficile d’établir une responsabilité juridique
Il paraît difficile d’établir une responsabilité juridique de la Belgique – au sens du code civil- pour sa politique coloniale. Ce n’est qu’en décembre 1960 que les Nations-Unies ont établi l’illégalité du colonialisme. Le texte a valeur déclaratoire. Le Congo est devenu indépendant en juin 1960, le Rwanda et le Burundi devront attendre 1962. « Je ne dis évidemment pas que l’administration coloniale est à l’abri des critiques mais, du point de vue de l’accession à l’Indépendance, la Belgique n’a pas maintenu abusivement ses colonies« , a souligné le professeur Pierre d’Argent (UCLouvain). Il en va de même pour les crimes contre l’humanité, un concept créé au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. La seule période qui pourrait le cas échéant engager la responsabilité belge serait celle de l’Etat indépendant du Congo, créé par Leopold II en 1885 et qui a pris fin en 1908. De nombreuses exactions ont été commises sous ce régime, en violation des textes de l’époque qui confiaient au Roi ce vaste territoire. Mais là encore, le problème demeure complexe: comment établir le dommage, qui sont les ayants droit aujourd’hui, etc.?
L’analyse se fonde sur la jurisprudence de la Cour internationale de justice. Cette approche stricte est contestée. « Cela ne tient pas compte du fait que le colonialisme ou le trafic d’esclaves se sont basés sur des règles de droit qui n’ont rien d’universel. Ce sont ceux qui pratiquaient le trafic d’esclaves qui ont établi la légalité de ces actes. Pour moi, cela n’a pas de sens de considérer que c’était légal il y a quelques centaines d’années car c’était pratiqué il y a quelques centaines d’années », a fait remarquer William Schabas (Middlesex University, London).
La réparation prend du temps
L’Afrique du Sud ou plusieurs Etats d’Amérique latine se sont engagés dans la voie de la justice transitionnelle, notion englobant les mesures prises par un pays pour faire justice, réconcilier, etc., au sortir d’un régime autoritaire qui a mené à de lourdes violations de droits humains. Quelles que soient les formes qu’elle prend (excuses, commémorations, compensations financières, etc.), la réparation est toujours le fruit d’un processus qui prend du temps, a averti M. Parmentier…
Ce concept est aussi très contesté. Plusieurs intervenantes se sont succédé pour dire le mal qu’elles pensaient de la justice transitionnelle, en rappelant qu’elle était souvent un palliatif à des lois d’amnistie. A entendre Patricia Naftali (ULB), il faut y voir un modèle promu par « une élite globalisée majoritairement blanche » devenu un « marché » depuis les années 1990. A l’instar d’Astrid Jamar (UAntwerpen) et Véronique Arnould (Avocats sans frontières), elle a incité les parlementaires à se placer du côté des populations qui ont été colonisées. Dans cet esprit, le racisme colonial imprègne toujours les institutions belges et la réparation ne peut pas consister en un surcroît de coopération au développement mais plutôt en des recherches en commun sur l’enseignement de la période coloniale, la facilitation des visas pour les populations des anciens pays colonisés, la lutte contre les discriminations que vivent encore aujourd’hui les personnes afro-descendantes en Belgique, etc.
« Les Afro-descendants n’ont pas à subir aujourd’hui les imaginaires racistes et dégradants subis par leurs ancêtres. Des excuses ou des regrets sans engagement de réparation peineraient à convaincre la partie destinataire. Seules des réparations peuvent assurer la prise en compte des intérêts que les défunts n’ont pu léguer à leurs descendants », a fait remarquer l’historien béninois Amzat Boukari-Yabara.
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