Aymeric de Lamotte
Nous sommes la Belgique. We zijn België
Dans l’euphorie de la prouesse de l’équipe belge, la fête nationale approchant, j’ai eu envie d’exprimer ce que m’inspire une communauté joyeusement polyglotte dont on ne parle pas assez, et dans laquelle nous aimerions continuer à nous perdre : la Belgique.
Un pays désiré, une histoire commune et un patriotisme de l’humilité
Selon notre plus éminent historien, Henri Pirenne, la culture belge, savant mélange de germanisme et de romanisme, existe depuis le Moyen-Age et la révolution de 1830 n’a fait que la concrétiser « institutionnellement ». Certains associent parfois la Belgique à une « création artificielle » ou « un mariage forcé ». Ceux-là oublient qu’une « union sacrée », composée de catholiques et de libéraux venus des quatre coins du pays, s’est levée contre le joug de Guillaume Ier d’Orange-Nassau, roi des Pays-Bas. Notre pays ne serait donc ni la résultante de l’aléa d’un décret dicté par des forces étrangères ni un accident de l’histoire, mais la concrétisation d’un sentiment poli par les siècles et du rugissement d’une volonté.
Depuis plus de 185 ans, notre petit pays trace, bon an mal an, son chemin dans la grande Histoire des peuples. Beaucoup insistent fortement sur « les deux démocraties qui se font face, l’une de gauche, l’autre de droite », « l’économie florissante de l’une, celle claudicante de l’autre ». Mais quel pays n’a jamais connu de secousse interne ? Quel pays coule de source ? Il me semble que très peu de choses vont de soi ; l’émanation et la perpétuation de sentiments profonds, qu’ils soient familiaux, amoureux ou amicaux, ne sont que l’aboutissement d’efforts et d’attentions répétés au quotidien. Une relation humaine se renforce d’autant plus quand elle parvient à surmonter les obstacles qui jalonnent sa route. Certes, notre sentiment national est sans doute plus complexe qu’ailleurs car il n’est pas irrigué par une langue unique qui facilite l’éruption de référents partagés. Nous évoluons cependant dans une histoire et une géographie communes. Bruges ou la côte belge sonnent plus familièrement aux oreilles des francophones qu’une grande ville française, tandis que Namur ou les Ardennes sont pour les flamands une réalité plus tangible qu’une ville hollandaise. Brel le prouve en mettant autant d’intensité dans sa voix quand il célèbre son « plat pays » ou son « vlakke land », ainsi qu’Emile Verhaeren, notre poète national, quand il fait jaillir en français une ode aux flamands.
Paradoxalement, les difficultés internes que traverse notre pays éveillent chez nous un caractère commun : une bonhomie à toute épreuve, une délicieuse autodérision, et une résilience aux revers du destin. Le Belge cueille le jour sans grandeur ou orgueil surfait. Cette disposition révèle un savoureux caractère accessible, convivial et humble.
Les Diables ont réveillé un profond sentiment d’appartenance
En suivant les exploits des Diables lors de cette Coupe du monde, l’indicible a sauté aux yeux de beaucoup d’entre nous. Nous avons vu des francophones et des flamands traversés par des sentiments communs qui variaient au rythme des prestations des joueurs. Il serait réducteur d’expliquer ce fait par la passion pour un sport ; l’inquiétude ou la joie renvoyait à un attachement plus profond pour une communauté spécifique qui se pare des couleurs du noir, du jaune et du rouge. Nous avons brandi le drapeau et l’avons arboré à notre fenêtre. Le fait que des milliers d’entre nous ont réalisé ce geste, « de mettre son drapeau à sa fenêtre », révèle incontestablement une volonté sous-jacente d’être Belge, de se vouloir Belge. C’est la traduction évidente de ce que l’on peut appeler, sans hésitation, une communion nationale. Les cris que nous avons déployés n’étaient pas ceux de simples supporters, mais ceux de véritables citoyens : ils partaient de très bas et prenaient une consistance plus dense, plus habitée. Nous avions tout simplement conscience que quelque chose de plus grand et de plus beau était en jeu : la réussite ou l’échec d’une nation. J’ai encore en tête les mots superbes de Nacer Chadli, sauveur du match contre le Japon : « Ce goal est pour tout un peuple« . Les politiques devraient considérer ce fait comme un indicateur lumineux d’un sentiment et d’une volonté d’appartenance, pas toujours intellectualisée, mais ressentie. Il me parait évident que la Belgique cherche un « nous commun », une fierté partagée, une aventure collective.
Donner l’exemple pour en inspirer d’autres
Les francophones et les flamands ont déjà énormément en commun : une civilisation, des principes fondateurs et un mode de vie. La seule véritable barrière qui les sépare est celle de la langue. Cette barrière peut cependant se transformer en pont si nous y mettons un peu d’effort individuel et collectif. C’est d’ailleurs précisément celle-ci qui constitue la saveur, l’originalité, et l’exemple belge. Les Diables ont montré que l’unité était source d’un plus grand enrichissement mutuel, pourquoi pas nous ? Avec de la volonté, de la persévérance dans l’épreuve, et la certitude d’y arriver, nous pourrions déboucher sur une nation joyeuse, enrichie de ses différences. Nous sommes au croisement des chemins : soit nous laissons passivement la Belgique péricliter dans les mains de ses détracteurs vers un avenir pavé d’incertitude et d’amertume, soit nous nous attelons à bâtir une vision ambitieuse et commune pour notre pays. Les Diables ont incarné l’ambition d’une nation unie. Nous avons constaté que celle-ci se logeait dans le coeur des gens. Poursuivons-là ! Citoyens, associations, entreprises, politiques de tous bords, unissons-nous : soyons les militants de la Belgique. Bonne fête nationale à tous les Belges !
Aymeric de Lamotte
Conseiller communal à Woluwe-Saint-Pierre et avocat
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