Luckas Vander Taelen
« On ne peut minimiser l’impact de la Boucherie islamique et du Quick halal »
Luckas Vander Taelen voit des snacks halal surgir dans son quartier et un boucher faire la promotion de son commerce à l’aide d’arguments religieux. « C’est un phénomène unique dans notre société »
La semaine dernière, je suis allé écouter l’écrivain algérien Boualem Sansal et l’auteur et réalisateur de théâtre Ismael Saidi. Ils ont parlé d’islam et de pensée libre. Le dernier livre de Sansal, « 2084 », est un bestseller en France. C’est une fable sur fond de dictature islamiste. Quant à Saidi, sa pièce « Jihad » qui raconte l’histoire de trois jeunes qui veulent se rendre en Syrie, a été un grand succès.
Le débat sur la place de la religion au Moyen-Orient et dans le monde occidental était particulièrement passionnant. Les deux auteurs ont souligné la facilité avec laquelle les groupes fondamentalistes peuvent imposer de nouvelles règles autrefois marginales ou carrément inexistantes à la population croyante. Et qui sont, de plus en plus, suivies.
Pour Sansal, qui a remarqué le phénomène il y a des années à Sarajevo, ce sont des petits pas vers une pratique de la foi radicale et autoritaire. Il y voit l’oeuvre de prédicateurs fanatiques, souvent financés par l’Arabie saoudite. J’ai vu cette radicalisation se produire peu à peu à Bruxelles aussi. Par exemple, il n’y a pas si longtemps, on voyait beaucoup moins de femmes voilées. En les voyant de plus en plus nombreuses, mes amis marocains se sont irrités de ce qu’ils considéraient comme les premiers signes d’intolérance religieuse croissante.
Ismael Saidi note la même évolution fâcheuse quand il s’agit de nourriture halal. « Personne ne connaissait cela quand j’étais petit » a-t-il déclaré dans le débat. « Nous ne mangions pas de viande de porc, et c’est tout. Mais personne ne savait ce qu’était l’halal. » Depuis, les choses ont changé: dans de nombreux endroits de la capitale, on ne trouve plus de nouveaux snack-bars sans la mention en grandes lettres sur la vitrine que tous les repas sont halal. On ne sert pas d’alcool. Dans certaines prétendues pizzerias, il n’y a même plus de jambon prosciutto. Et sur la place Anneessens à Bruxelles trône un grand fastfood halal.
La tendance semble implacable: les établissements Quick sont repris par la marque américaine Burgerking, mais une quarantaine de restaurants continueront à exister sous leur ancien nom et ne serviraient que des burgers halal.
En France, c’est déjà le cas d’un certain nombre de Quick, qui ont banni la viande de porc de leur menu. Le bacon traditionnel a été remplacé par de la dinde. Ces Quick halal ont d’abord apparu dans le Nord de la France, près de Lille, mais à présent, ils surgissent aussi dans le sud, à Marseille, Avignon et Nîmes. Et certains d’entre eux seraient développés parce que les spécialistes en marketing savent qu’il existe un marché pour ces produits.
Évidemment, personne n’est obligé d’aller manger dans un Quick halal, mais au lieu de minimiser ce phénomène, il me semble qu’il faut l’analyser correctement.
En premier lieu, cette évolution est particulièrement néfaste parce qu’il s’agit d’une augmentation quantitative de viande halal qui provient d’animaux qui ne sont pas abattus d’après les règles du bien-être animal établies dans les lois belges.
Ainsi, l’abattage rituel devient de moins en moins exceptionnel et les prescriptions religieuses prennent peu à peu la place de lois votées démocratiquement.
À cela s’ajoute, qu’il ne s’agit pas de restaurants qui prennent en compte des habitudes alimentaires alternatives, les végétariennes par exemple. Il s’agit d’une règle inspirée par une conviction religieuse. Les non-croyants sont priés de s’adapter ou de ne pas fréquenter ces établissements.
C’est un phénomène unique dans notre société. Jamais encore, nous n’avons eu de restaurants qui adaptent leurs mets aux dictats religieux. Même aux heures les plus sombres de l’impact écrasant de la religion catholique dans nos contrées, il n’y a jamais eu de restaurants qui étalaient leurs convictions sur leur vitrine et adaptaient leur menu aux exigences religieuses.
Cela n’aurait d’ailleurs jamais été toléré, car même les croyants les plus convaincus estiment qu’une telle ingérence de la religion dans la vie privée est inacceptable. Mais au coin de ma rue à Forest, il y a maintenant un boucher qui se qualifie ouvertement de Boucherie Islamique. Là où autrefois on avancerait des arguments de qualité, on a maintenant une recommandation religieuse.
On tolère sans mot dire l’infiltration de l’islam
Personne ne semble s’en offusquer; on tolère sans mot dire l’infiltration de la religion. Quand il s’agit d’islam évidemment, car je suis certain qu’un boulanger flamand qui ouvrirait une « boulangerie chrétienne » dans mon quartier susciterait l’indignation.
La déchristianisation de la société, la séparation de plus en plus nette entre l’état et la religion catholique semble s’accompagner du mouvement inverse de l’islam qui affiche une volonté croissance d’ingérence dans la vie privée de ses croyants.
Je pense qu’on fait bien de ne pas considérer ce phénomène comme secondaire ou de céder à une évolution soi-disant aussi inoffensive qu’inévitable. Elle n’a pourtant rien à voir avec la pratique religieuse. Au contraire, ce n’est pas à la société à s’adapter à la religion, mais l’inverse. Le management français de Quick devrait s’en rendre compte. La religion doit demeurer une pratique privée.
Si on n’est pas vigilant, nous serons obligés de recommencer la dure lutte contre l’ingérence de religion dans la vie publique. J’espère qu’on ne se retrouvera pas dans une société où les exégètes déterminent quels types de hamburgers on peut servir.
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