Diplômés, certes, mais rares sont les bilingues ou trilingues. © Michel Gouverneur/Reporters

Où apprendre le mieux les langues ?

Philippe Berkenbaum Journaliste

Tous bilingues en 2000 ? On est loin de ce slogan des années 1990. Si les unifs ont (enfin) mis l’accent sur l’apprentissage des langues, c’est l’anglais qui est privilégié. Les hautes écoles, elles, sont à la traîne et que dire du secondaire, où la situation reste préoccupante. Sauf en immersion. Voici nos pistes.

Dans l’enseignement supérieur, les profs ne savent plus s’ils doivent en rire ou en pleurer :  » Tous bilingues à la sortie du secondaire !  » avait jadis claironné Laurette Onkelinx, en charge du portefeuille de l’Enseignement dans les années 1990. C’était il y a des lustres, mais la blessure infligée aux formateurs est toujours douloureuse. Sans parler de l’amour-propre des élèves et de leurs parents…

 » C’est un slogan qui continue à faire du tort, abonde Dany Etienne, docteur en didactique des langues germaniques et professeur à Saint-Louis, à Bruxelles. Notamment parce qu’il a fixé un mauvais cadre de référence : même s’ils ont effectué tout leur parcours scolaire en immersion, nos jeunes ne seront jamais parfaitement bilingues à l’issue du secondaire. Si c’est ça l’objectif, alors ils seront toujours déçus. Et ce qui est vrai pour le néerlandais l’est aussi pour l’anglais.  »

Jusqu'il y a peu, le néerlandais n'était même pas obligatoire dans certaines filières comme le paramédical à Bruxelles.
Jusqu’il y a peu, le néerlandais n’était même pas obligatoire dans certaines filières comme le paramédical à Bruxelles. © Michel Gouverneur/Repoters

En revanche, poursuit Dany Etienne,  » si on se réfère au niveau qui est demandé aux élèves pour pouvoir suivre les cours de langue imposés dans le supérieur, on n’a globalement pas à se plaindre, il n’est pas si mauvais que cela « . Malheureusement, tous les jeunes n’entament pas des études supérieures, loin s’en faut. Et même pour ceux qui le font, l’offre en matière d’apprentissage des langues est loin d’être homogène entre les universités et les hautes écoles de la Fédération Wallonie-Bruxelles.

La vogue du  » full english  »

Depuis le milieu des années 2000, nos universités ont pris une longueur d’avance en matière d’enseignement des langues étrangères. Toutes ont mis en place des programmes intensifs d’apprentissage de l’anglais et du néerlandais d’abord, puis d’une dizaine d’autres langues – de l’allemand à l’espagnol, en passant par le chinois, le russe ou l’arabe. Mais avec l’avènement du processus de Bologne qui a stimulé la concurrence entre institutions européennes (voire mondiales), c’est l’anglais qui s’impose de plus en plus dans les amphis. Sur certains campus francophones, plusieurs masters sont aujourd’hui donnés totalement en anglais. En sciences économiques, de gestion ou de l’informatique, par exemple. Ou chez les futurs ingénieurs civils.

Un décret de 2004 autorisait déjà un quota (maximal) de 20 % de langues étrangères en 2e et 3e bac et de 50 % en master, quel que soit le domaine scientifique. Depuis 2014, les cours dispensés en langue étrangère peuvent grimper à 25 % dès la 1ère et dans les deux autres années de bachelier et, toujours, plafonner à 50 % en master. Mais, comme le souligne Nathalie Marchal, directrice du Service de la langue française de la Fédération Wallonie-Bruxelles, dans une étude à ce sujet,  » des dérogations permettent d’organiser des masters « full english » et les différentes facultés y ont de plus en plus recours pour le deuxième cycle.  »

Encore faut-il disposer d’un niveau suffisant pour pouvoir suivre un cursus en anglais, fût-ce partiellement. Nos universités s’emploient à permettre aux étudiants de l’acquérir. A l’ULB par exemple, on affirme s’être  » donné pour objectif de former des étudiants multilingues, aptes à comprendre la culture de l’autre et à s’adapter à une société de plus en plus multiculturelle.  » D’où la mise en place du Plan langues, un programme censé permettre aux étudiants d’apprendre au moins une seconde langue et de la maîtriser de manière approfondie. Et ce, dans toutes les facultés.  » Les objectifs des cours d’anglais et de néerlandais sont basés sur les échelles de compétences du cadre européen commun de référence pour les langues « , précise- t-on à l’ULB (voir l’encadré page 43).

A l’UCL, on affirme avoir pour objectif  » d’amener l’étudiant au moins au niveau B2 du CECRL à la fin du programme de bachelier  » et ce, pour la plupart des cursus, en anglais ou en néerlandais. A l’ULg, l’apprentissage d’au moins une langue étrangère est obligatoire dans tous les cursus de bachelier. Une étude de l’UCL portant sur d’anciens étudiants entrés dans la vie professionnelle montre que 80 % d’entre eux jugent leur maîtrise des langues  » très bonne à suffisante  » pour fonctionner dans leur boulot. Ses résultats peuvent être extrapolés aux autres universités.

Les grandes universités (ici l'UMons) ont développé des cours de langues pour leurs étudiants.
Les grandes universités (ici l’UMons) ont développé des cours de langues pour leurs étudiants.© Michel Houet/Belgaimage

Plusieurs facultés (sciences, sciences appliquées, médecine…) imposent en outre l’approfondissement de l’anglais en tant que  » langue de spécialité  » tandis que d’autres filières accompagnent l’apprentissage de l’anglais par celui de l’allemand ou du néerlandais – obligatoire ou en option. Les grandes universités ont d’ailleurs développé des départements spécifiques qui, outre l’organisation des cours de langue pour leurs propres étudiants, accueillent aussi le public extérieur en stages d’été, cours du jour ou du soir et autres années préparatoires.

Faire son marché

Il en va tout autrement dans l’enseignement supérieur non universitaire, même si la situation tend à s’améliorer (très) lentement. Rappelons que la Fédération Wallonie-Bruxelles compte 6 universités (+/- 80 000 étudiants), 20 hautes écoles (+/- 80 000 étudiants) et 16 écoles supérieures d’art (+/- 10 000 étudiants). Or, à en croire une étude réalisée par Philippe Anckaert, chef de travaux à la haute école Francisco Ferrer et Dany Etienne en 2011 (la plus récente sur la question), le néerlandais n’était alors obligatoire que dans 11 % des cursus en hautes écoles et l’anglais dans 40 %, là où les universités en avaient généralisé l’usage depuis plusieurs années.

La réalité ne doit pas être très éloignée aujourd’hui.  » Tous les étudiants du supérieur ne sont pas égaux devant l’apprentissage des langues, assène notre interlocuteur. A eux de faire leur marché avant de s’inscrire dans un établissement pour vérifier ce qui leur sera proposé. Ou à leurs parents.  » Doyen de la faculté de Philo et Lettres de l’UCL, le professeur Philippe Hiligsmann pointe même l’absence de cours de néerlandais dans certaines filières où le bilinguisme apparaît pourtant indispensable, comme dans le paramédical à Bruxelles. Depuis la publication de l’étude, les hautes écoles concernées ont commencé à y remédier. Timidement.

Même constat dans l’enseignement supérieur de promotion sociale, où sont inscrits plus de 30 000 étudiants.  » Beaucoup n’ont d’autre choix que d’apprendre les langues par eux-mêmes. Dans des écoles de langues ou au Forem, par exemple (lire aussi page 46). C’est d’autant plus dommage que la connaissance d’une ou plusieurs langues étrangères – néerlandais inclus – constitue un vrai plus sur le CV. Quand elle n’est pas tout simplement indispensable pour décrocher un emploi.  »

 » Six années de secondaire avec au moins 4 heures de néerlandais par semaine devraient suffire à préparer les élèves à suivre les cours du supérieur « , estime Dany Etienne. Or, une autre étude de l’UCL,  » généralisable à toute la FWB « , selon Philippe Hiligsmann, montre que les étudiants entrant à l’université – qu’on suppose donc les mieux formés – n’ont atteint que le niveau A2 du CECRL en néerlandais,  » alors que cela devrait être au moins B1, voire B1+, comme c’est souvent le cas en anglais.  » Sans surprise,  » ceux qui ont suivi l’enseignement en immersion ont un meilleur niveau « . Mais les élèves qui sortent de l’enseignement technique ou professionnel, eux, ne sont nulle part.

Pour Dany Etienne,  » l’objectif visé n’est pas atteint. Or, à 18 ans, il est déjà trop tard. On peut toujours suivre des cours et se perfectionner, mais on n’atteindra plus la maîtrise. La solution ? Renforcer l’enseignement des langues dans le secondaire (au moins 2 x 4 h par semaine partout, plaide Dany Etienne). Pour Philippe Anckaert, il faudrait instaurer une certification externe à la sortie des études primaires et secondaires, une sorte de  » bac en langues modernes « . En tant que chef du groupe de travail  » langues  » du Pacte pour un enseignement d’excellence, c’est ce qu’il préconise auprès du gouvernement.

En chiffres

– 58 % des adultes belges connaissent au moins une langue étrangère.

– L’anglais pour 48,9 %.

– Le français pour 31,4 %.

– Le néerlandais pour 12,3 %.

– L’allemand pour 3,1 %.

Source : Stabel, Connaissance des langues en Belgique, 2013.

Le cadre commun de référence

Où apprendre le mieux les langues ?
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Le CECRL décrit les compétences en langues étrangères à six niveaux (A1 et A2, B1 et B2, C1 et C2) plus trois niveaux intermédiaires (A2+, B1+, B2+). Basé sur une recherche empirique et une large consultation, cette échelle permet de comparer des tests et des examens en différentes langues et fournit une base pour la reconnaissance mutuelle de certifications en langues, histoire de favoriser la mobilité éducative et professionnelle.

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