Pascal Smet démissionne: retour sur un parcours émaillé de polémiques (portrait)
Le secrétaire d’Etat bruxellois à l’Urbanisme et au Commerce extérieur, Pascal Smet (Vooruit) a annoncé sa démission suite à la polémique qui a entouré l’accueil d’une délégation iranienne à Bruxelles. En 2018, Le Vif lui consacrait un long portrait, publié à l’époque sous le titre « L’enfant gâté ». Une enquête qui revenait sur les nombreux tollés provoqués par l’élu socialiste flamand. Revoici le texte dans son intégralité.
A croire qu’il le faisait exprès : chaque projet de Pascal Smet, ancien ministre bruxellois de la Mobilité et des Travaux publics, suscitait un tollé. Il n’en avait cure. Il était sûr d’avoir raison. Et les autres finiraient bien par l’admettre.
D’abord, il y a Edgar. Le chien traverse, tranquille, le hall du cabinet ministériel parsemé de fauteuils rouges qui ressemblent très peu à des fauteuils. » Bienvenue chez Pascal Smet et ses collaborateurs « , peut-on lire sur la porte. On l’aperçoit, d’ailleurs, à l’entrée de son bureau, les yeux rivés sur le visiteur qui s’approche. » Cet homme ne fonctionne pas comme les autres « , résume un membre du gouvernement. On pourrait en rester là. Car, pour le meilleur comme pour le pire, ce quinquagénaire ne fonctionne pas comme les autres.
Honni par des Bruxellois qui l’accusent de pétrifier la ville dans des chantiers, vilipendé par les chauffeurs de taxi mais applaudi, jure-t-il, par les expatriés, le ministre bruxellois de la Mobilité et des Travaux publics (SP.A) est un ovni qui clame sa différence. Calcul politique ? Stratégie de Calimero ? Tactique médiatique ? L’homme s’en étrangle. » J’ai appris que, quand on essaie de résoudre les problèmes des gens, on n’a que des problèmes soi-même. »
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Nous voilà, déjà, au mantra de Pascal Smet : il a raison. Il a, avant les autres et seul contre tous, rêvé d’une ville verte, à la mobilité bien pensée et aux espaces publics réinventés. Bruxelles est sa seule raison d’être encore en politique. » Je déteste les jeux de pouvoir « , assène- t-il. Qu’il veuille agir au profit de Bruxelles relève de l’évidence. » Quand on se promène avec lui, il repère tout ce qu’il faudrait modifier pour changer la vision du partage de l’espace public « , confirme la socialiste flamande Ans Persoons. Ce qu’il fait, en parsemant, par exemple, la ville de nouvelles pistes cyclables, au détriment des places de parking. Les amoureux du vélo sourient, la Febiac (la fédération de l’automobile) moins.
Mais il y a la manière. Pascal Smet n’est pas patient. » Il faut une progressivité dans le changement « , insiste un socialiste francophone. Et il faut en anticiper les impacts. Or, s’il déborde d’idées, les préparer, négocier leur mise en oeuvre avec l’administration, les communes ou tout autre acteur, et les faire atterrir, ce n’est pas son fort. » Ça l’ennuie, glisse un écologiste flamand. Dès qu’il a émis une idée, il passe à autre chose. »
Par son projet, il dit » oui, ça va s’arranger « , raconte une autre. Et on sait, nous, que c’est non. «
Au gouvernement bruxellois, ses méthodes irritent. » Il ne fait pas maturer les dossiers ni ne neutralise les opposants éventuels « , épingle un de ses collègues. Du coup, il se fait souvent recadrer. » Quand on lui demande s’il a l’accord de la commune concernée par son projet, il dit » oui, ça va s’arranger « , raconte une autre. Et on sait, nous, que c’est non. » Plus qu’ailleurs, la complexité institutionnelle bruxelloise, lasagne de communes, dont la puissante Ville de Bruxelles, de Communautés et de pouvoir régional, rend pourtant la concertation en amont essentielle. » Au gouvernement, il parle pendant des heures de dossiers non aboutis, embraie un troisième. Ensuite, il affirme qu’on le rejette parce qu’il est « moderne ». Mais c’est sa manière de faire qui indispose. »
Alors, courroucés, ses partenaires le freinent. Et ses projets n’aboutissent pas, ou lentement. » Comme il est parfois clivant, ses projets, souvent bénéfiques pour Bruxelles, souffrent en termes d’appropriation par ses partenaires « , souligne Xavier Tackoen, le patron du bureau d’études Espaces-Mobilités.
Curieusement, Pascal Smet ne semble pas comprendre que sa méthode n’est pas la bonne, répétant qu’il est un homme ouvert au dialogue. Il n’a pas peur de descendre dans l’arène pour affronter, par exemple, des riverains mécontents. Les écoute-t-il ? » Oui, répond Hervé Doyen, le bourgmestre (CDH) de Jette. Avec lui, il y a moyen de discuter. Il est très cash mais il bouscule les gens et c’est réjouissant. » » Non, répliquent de multiples autres. Il reste toujours sur sa position initiale. »
Ministre du moi
Plus que tout, sa communication et ses sorties non concertées dans la presse ulcèrent nombre d’élus. Comme son annonce sur le plan taxis, avant même l’accord du gouvernement. Ou sur certains pans de la sécurité routière, qui dépend de sa collègue Bianca Debaets (CD&V). Passons sur sa comparaison entre Bruxelles et une prostituée, pour laquelle il s’est excusé. Il lui est arrivé, avant une conférence de presse commune, de fournir toute la matière, en primeur, aux journalistes. » Il cherche parfois le coup d’éclat pour le coup d’éclat, pointe l’ancienne ministre Evelyne Huytebroeck (Ecolo). Quand une prise de parole commune était prévue avec lui, je craignais toujours qu’il parte en roue libre, sans me prévenir. »
» C’est le ministre du narcissisme «
C’est que Pascal Smet, qui se prétend adepte du jeu collectif, aime agir seul. Et le montrer. En commission, certains s’amusent à compter le nombre de fois où il dit » moi « . » C’est le ministre du narcissisme « , sourit un député. Quand il est dans la panade, en revanche, il appelle au secours. » Il a mouillé tout l’exécutif lors de la fermeture du viaduc Herrmann-Debroux mais il l’a rouvert sans prévenir personne, peste un ministre. On l’a appris via Twitter. » Au sein du SP.A, la concertation ne semble pas idéale non plus. Sa récente sortie sur la remise à plat de toutes les institutions à Bruxelles n’était pas concertée. Sur » le PS qui n’existe pas « , non plus, soupire un socialiste flamand. Les deux partis frères se présenteront séparément aux élections : Pascal Smet honnit » la vieille politique du PS « . Quant au départ de son parti du collège communal de Bruxelles-Ville, à la suite du scandale du Samusocial, il aurait pu être » mieux concerté « . Doux euphémisme.
Ces cavaliers seuls médiatiques commencent à énerver jusqu’aux plus hautes sphères du SP.A. Certains y admettent du bout des lèvres qu’il y a quelques tensions. D’autres le canardent. » La date de péremption est proche pour lui. On pardonne aux buteurs tant qu’ils marquent, estime l’un d’entre eux. Sinon, non. Son image pourrait être un obstacle à une entrée du parti dans le prochain gouvernement régional. » Beaucoup assurent que Pascal Smet n’a plus la niaque, ni la popularité d’avant. Qu’à force de se survendre, il commence à lasser. Qu’il est temps de laisser la place à d’autres, notamment Fouad Ahidar, qui a fait plus de voix que lui au dernier scrutin, ou Ans Persoons.
Au sein d’une formation qui a remis la barre à gauche toute, certaines idées de Pascal Smet font tache. Sa sensibilité environnementale est réelle mais sur le plan économique, il a des accents assez libéraux. » Je suis social-démocrate, mais aussi social-libéral, proentrepreneuriat, et vert, rétorque-t-il. Mais antiestablishment. Je crois en la méritocratie. Le socialisme classique, comme le libéralisme classique, c’est le xixe siècle ! Moi, je me sens urbain. Le SP.A doit d’ailleurs se transformer en parti urbain bilingue. » Les socialistes flamands, qui reconnaissent que le bonhomme n’est pas le plus à gauche de la famille, apprécieront. » Dans le dossier Uber, il n’a aucune clé de lecture idéologique, ajoute une députée bruxelloise. Sa vision de la mobilité ne s’adresse qu’à ceux qui ont les moyens financiers, physiques et intellectuels de le suivre. »
Idéologiquement, Pascal Smet est marqué par son passage au CGRA (Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides), pour lequel ce juriste de formation a longtemps travaillé avant d’en prendre la direction, entre 2001 et 2003. La mort de Semira Adamu, jeune Nigériane tuée dans un avion à Zaventem lors d’une tentative de rapatriement forcé, en 1998, est survenue lorsqu’il était commissaire général adjoint. » Au CGRA, j’ai résolu une grave crise, martèle-t-il. J’ai voulu être juste. Et c’est pour ça qu’on me dit dur. »
Tous les dossiers pourris
Des coups, il en aura en tout cas pris, depuis son entrée en politique, à 21 ans, comme conseiller communal de Beveren. Président des jeunes socialistes flamands, il quitte, à 28 ans, la campagne où il a grandi dans un milieu ouvrier non politisé pour gagner Bruxelles. Enfant, il allait souvent à la bibliothèque du village, juste pour échapper au calme… Son homosexualité, publiquement déclarée en 2009, le pousse aussi à partir, tant il est difficile d’être gay hors des grands centres urbains. En 2004, il devient ministre de la Mobilité à Bruxelles avant d’intégrer l’exécutif flamand, jusqu’en 2014. Depuis, il s’active à nouveau à Bruxelles. Quatorze ans qu’il est ministre ! Le voilà patron des tunnels en déréliction, des viaducs moribonds et de l’improbable ligne nord du métro. » Tous les dossiers pourris sont pour lui « , concède une députée CDH.
» Il méprise le travail parlementaire, qu’il considère comme un frein « , juge un élu. » Il est cloué à sa fonction de ministre « , tacle un socialiste flamand.
» J’adore ce que je fais, clame-t-il. On doit parfois rendre les gens heureux pour plus tard. » Il sera bien sûr candidat au prochain scrutin régional. » Je pourrais ne plus être ministre et devenir député « , soutient-il. Personne ne le croit. » Il méprise le travail parlementaire, qu’il considère comme un frein « , juge un élu. » Il est cloué à sa fonction de ministre « , tacle un socialiste flamand.
Bien qu’il s’en défende, Pascal Smet clive. Volubile, souriant, séducteur et non dépourvu d’humour, il peut aussi passer pour arrogant. Il a le tutoiement facile, comme les coups de gueule. Obsédé par le souci de convaincre mais beaucoup moins par l’empathie, il n’est pas du genre à demander comment vous allez. » Mais il est sensible à la critique « , nuance le député bruxellois Ecolo Christos Doulkeridis.
Son bilan reste mitigé ? C’est, selon lui, la faute » des autres « . » Il s’occupe de détails, assassine une Open VLD. Il s’intéresse à l’aménagement du rond-point Schuman mais n’a rien fait pour les parkings de dissuasion. Ni pour la place Meiser. Plusieurs de ses projets, comme le tram 71, ont été abandonnés. » » Il y a une réelle évolution des mentalités à Bruxelles, observe Xavier Tackoen, d’Espaces-Mobilité, mais tout prend du temps. » Notamment parce que 80 % des voiries sont communales. Si ça ne tenait qu’à lui, Pascal Smet fusionnerait d’ailleurs les communes, tuant net leur » cloche-merlisme « …
Curieux du monde, il va chercher à l’étranger les idées de demain. D’aucuns voient dans ces fréquents citytrips la confirmation qu’il vit dans un microcosme huppé, au coeur du quartier Dansaert, focalisé sur la culture et les nouvelles technologies. Il s’en moque, repassant en boucle cette phrase tirée de son livre fétiche, Jonathan Livingstone le goéland : » Pour voler à la vitesse de la pensée vers tout lieu existant, il te faut commencer par être convaincu que tu es déjà arrivé à destination. » Pascal Smet y est, déjà.
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