Olivier Mouton

Obama- Beyoncé : un journalisme coupable

Olivier Mouton Journaliste

La rumeur d’une idylle entre le président américain et la chanteuse, relayée sans vérification par certains médias, témoigne de l’importance d’une presse responsable à l’heure des réseaux sociaux instantanés.

Pascal Rostain est l’un de ces paparazzis qui traquent la vie des célébrités pour garnir son compte en banque. On le dit proche de Carla Bruni et de Valérie Trierweiler, adoubé par les (ex-)premières dames pour dévoiler ce qu’elles veulent bien montrer de leur vie privée. On lui doit plusieurs livres consacrés aux coulisses de son métier. Dans son genre, c’est aussi une star des médias.

Invité lundi de Jean-Marc Morandini sur Europe 1, ce monsieur « people » aurait pu penser à tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de s’exprimer. Peu de temps après « l’affaire Hollande – Gayet » et alors que le président français est en visite officielle aux Etats-Unis, il n’a rien trouvé de plus croustillant que d’annoncer la révélation imminente par le sérieux Washington Post d’une relation entre le président américain, Barack Obama, et la chanteuse Beyoncé, proche de la famille Obama, sur fond de rumeurs persistantes évoquant des tensions au sein du couple présidentiel.

Et des sites en ligne de reprendre l’information, enflammant les réseaux sociaux, suscitant des réflexions sur les précédents, prouvant qu’il y avait anguille sous roche, le président embrassant « tendrement » la chanteuse après sa prestation lors de son investiture.

Une information relayée en France et en Belgique, surtout. Pas un mot dans les médias américains. Et pour cause : il s’agit au plus d’une rumeur non vérifiée, au pire d’un bobard. La directrice de communication du Washington Post a démenti que son journal préparait un article de ce type. Pascal Rostain, lui, a tenté de dire qu’il n’avait jamais prédit une publication ce mardi – plutôt absurde comme défense alors que ses propos ont été exprimés… en direct à la radio – ou qu’il avait lancé cela à titre de boutade – pas vraiment ce qu’il transparaît à réécouter l’enregistrement.

C’est peu dire qu’il est irresponsable de la part d’un journaliste certes sans scrupules de lancer une telle intox. Mais que dire aussi de cet emballement médiatique reprenant ses dires sans même prendre le temps de les vérifier, sans donner un coup de téléphone au Washington Post ni à Rostain Certains médias, dont Le Vif/ L’Express, ont décidé d’attendre avant de rejoindre la meute. Une question de crédibilité. Recouper ses sources, a fortiori lorsqu’elles paraissent peu sérieuses, reste le coeur du métier de journaliste.

Ce nouveau dérapage témoigne de l’importance vitale d’une information de qualité à l’heure du tout instantané, du global, du sensationnel. Si la presse souffre dans sa chair et dans ses ventes en raison de la gratuité et des réseaux sociaux, seule une rigueur absolue lui permettra de préserver son intégrité et, ce faisant, sa force d’attraction. C’est une leçon à méditer chaque jour pour nous, à l’heure où toutes les rumeurs, toutes les intoxications circulent sur internet.

Il fut un temps pas si lointain, c’était en 1989, où quelques journalistes avaient pris la peine d’aller vérifier à Timisoara, en Roumanie, si des charniers avaient bien été découverts comme le prétendaient les opposants au régime du dictateur Ceausescu. En réalité, il s’agissait d’un montage. A l’heure où tout est accessible, ce précédent doit plus que jamais rester en mémoire.

La fausse affaire Obama – Beyoncé témoigne aussi de la barrière de moins en moins étanche entre la vie publique des dirigeants et leur vie privée, même si les affaires Clinton ou Mitterrand, pour ne citer que celles-là, démontrent que ce phénomène n’est pas nouveau. Est-ce opportun de diffuser une telle information, si elle se révèle exacte ? Le public a-t-il droit à une transparence absolue ? Oui, pour autant que l’affaire ait un impact sur la vie publique, que l’on en décode précisément les enjeux (financiers, sécuritaires, ou politiques) sans rentrer dans les détails sordides d’une relation qui ne regardent que les principaux intéressés.

L’intox Obama – Beyoncé est un rappel à l’ordre, comme le fut l’affaire Hollande-Gayet. La presse se disant de qualité sortira grandie si elle reste dans une ligne cohérente démontrant que toute information n’a pas la même valeur. Et que le travail de journaliste reste un filtre essentiel entre la rumeur globale et le citoyen. Sa crédibilité et sa survie sont à cet élémentaire prix.

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