Olivier Guez: « Le football calme les passions tristes »
Olivier Guez, écrivain et prix Renaudot 2017 et auteur de « Une passion absurde et dévorante », nous explique pourquoi le football continue de susciter l’engouement.
Les premières victoires des Diables Rouges à l’Euro promettent un engouement décuplé pour le football en Belgique. Excessif? Pour l’écrivain Olivier Guez, auteur deUne passion absurde et dévorante, celle-ci peut s’avérer dangereuse. Sinon, ce ne serait pas une passion.
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Vous parlez à propos du football de « trait d’union de la planète fragmentée ». Qu’entendez-vous par là?
Prenez l’exemple d’une Coupe du monde. L’événement va être regardé, commenté, analysé partout pendant un mois. C’est le trait d’union d’une planète totalement fragmentée. Les très grands joueurs sont aussi des traits d’union à travers le monde. Le football est étonnant parce qu’il est à la fois un sport individuel et un sport collectif. C’est le cas au niveau des joueurs. Mais ça l’est aussi au niveau des spectateurs. L’amateur vit ces événements individuellement mais les partage collectivement. Le football est un sport ultralocal. Vous êtes le supporter d’une équipe. Mais vous pouvez rencontrer des personnes qui vivent la même passion partout sur la planète. Donc, le football recèle tout et son contraire. Sport de droite et de gauche, sport individuel et collectif… C’est ce qui fait qu’il est d’autant plus un trait d’union.
Le football recèle tout et son contraire. Sport de droite et de gauche, sport individuel et collectif…
Le football peut-il avoir un rôle politique? Dans Une passion absurde et dévorante (1), vous déniez d’un côté que l’équipe de France black-blanc-beur de 1998 ait eu un impact sur la société et de l’autre, vous indiquez tout de même qu’il peut être un ciment national dans certains pays…
Comme toujours, la réponse est dans le gris. Une équipe peut aider une nation par le partage de moments forts qu’elle procure. Si les Diables Rouges vont très loin dans cet Euro, la Belgique mettra de côté ses éternelles bisbilles régionales. Mais ce n’est pas pour cela qu’elle ira mieux dans deux ans. De même, personne ne peut prétendre que la Yougoslavie n’aurait pas explosé si elle avait gagné la Coupe du monde en 1990. Simplement, le football calme les passions tristes. Ensuite, il ne faut pas surestimer le rôle, notamment, des joueurs. En 1998, on en a fait des tonnes en France à propos de l’équipe black-blanc-beur. L’impact a été très vite démenti. Trois ans plus tard, il y a eu le match terrible entre la France et l’Algérie, l’envahissement de la pelouse par les supporters, la Marseillaise sifflée, ce qui mettait déjà en évidence toutes les tensions de la société française. En 2002, Jean-Marie Le Pen accède au deuxième tour de la présidentielle. En 2005, les banlieues s’enflamment. Et en 2006, Ilan Halimi (NDLR: jeune Juif enlevé en région parisienne) se fait dépecer par le « gang des barbares ». Autant une équipe nationale peut mettre du baume au coeur d’une nation, autant il faut être prudent avant d’affirmer que les joueurs seraient des exemples ou des contre-exemples pour la société.
La « passion absurde et dévorante » que vous décrivez ne peut-elle pas être dangereuse?
Bien évidemment. Une passion est par définition absurde et dangereuse ou folle. Dans la notion de passion, il y a celle de déséquilibre. Dans le déséquilibre, il y a toujours du sombre. Sinon, ce n’est pas une passion. C’est un plaisir, un passe-temps, un hobby… Le football véhicule aussi des actions dangereuses, des batailles entre supporters, de l’ultrachauvinisme, du nationalisme, du racisme, bref de la bêtise humaine. C’est le miroir de la société.
L’hypermarchandisation du football n’atténue- t-elle pas le risque de dérives violentes?
Ça lisse. Tout est lissé, sanitarisé. C’est la différence entre l’ancien Maracana (NDLR: stade mythique de Rio, au Brésil) et le nouveau. Il n’y aura pas d’accident dans le nouveau Maracana et tant mieux. Pouvoir accueillir 200 000 spectateurs dans un stade de foot, c’est dingue. On vit dans une société qui a une aversion au risque. Le revers est qu’il y a moins d’émotions et moins de passions. On se marre moins mais on est censés être plus tranquille. Moi, je n’en suis pas certain. Mais c’est comme cela qu’est construite notre société contemporaine. La Fifa est une organisation internationale ultrapuissante qui prône des principes merveilleux, entre l’ONU et le pape. Mais quand on s’aperçoit de la façon dont elle est gérée, avec cette corruption généralisée, ces passe-droits, les sommes folles engagées, on est face à une ultrahypocrisie.
Lille est devenu champion de France. N’golo Kante a été désigné meilleur joueur de la finale de la Ligue des champions. Ce ne sont pas toujours les plus fortunés ou les plus médiatisés qui gagnent. Une résistance au rouleau compresseur économico-commercial existe-t-elle?
C’est ce qui fait encore le charme du football. On ne peut pas programmer une victoire. Les Etats autoritaires et totalitaires du XXe siècle ne pouvaient pas miser sur le football parce qu’il est une science inexacte à la différence de l’athlétisme, de la natation ou de l’haltérophilie où vous pouviez préparer, vraiment préparer, les athlètes en étant à peu près certain du résultat. Au football, non. D’où la résistance de Staline ou de Juan Peron (NDLR: président argentin de 1946 à 1955 et de 1973 à 1974) à faire participer l’URSS et l’Argentine à des compétitions internationales de football. Lille qui devient champion de France, c’est formidable. Il a fait un travail extraordinaire. Mais sa victoire est aussi due au fait que le PSG qatari est incapable, malgré les milliards dépensés, d’écraser complètement la concurrence.
En quoi l’organisation du Mondial 2022 au Qatar est-elle le paroxysme de l’inconvenance?
Organiser la Coupe du monde au Qatar est un scandale absolu parce que ce pays n’a pas de tradition footballistique, qu’il a engagé des esclaves modernes sur les chantiers de construction de ses stades et qu’il use de ce Mondial comme d’un soft power pour faire oublier ce qui se trame en arrière-boutique. Une Coupe du monde de football, ce n’est pas seulement des matchs, c’est tout ce qu’il y a autour, la fraternisation, le folklore, les rencontres, l’alcool…Tout cela fait que l’on ne devrait pas aller jouer au Qatar. Mais tout le monde ira, bien évidemment.
(1) Une passion absurde et dévorante, par Olivier Guez, L’Observatoire, 192 p.
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