Carte blanche
Nous ne sommes pas que « des femmes de » !
Nous avons pris connaissance avec surprise, avec stupéfaction même, de ce « Trophée des Femmes de Chef », remise de prix sexiste et venue d’un autre âge. Un âge où le code Napoléon n’aurait pas été abrogé. Voici notre lettre ouverte à son organisateur.
Cher Laurent,
Puisque c’est vous qui lancez ce Trophée « Femme de Chef », destiné à élire la « femme de chef de l’année », nous nous adressons à vous. Nous sommes l’association Women do wine, regroupant des femmes du vin de multiples horizons.
Réduire, par exemple, Magali Sulpice, qui a voulu être sommelière depuis ses 12 ans et qui a une trajectoire professionnelle admirable et pavée de grandes maisons, à n’être plus que u0022femme deu0022 nous paraît carrément insultant.
Nous avons pris connaissance avec surprise, avec stupéfaction même, de cette remise de prix sexiste et venue d’un autre âge. Un âge où le code Napoléon n’aurait pas été abrogé.
« Femme de » n’est pas un métier : directrice, sommelière, cheffe de rang, et même,cela vous surprendra peut-être, cheffe tout court, sont des métiers. Vous ne souhaitez pas récompenser ces femmes, mais leurs qualités de compagnes. D’épouses. De mères. Et, vous le dites vous-même, leur « sérénité et discrétion ». Ce ne sont pas des individus que vous avez en tête, mais des faire-valoir récompensés pour s’effacer derrière « leur chef » de mari.
Réduire, par exemple, Magali Sulpice, qui a voulu être sommelière depuis ses 12 ans et qui a une trajectoire professionnelle admirable et pavée de grandes maisons, à n’être plus que « femme de » nous paraît carrément insultant. Certes, elle a trouvé un compagnon avec qui partager sa passion. Mieux, ils collaborent. Mais doit-on faire fi de son expérience et ne l’imaginer que sous le prisme de ce statut amoureux ? Sérieusement ?
Toutes ces femmes n’ont pas attendu leur mari, elles ont choisi un métier : PatriciaNasti a fait ses début dans la restauration à 16 ans, Isabelle Mobihan choisit d’être sommelière à 20 ans, Céline Couillon a commencé l’école hôtelière à 15 ans et a contribué à monter leur restaurant au moins autant que son mari, et Laure Mengus le dit très bien : son métier est directrice.
Sommes-nous toujours destinées à nous cacher derrière un homme ? A justifier notre expérience ou notre parcours par un homme ? Sommes-nous obligées de nous conformer à cette image de « sérénité et de discrétion » ? Et pourvu qu’elles soient douces, n’est-ce pas ?
Les femmes ont gagné, de haute lutte, leur émancipation du joug masculin. Elles n’existent plus au travers de leurs maris, ou de leurs pères, elles sont des individus à part entière, qui ont des objectifs, des carrières, dans lesquelles elles s’épanouissent.
Sommes-nous toujours destinées à nous cacher derrière un homme ? A justifier notre parcours par un homme ? Sommes-nous obligées de nous conformer à cette image de u0022sérénité et de discrétionu0022 ? Et pourvu qu’elles soient douces, n’est-ce pas ?
Evidemment qu’il est bon d’avoir un soutien dans ces métiers de passion, extrêmement chronophages et exigeants. Il s’agit parfois d’un compagnon, d’une compagne, qu’il/elle soit « du milieu », ou non. Evidemment que le travail en famille est courant dans ces métiers : nous le savons, nous y sommes confrontées. Nous savons aussi qu’il induit parfois des sacrifices, des choix. Mais faire un trophée récompensant les « femmes de » est un archétype qui cloisonne et enferme au lieu de mettre en avant. Et avez-vous songé aux compagnons de femmes cheffes ? Ne sont-ils pas, eux aussi, dans l’ombre ? Et aux compagnons de chefs ?
Il est plus que louable de souhaiter mettre en avant les femmes méritantes, celles dont la passion est devenue un métier, celles qui, jour après jour, ajoutent de l’excellence à la gastronomie. Il est dommageable de ne voir en elles que les petites mains, les soutiens, les ombres. Les femmes de la restauration ont droit à la pleine lumière.
Nous espérons sincèrement que vous repenserez ce trophée « femmes de », insultant et réducteur, surtout à cette date de la journée des droits des femmes. Trouvez autre chose de plus juste et égalitaire. Quelque chose qui fasse honneur aux femmes de la gastronomie, à leurs mérites et non à leur statut marital. Faites-en quelque chose qui soit utile à la reconnaissance des femmes dans les métiers de la gastronomie.
Là, elles vous remercieront. Et nous avec.
L’association Women Do Wine
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