Olivier Bierin
« Oui, le monde politique est corrompu. Mais heureusement, nous allons le transformer »
Le fonctionnement politique des trois partis traditionnels se base sur un mélange, toxique et intrinsèquement lié, de cumul des mandats, simultanés et successifs, de concentration du pouvoir, de clientélisme et de conflits d’intérêts.
Oui, le monde politique belge francophone est corrompu. Les affaires s’accumulent, et cela ne s’arrêtera pas là. Bien entendu, il y a dans chaque parti une majorité de mandataires honnêtes et sincères. Mais le fonctionnement politique des trois partis traditionnels, au pouvoir sans interruption à différents niveaux depuis des dizaines d’années, est structurellement corrompu.
Dans certains cas, ce mode de fonctionnement a permis à des mandataires cupides de gagner énormément d’argent, sur le dos de la collectivité, en cadenassant le fonctionnement de structures pourtant publiques, financées par la collectivité, et censées accomplir des missions de service public, en utilisant ou en détournant à leur profit des règles qu’ils contribuaient à créer ou interpréter. De ce fait, peu d’affaires en cours peuvent être considérées comme de la corruption stricte, au sens pénal du terme, si ce n’est l’exception importante du Kazakhgate. Mais cela n’en est pas moins scandaleux, et nuisible à l’intérêt général.
D’autres affaires vont continuer à apparaître d’ici aux élections de 2018 et 2019. Car si malheureusement ce mode de fonctionnement est structurel, heureusement le contexte se prête à un assainissement des pratiques : crise de la représentativité, effet domino et langues qui se délient, exigences éthiques grandissantes et légitimes de la presse et des citoyens, austérité qui rend encore plus inacceptables des comportements cupides et vautours…
Ces scandales à répétition, en période de crises multiples et de remise en question généralisée de la démocratie représentative, risquent de mener à un ras-le-bol légitime de la population, et à un score important des partis populistes aux prochaines élections ou à une abstention record. Mais ce n’est pas une fatalité. Ce climat de grand déballage peut contribuer à tout mettre à plat, et constituer une opportunité de construire autre chose. Une autre voie est possible, celle de l’éthique et de la participation citoyenne.
Une autre voie est possible, celle de l’éthique et de la participation citoyenne
Tout d’abord, il faut revoir à la baisse les rémunérations des mandataires publics. Des rémunérations élevées n’empêchent aucunement les comportements illégaux ou non éthiques. Par contre, elles entraînent une déconnexion des réalités quotidiennes de la majorité de la population, et peuvent attirer des profils dont la motivation réelle principale est l’appât du gain. Par ailleurs, l’entre-soi, l’absence de garde-fous et le mélange toxique cité plus haut créent également un climat propice aux abus, et aux dérives, même chez certains mandataires au départ intègres et désintéressés. Garder une activité privée résiduelle peut se justifier afin de pouvoir rebondir lorsqu’on termine son mandat, mais les revenus qu’on en tire doivent être limités, sous peine de créer des conflits d’intérêts (cfr à nouveau le Kazakhgate), et de ne pas remplir son mandat à temps plein, pourtant rémunéré comme tel. Des règles claires et strictes, limitant aussi bien les revenus publics que privés, et imposant leur publication, doivent s’appliquer. Pour parler chiffres et donner un exemple concret, 3000 euros net par mois pour un député peut déjà paraître beaucoup, mais serait à la fois légitime et suffisant pour rémunérer compétence et responsabilité à leur juste valeur. Les députés écologistes ont fait le choix de gagner moins que cette somme, et la qualité de leur travail est reconnue par tous, tandis que les députés des autres partis gagnent plus du double, et parfois encore bien plus.
Il faut réduire le nombre de mandats ET le nombre de structures. De trop nombreuses institutions inutiles existent. En réduire le nombre permettrait un fonctionnement plus efficace, plus lisible et plus simple des services publics, et une limitation des prébendes et des mandats à distribuer aux obligés. Pensons notamment aux ASBL publiques (cfr Samu Social), qui pourraient être intégrées au sein des administrations, ou remplacées par des initiatives associatives et citoyennes, soutenues sur base de critères objectifs par les pouvoirs publics. Ou encore aux provinces, et aux nombreuses intercommunales.
Il faut par contre permettre à un plus grand nombre de citoyens de participer à la chose publique, empêcher une trop grande concentration de pouvoirs au sein de trop peu de mains, éviter les conflits d’intérêts, et pour cela interdire les cumuls député-bourgmestre, députés-échevins, ou encore ministre et bourgmestre « empêché ».
Il faut également limiter le nombre de mandats successifs dans le temps, afin de permettre une rotation suffisante des représentants politiques, de ne pas viser une carrière, des réélections successives et un maintien au pouvoir à tout prix, mais bien l’intérêt général et la défense d’idéaux.
Et surtout, au-delà de règles éthiques et de renouvellement plus strictes, il faut réinventer la façon de faire de la politique. La démocratie représentative est à bout de souffle. Afin de la rendre plus participative, multiplier les panels citoyens, les commissions parlementaires mixtes dont une partie est tirée au sort sur l’ensemble de la population, les budgets participatifs… sera une partie de la solution. Mais il faut également construire des mouvements hybrides, qui dépassent la logique des partis, tout en permettant la construction et l’expression de projets de société collectifs et cohérents. Les partis en tant qu’entités monolithiques, ayant pour unique but l’accession au pouvoir, sont dépassés. Il serait cependant risqué de tomber dans l’excès inverse, à savoir l’agglomération mouvante, éphémère et instable d’intérêts et de visions individuels. Une sorte « d’uberisation » ou de « libre marché » politique, où aucune construction collective n’est possible, où toute décision est en permanence remise en question.
Au contraire, le but doit être de reconstruire du collectif, d’élaborer un projet de société et de viser l’intérêt général, à long terme. Pour ce faire, ces nouveaux mouvements, ces nouvelles façons de gérer la Cité, restent à inventer. Des tentatives émergent à différents endroits en Europe, principalement au niveau local. Grenoble et Barcelone en sont de bons exemples, enthousiasmants et prometteurs. Des plates-formes citoyennes, composées de militants politiques, de citoyens « non encartés », d’associations… ont construit des projets de Ville ensemble, et le mettent en place. Des projets éthiques, durables, solidaires, en phase avec le 21e siècle.
À Liège, des militants écologistes et des citoyens sont en train de réaliser la même expérience. Je ne peux que vous encourager à nous rejoindre, et à multiplier ces ballons d’essai un peu partout.
La démocratie n’est pas une destination, c’est un chemin, et un chemin que, par essence, il faut construire avec le plus grand nombre.
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