Hamadi .
« Parce qu’ils n’aiment personne, ils croient qu’ils aiment Dieu » (Charles Péguy)
Pour qu’il n’y ait aucune ambiguïté dans les propos qui vont suivre, je voudrais avoir une pensée fraternelle pour les victimes innocentes de tous âges et de toutes origines tombées sous les balles d’une bande de malfrats et de malfaiteurs qui, pour paraphraser Charles Péguy, croient aimer Dieu parce qu’ils n’aiment personne.
Ce vendredi 13 novembre, l’horreur a donc encore frappé. La facilité voudrait qu’à l’instar du 11 septembre et du 7 janvier, l’on soit amené à décréter un avant et un après 13 novembre. Non, ces actes, aussi horribles soient-ils, n’ont rien d’exceptionnels, ils s’inscrivent d’une manière violente hélas dans le cours de l’histoire économique, politique et culturelle de nos pays.
Il est normal qu’il y ait un temps nécessaire du deuil et que face au pire, les réactions sécuritaires oeuvrent, espérons-le, pour le meilleur. Mais je pense vraiment que ayant dit ceci, ayant fait cela, nous n’aurons rien dit et rien fait si nous n’affrontons pas la question éminemment difficile qui nous est posée: Pourquoi une partie de nos enfants (petite partie encore) choisit, au temps de son adolescence d’aller se confronter à la mort et de la donner ?
Ces jeunes gens qui « partent en Syrie » et qui en reviennent pour certains d’entre eux chargés du pire, sont considérés simplement comme des nuisibles par les autorités et par l’ensemble du monde politico médiatique. La manière de les nommer est assez révélatrice de la place et du rôle qu’on leur assigne et de la manière dont on les perçoit. Ils ne sont vus que comme « fous sanguinaires », « terroristes », « djihadistes », « monstres », « barbares ». Aucun de ces termes ne convient dès que l’analyse s’impose à l’émotion : de l’Islam ils ne connaissent rien, ils sont sains d’esprit, n’ont rien de monstrueux, ne sont pas nés terroristes, et par ailleurs, les qualifier de « djihadistes » est une idiotie et une manière de s’en tirer à bon compte.
Aucune de ces qualifications ne vaut parce que la réflexion est biaisée dès lors qu’on les considère comme des corps, voire des agents étrangers, « des ennemis de l’intérieur » dixit Manuel Valls, à l’image de ces plantes invasives dont on nous parle beaucoup en ce moment (heureux hasard) et qui prépareraient le grand remplacement de populations blanches d’Europe par des hordes de mal-blanchis « barbares ».
Il nous faut accepter que ces jeunes sont les enfants de l’Occident d’une manière ou d’une autre et leur faillite réelle ou supposée est la nôtre, que leurs engagements à maints égards mortifères, nous y avons notre part de responsabilité, que leur ignorance est la nôtre, que leurs aveuglements et manque de discernements et jusqu’à leur haine de ce que nous sommes, tout cela nous y avons contribué. Ne pas comprendre qu’ils ne font en somme que répondre à une injonction que la société leur fait, même d’une manière silencieuse, c’est risquer d’échouer dans tout « remède ».
Ce que je dis là n’est en rien des circonstances atténuantes à trouver à des assassins, ceux-là doivent être neutralisés et jugés selon les normes de nos sociétés de droit. Mais je ne peux m’empêcher de penser à la grande majorité de ces jeunes qui peuvent basculer dans le pire parce qu’ils subissent au quotidien des choses insupportables :
La manière dont on parle d’eux (des politiciens de bas étage, humoristes de seconde zone, les qualifient même de « norvégiens »).
La manière dont on ignore les territoires urbains où ils vivent qu’on détruit volontairement pour mieux les déconsidérer ensuite en les qualifiant de ghettos, d’enclaves étrangères dans le tissu de la ville.
La manière dont ceux qui sont en charge des politiques de l’école organisent la déscolarisation de plusieurs générations de jeunes en ne prenant jamais acte des moyens supplémentaires (et importants) à mettre en branle dès lors que les altérités, nombreuses aujourd’hui, sont présentes sur un territoire.
La manière dont on détruit, par manque de courage politique, la mise en commun d’un socle partagé sur lequel chacun peut faire bénéficier les autres de son héritage différent.
La manière dont culturellement on les « apartheidise » en continuant à les envisager uniquement comme étrangers à jamais… Comment s’étonner que beaucoup d’entre eux ne connaissent ni n’aiment les beautés de la littérature, du théâtre, de la musique dits « occidentaux » si on a toujours au fond considéré que ce n’était pas pour eux et que « leur culture » et que « leurs origines » sont et seront à jamais ailleurs ? Cette perversion va jusqu’à créer et financer des lieux communautaires pour les encadrer et ce faisant leur refuser l’accès au reste du patri-matrimoine du pays où ils vivent !
La manière aussi dont on les juge, dont on les enferme, dont on fait d’eux des citoyens de seconde voire de troisième zone, preuve en est les rapports à juste titre conflictuels (parce qu’il s’agit là aussi de résistance) qu’ils entretiennent avec les forces de l’ordre et avec la justice pour manants qu’on leur sert au moindre écart.
La manière dont certains politiciens irresponsables et quelques journaleux aux ordres organisent les récupérations populistes nauséabondes et prônent des « remèdes » autant imbéciles qu’odieux : les empêcher de partir, les empêcher de revenir, leur couper les allocations familiales, les déchoir de la nationalité, les enfermer en les regroupant !, les « redresser » (dixit une éditorialiste télé !).
C’est à dire continuer à opérer sur eux une stigmatisation et une discrimination en grande partie responsables de leur opposition voire de leur haine de ce que nous sommes !
Voilà, peut-être ce qu’il faudrait dire aux jeunes issus de populations dites arabo musulmanes : Vous n’êtes pas les locataires de la maison Belgique, de la maison France, de la maison Europe, vous en êtes les propriétaires. Si vous l’abîmez, si vous n’en prenez pas soin, vous abîmez ce qui est à vous, vous ne prenez pas soin de ce que vous êtes ! Ce serait là une tout autre démarche et un tout autre projet : construire le métissage fécond contre tous les tribalismes communautaires.
Rappeler à tous ici que c’est dans la ville de Tyr, au sud Liban, qu’est née Europe la Phénicienne, fille du roi de la ville. L’Europe porte donc le nom d’une Libanaise dont la signification en arabe, langue sémite, est : belle femme aimante ! Et je me dis que si elle va si mal aujourd’hui cette femme aimante, c’est parce que la démange son membre amputé et qui l’empêche d’avancer : la Méditerranée.
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