Carte blanche
Pacte d’Excellence : « Quand on déboulonne l’Histoire ! »
Peut-on déboulonner l’Histoire du programme scolaire francophone belge au moment même où l’on déboulonne et peinturlure les statues du roi Léopold II aux quatre coins de la Wallonie et de Bruxelles ?
Ces derniers temps, tout citoyen belge, sensible au passé de la Belgique, a été, à certains égards, interpellé par les dégradations infligées aux statues du roi Léopold II. Si à Mons, des militants d’un collectif anticolonial a plaqué la statue de photographies de mains coupées, emblème de la colonisation belge du Congo, à Ixelles, ce sont des partisans de l’indépendantiste et ex-Premier ministre congolais assassiné, Patrice Lumumba qui ont badigeonné la statue équestre du roi attenante à la place du Trône. « Baudouin assasaint » pouvait-on y lire sur le piédestal. Tout un symbole donc que cette action, qui plus est, surmontée par une faute d’orthographe grotesque qui ne va pas sans nous rappeler l’affaire Omar Haddad en France. Plus récemment, au parc Duden, la statue du « roi bâtisseur » a été déboulonnée, une statue en sciure de bois de Patrice Lumumba a été érigée dans la galerie Ravenstein. Pourquoi s’attaque-t-on à la statue de Léopold II ? Qui en sont les auteurs ? Comment en sommes-nous arrivés à ce degré de violence ? Voilà les questions pertinentes que l’apprenant belge doit se poser en classe d’Histoire face à un événement du passé (compétence 1 dans le cadre des « compétences terminales et savoirs disciplinaires requis » de la FWB).
Si l’acte de vandaliser un bien collectif tombe sous la coupe effective de la loi, la réflexion, elle, va au-delà de la considération éthique et juridique. Elle participe d’un débat mémoriel national et international que le cours d’Histoire alimente depuis le plus jeune âge. L’histoire coloniale belge s’inscrit dans programme de 5e générale du réseau officiel francophone belge. Faut-il rappeler au néophyte que l’épisode colonial, vaguement intitulé dans le programme « l’impérialisme colonial, les formes de domination : politique, culturelle, économique… » correspond à un seul contenu d’apprentissage, soit deux fois 50 minutes. Afin de créer un débat historiographique digne de ce nom, en s’appuyant par exemple sur Futurhist 5e, l’excellent manuel de référence d’Hervé Hasquin et de Jean-Louis Jadoulle (Didier Hatier éditeurs), où la colonisation belge se décline en trois leçons (« De l’état indépendant du Congo au Congo Belge », « Regards sur l’homme noir », « Polémiques autour de la colonisation »), l’enseignant d’histoire doit mobiliser six fois 50 minutes c’est-à-dire un temps énorme. Pour ce faire, faut-il alors rogner sur les « grands courants idéologiques », le thème précédent la colonisation ou alors élaguer le thème suivant ; « le choc des impérialismes et des nationalismes en Europe et dans le monde » ? Choix cornélien pour l’enseignant d’Histoire. Car ces sujets sont les uns autant que les autres vitaux pour éclairer les enjeux récents ou actuels de la Belgique fédérale, de la crise des Balkans, de la problématique des migrants etc. au futur élève-citoyen belge. Malheureusement, les événements récents de vandalisme montrent que le citoyen belge devenu multiethnique, n’a pas assimilé les tenants et aboutissants du colonialisme belge. Les raisons sont d’abord à chercher dans l’école, dans le cours d’histoire, puis dans l’exercice mémoriel collectif à travers le débat médiatique, la muséographie etc. Il est vrai, là n’est plus notre sujet même si le cours d’Histoire prépare à ce débat mémoriel dépassionné dans nos sociétés postcoloniales et mondialisées. Bien sûr la mémoire ne fait pas l’Histoire mais n’y contribue-t-elle pas amplement dans un espace démocratique ? Maintenir un cours intégral d’Histoire dans le secondaire n’a pas pour objet premier de construire un récit national belge ou pire encore un mythe national voire nationaliste belge. Tout au contraire. Il vise à construire un savoir problématisé pour une citoyenneté responsable. Sans une culture historique appropriée, les tensions mémorielles s’aggraveront, et la tentation de l’isolement culturel face à la mondialisation guettera l’élève-citoyen.
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Est-il besoin de rappeler que la difficulté ne s’arrête pas à l’exemple du colonialisme belge en Afrique. « Les nationalismes, les totalitarismes de droite et de gauche », « l’univers concentrationnaire et génocide », « la collaboration ou résistance », pour reprendre l’intitulé du programme, sont autant d’enjeux mémoriaux cruciaux pour la bonne santé citoyenne. Surtout dans les établissements dits à « discrimination positive ». Comment déconstruire les clichés et autres stéréotypes communautaires antisémites et prohitlériens fermement acquis dans certains milieux auquel j’ai été confronté dans mon cours d’Histoire? Comment expliquer le conflit israélo-palestinien depuis la lettre de Balfour aux accords d’Oslo en passant par les conflits arabo-israéliens devant un parterre d’élèves issus de la migration maghrébine sans me faire traiter de partialité, pour ne pas dire de trahison (étant moi-même d’origine nord-africaine)? Enfin, dans cette course à la montre qui m’est impartie, m’est-il possible de faire découvrir d’autres horizons historiques à mes élèves ? Je souhaiterais par exemple replacer les migrations maghrébines dans la longue durée, remonter au XIXe siècle, montrer l’intérêt du roi Léopold II pour le Maroc. Evoquer Abraham Siscù, le premier juif marocain à obtenir la nationalité belge. Tout cela afin de battre en brèche l’antisémitisme. Que me restera-t-il dans l’horaire du futur « bloc sciences humaines » pour traiter ces écheveaux de la mémoire collective ?
Un pacte d’excellence qui rabote le cours d’Histoire, c’est le temps historique qu’on mutile. Sans cours intégral d’Histoire, quelle mémoire collective et citoyenne va-t-on construire dans une société multiculturelle ? Comment déconstruire les clichés acquis par l’élève dans son habitus ? Quel temps restera-t-il pour corriger la « mémoire manipulée » ? Justement pour reprendre les mots de Paul Ricoeur « le pardon, s’il a un sens et s’il existe, constitue l’horizon commun de la mémoire, de l’histoire et de l’oubli ». Sans cours intégral d’Histoire dans le secondaire, plus de mémoire, que de l’oubli dans la Belgique francophone à venir,
Je m’interroge et vous interroge Madame la Ministre de l’Education.
Par Farid Bahri, enseignant d’Histoire dans le secondaire
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