Olivier Chastel, l’homme qui ne voulait plus être président
Il avait insisté auprès de Charles Michel pour ne pas être ministre fédéral, il a refusé de devenir ministre-président wallon, il quitte aujourd’hui la présidence du Mouvement réformateur et se destine au Parlement européen. Olivier Chastel est un homme de pouvoir qui n’aime pas le pouvoir.
Il est parti comme il est venu et a laissé le parti comme il a rendu son bureau : sans l’avoir dérangé. Lundi 18 février, à 14 heures à peine sonnées, au neuvième étage du grand building bleu de l’avenue de la Toison d’Or, à Bruxelles, Olivier Chastel a repris ses quelques bricoles, une ou deux postures, comme on dit à Charleroi, et quelques photos de famille, avec son épouse et ses jumeaux. Il n’a pas emporté, sur l’étagère, ce cliché où, tout sourire, il embrasse Charles Michel. A cette exception près, le Premier ministre, qui y a tenu quelques réunions dans la foulée, aura donc récupéré ses meubles présidentiels en pristin état. Comme il s’y attendait, mais pas si vite. Car la veille, lorsqu’ils s’étaient rencontrés autour de 17 heures pour un discret mais décisif tête-à-tête, Olivier Chastel l’a surpris. Pas en lui signifiant son inaltérable volonté de mener la liste MR pour l’élection européenne, mais en lui demandant de reprendre, dès le lendemain, la présidence du Mouvement réformateur.
La surprise est si grande, dans le chef d’un Premier ministre qui avait déjà décidé de lancer tôt sa campagne, que les statuts du MR seront pudiquement violés, lundi matin en conseil de parti. Ils prévoient qu’en cas de vacance présidentielle, « quelle qu’en soit la cause », c’est le bureau, composé des vice-présidents et des chefs de file des différents gouvernements, qui exerce la présidence à titre intérimaire jusqu’à l’élection interne. Elle est si bien tenue, cette surprise, que Didier Reynders lui-même n’en aura été averti que quelques minutes avant l’ouverture dudit conseil. Et elle est si bien gardée que Françoise Schepmans, tête de liste régionale bruxelloise arrivée en retard avenue de la Toison d’Or, a passé un long moment à chercher la source de cette silencieuse agitation qui suintait des rangs, dans la salle du conseil, avant que son voisin ne la lui révèle.
Il est parti comme il est venu, mais il est parti beaucoup plus vite, Olivier Chastel. Il ne le dira pas, pourtant. A la presse, il parlera de choix personnel, de conviction intime et de volonté d’être cohérent. Mais en fait, à 54 ans, Olivier Chastel en a marre. Depuis longtemps mais toujours plus. Marre de tout ça. C’est tout le paradoxe d’un homme de pouvoir que révulse le pouvoir, ses contraintes bien sûr mais ses attributs aussi. C’est le grand malentendu d’un Carolo qui s’est forgé une très belle carrière dans le fourneau brûlant des « affaires » sambriennes mais que des étincelles effraient. Une histoire de père peinard qui tachycarde. Une histoire qui, lorsqu’on en remonte le fil, dénude la nature de l’homme qui ne voulait plus être président.
Il ne le voulait plus et, ce mois de février, la montée de tension entre Charles Michel, Didier Reynders et lui, autour des têtes de listes, et en particulier de l’européenne, l’aura définitivement décidé. Olivier Chastel hait les conflits, et celui-ci, n’en déplaise aux mines réjouies et aux badines amabilités proférées lundi, aura été rude. Didier Reynders n’allait pas bouger de la tête de liste fédérale bruxelloise, Olivier Chastel n’allait pas bouger à la tête de liste fédérale hennuyère, voire régionale carolorégienne, Charles Michel pensa un temps bouger vers la tête de liste fédérale bruxelloise ou la tête de liste européenne, et ce fut le conflit. Olivier Chastel hait l’improvisation, et celle-ci, n’en déplaise aux regards assurés et aux fermes déclarations, aura été rude. Celle de trop. Olivier Chastel s’était préparé depuis plus d’un an à siéger au Parlement européen. Il s’est bagarré dans l’improvisation pour le rester.
Il l’avait encore moins voulu lorsque, le dernier samedi matin d’octobre 2018, mutique, il reçoit ce coup de téléphone de Paul Magnette qu’il redoute depuis quelques jours. L’un a fait 1 500 voix de préférence, l’autre 22 500, mais ça n’a rien à voir. Mâchoire serrées, il ne répond que par murmures au bourgmestre de Charleroi, qui lui annonce qu’il ne veut pas du MR dans sa nouvelle majorité. Ils se connaissent depuis vingt ans, ils dînaient ensemble avant même que Paul Magnette n’entre en politique. Ils sont presque voisins, à Mont-sur-Marchienne. Ils aiment les mêmes vins. Ils ne se sont plus adressé la parole depuis. Olivier Chastel pourtant prône de longue date des alliances laïques. Il avait un accord avec Elio Di Rupo pour prolonger la majorité PS-MR à la Province de Hainaut, et il pensait, Mons exceptée, réitérer naturellement le grand chelem hennuyer de 2012, qui avait vu socialistes et libéraux s’associer dans toutes les grandes villes de la province. Alors il est déçu. Alors il est mutique. Alors il n’a plus adressé la parole à Paul Magnette depuis et c’est dire qu’il en avait solidement marre de tout ça.
L’avait-il vraiment voulu à l’été 2017 lorsque, le voyant copiner comme jamais avec Benoît Lutgen pour constituer ce nouveau gouvernement wallon qui jetait le PS dehors, Charles Michel se prit d’insister pour le voir s’installer à l’Elysette ? Olivier Chastel s’était en tout cas montré fort attaché à ce bureau si chichement décoré du neuvième étage de l’avenue de la Toison d’Or, puisqu’Olivier Chastel refusa ce qu’aucun autre Carolo qu’Olivier Chastel ne refusera jamais : la ministre-présidence wallonne. Pourtant bon orateur, il se plaisait depuis un petit temps déjà à envoyer Georges-Louis Bouchez ou Richard Miller sur les plateaux de télévision ou sur l’estrade des conférences-débats. Il se soulageait aussi de dépêcher Denis Ducarme autour des tréteaux des soupers aux moules de sections locales. Mais là, dans le parti, jusqu’à son sommet et jusqu’au 16, rue de la Loi, on s’était alors sans doute dit que cet homme de pouvoir qui voulait rester président n’aimait vraiment pas le pouvoir.
Il l’avait finalement accepté, au bout de cette nuit de septembre 2014, lorsque Charles Michel, négociant avec ses homologues CD&V, N-VA et Open-VLD, constata avec joie que l’entêtement du CD&V à envoyer un des siens à la Commission européenne donnait mécaniquement à un libéral francophone le poste de Premier ministre. « Je deviens Premier, et toi président du MR », lui avait dit Charles Michel au téléphone. Olivier Chastel était ministre du Budget dans le gouvernement Di Rupo sortant. Mais l’homme ne voulait pas le rester. On l’avait vu traîner son embarras de devoir forcer des arbitrages, recevoir réprimandes et doléances, et répondre à de complexes interpellations. Il n’en garderait comme heureux souvenir, nous disait-il, que ces moments plaisants avec Johan Vande Lanotte, son prédécesseur au Budget. Non, l’homme ne voulait plus être ministre, nous avait-il annoncé dès l’automne 2012. Charles Michel, de qui il avait choisi dès 2009 le camp au moment du putsch contre Didier Reynders, le savait encore mieux que nous. L’homme n’avait accepté d’être président que parce qu’il ne voulait pas redevenir ministre.
Le camp, il l’avait choisi sans le dire le 28 mai 2007 lorsqu’il dut, en ce lundi de Pentecôte, abandonner son échevinat de Charleroi. On était en pleines affaires carolorégiennes, plusieurs échevins socialistes, bientôt inculpés, allaient devoir démissionner. Didier Reynders était président du Mouvement réformateur. On était à deux semaines des élections législatives, et Didier Reynders voulut en mettre un coup pour « faire bouger le centre de gravité politique » aux dépens du PS. En forçant Olivier Chastel, l’homme à l’origine des « affaires » à une très médiatique démission. Cette discussion, chez lui à Mont-sur-Marchienne, avec son président de parti d’alors, allait pour toujours lui laisser un goût de sale en bouche. Ses 67 000 voix de préférence comme tête de liste à la Chambre (son sommet, contre 30 000 en 2010 et 40 000 en 2014), puis sa désignation comme secrétaire d’Etat fédéral le consoleraient. Mais sans faire passer la saleté dans le fond de la bouche. Il triomphait parce qu’on le disait roquet.
Il n’était pas un roquet, ne l’avait jamais été et ne le serait jamais. Même pas ce 5 septembre 2005 lorsque, tranquille conseiller communal d’opposition depuis 1993, il présente à la presse un rapport d’audit de La Carolorégienne, société de logements sociaux dirigée par l’omnipotent socialiste Claude Despiegeleer. On allait le dire roquet pendant les dix-huit violents mois qui allaient suivre avec leur litanie d’inculpés, de démissionnés, d’emprisonnés, et pourtant il n’avait pas voulu mordre aussi fort : l’homme que l’on allait dire roquet avait appelé Claude Despiegeleer, la veille, pour l’avertir de sa conférence de presse. « Ah, pas de problème, fais à ton aise », avait répondu l’omnipotent visionnaire. Olivier Chastel avait fait à son aise, mais pas sans problèmes. Il avait empoché 17 000 voix de préférence aux communales d’octobre 2006 (contre 6 500 en 2012 et 1 500, donc, en 2018), il serait échevin, il avait enfin pu faire revenir son parti, d’accord avec l’encore plus omnipotent socialiste Jean-Claude Van Cauwenberghe, dans la majorité carolorégienne. L’homme avait voulu gagner les élections. Il avait voulu être échevin. Mais on le disait roquet, il aboyait et il mordait et il ne le voulait pas. Parce qu’il n’aime pas aboyer ni mordre, Olivier Chastel. Parce que, nous disait un de ses proches il y a deux semaines, « on sait tous qu’Olivier, il ne fait ça ni pour le pouvoir, ni pour le pognon ». Or, du pouvoir il en a eu, mais il ne le gardera pas, et du pognon, il en gardera et il en aura toujours, mais plus autant. Parce qu’il sera un député européen avec autant de pouvoir que 705 autres députés européens, avec des émoluments moitié moins élevés que ceux d’un président de Mouvement réformateur, même avec moins de pouvoir que Charles Michel.
Mais, alors ! Pourquoi il a fait tout ça, Olivier Chastel, à la fin ?
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