Jacques De Decker
Où sont passés les marronniers chers aux médias?
Longtemps, les journaux paressaient l’été. Ce n’est pas une coquille : ils paraissaient toujours, mais se donnaient le temps de paresser. Les journalistes s’octroyaient des vacances comme tout le monde, ouvraient leurs colonnes à des débutants, à des stagiaires, qui n’avaient pas toujours le temps de signer leurs articles, mais étaient tout heureux qu’on prenne leur copie. Les aînés, les vétérans, les chefs prenaient le temps de souffler. Et puis, on avait recours aux marronniers.
C’étaient ces thèmes récurrents, prévisibles, qu’on pouvait préparer à l’aise, qu’on peaufinait même, et qui avaient l’avantage d’être intemporels. Non que le genre ait disparu : on a pu lire, cet été encore, dans les quotidiens, les hebdos, les périodiques, de ces papiers très soignés qui trouvaient de la place au fil des pages. Mais ils se sentent de plus en plus bousculés, voire à l’étroit.
C’est que, de nos jours, il n’y a plus de saisons. Et certainement plus d’actualité ralentie. Il semble même que si les institutions, les parlements, les gouvernements essaient d’entretenir le farniente estival, l’actualité, elle, ne lève pas le pied pour autant. C’est que nous ne vivons plus dans une réalité centrée sur le proche, et ignorante du lointain.
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Nous nous sommes voulus mondialisés, et nous le sommes, et ô combien. Parce que tout est interactif, et qu’au demeurant, tout est interconnecté. Nous disposons, au fond de la poche, entre le trousseau de clés et le portefeuille, d’un petit engin en prise directe avec le réseau satellitaire qui cerne la planète, et rien, de ce fait, ne nous est épargné de ce qui agite le petit astre où nous séjournons.
Sans cela, aurions-nous suivi avec une telle attention les primaires américaines, par exemple ? Elles étaient, il faut le reconnaître, aussi dramatiquement ficelées qu’un scénario hollywoodien, qui aurait pour le coup mis à la même affiche Jerry Lewis et Meryl Streep. Dans le registre de l’horreur, le mixage, sur fond de Grande Bleue, de deux films de Spielberg, transformant un camion déjanté en requin sanguinaire avait de quoi lever les coeurs aux quatre coins du monde. Sans parler du remake de L’Etau à Ankara. En comparaison, la Coupe du monde, les Jeux olympiques et le Tour de France qui, jadis, sortaient les vacanciers de leur torpeur prenaient l’allure d’aimables divertissements.
Serait-ce que le monde soit pris de folie ? Ou n’est-ce pas son mode de représentation qui bouleverse la perception que nous en avons ? Notre ubiquité est-elle en train de nous enivrer au point que nous frôlons le seuil de perception tolérable ? Il se confie à demi-mot que les écrans, plus nombreux que jamais, sont en fait de moins en moins consultés. Les JT, notamment, perdent de plus en plus d’audience. Et les journaux, plus accessibles que jamais, parce qu’ils se délestent de leurs supports traditionnels pour atteindre leur audience dans le voisinage des trousseaux de clés et des portefeuilles, peinent à conserver leur lectorat. Assistons-nous à un gigantesque bouleversement de notre perception du réel ? Et d’ailleurs, le réel, qu’est-ce que cela peut bien être ?
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