Nicolas Martin : « La régionalisation est arrivée trop tard pour la Wallonie »
Etrangement silencieux dans ces débats institutionnels sur le confédéralisme, les régionalistes socialistes wallons veulent-ils s’engager dans une septième réforme de l’Etat ? Explications avec un de leurs chefs de file, le bourgmestre de Mons, Nicolas Martin.
C’est le pari conjoint des défenseurs d’une coalition bourguignonne au fédéral et des promoteurs du confédéralisme : les régionalistes wallons, lassés de voir leurs horizons fédéraux bouchés, seraient prêts à s’engager dans une réforme de l’Etat, la septième, qui cèderait encore davantage de compétences aux entités fédérées. La gauche wallonne n’a-t-elle pas, depuis Jules Destrée et, surtout, André Renard, elle-même toujours poussé à laisser cette Flandre de droite s’occuper de ses affaires plutôt que d’essayer d’imposer ses vues à une Wallonie de gauche ?
La gauche wallingante a-t-elle rendu les armes ?
Or, jusqu’à présent, les seuls régionalistes wallons à avoir favorablement accueilli les intentions des camarades de Bart De Wever sont de droite, comme le libéral Jules Gheude, biographe de François Perin, le socialiste défroqué Philippe Destatte, directeur de l’Institut Jules Destrée, ou, avec plus de circonspection, le réformateur Jean-Luc Crucke, thuriféraire d’une Belgique à quatre Régions renforcées. La gauche wallingante, désormais demandeuse de rien, a-t-elle rendu les armes ? Elle la joue en tout cas modeste, limitant ses revendications à de raisonnables accommodements sur le dos de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Une dissolution accrue de l’Etat fédéral, qui réduirait encore plus drastiquement les transferts Nord-Sud entre une Flandre prospère et une Wallonie qui l’est moins, imposerait, de Verviers à Mouscron et de La Hulpe à Arlon, une longue cure d’austérité fort peu compatible avec des aspirations progressistes. L’aboutissement du confédéralisme est donc un piège à socialistes. Comme le disait du reste déjà le trotskyste Ernest Mandel lorsque, tirant en 1970, dix ans avant l’installation de la Région wallonne, un premier bilan du renardisme et des réformes de structures qu’il prônait : « Au lieu d’être le moyen de réaliser les réformes de structure anticapitalistes, c’est-à-dire de renverser le capitalisme, le fédéralisme devenait un but en soi. » Pas particulièrement anticapitaliste, et encore moins trotskyste, mais néanmoins très avancé sur le régionalisme, le bourgmestre de Mons et président de la fédération socialiste de Mons-Borinage, Nicolas Martin, tire des leçons du passé. Et une manière de trait sur le futur.
Partons sur un syllogisme.
La majeure : les régionalistes wallons comme vous ont toujours voulu plus de compétences pour les Régions.
La mineure : le confédéralisme donnera plus de compétences aux Régions. La conclusion : donc, vous êtes pour le confédéralisme.
Pas du tout ! Le confédéralisme, c’est l’opposé de ce que souhaitent les régionalistes, dans la mesure où le régionalisme fait valoir la diversité du pays en conservant une identité nationale. Ce terme de confédéralisme a été conçu, de manière artificielle, par les indépendantistes flamands pour tenter de masquer leur volonté de scinder la Belgique.
Donner plus de compétences aux Régions ne permettrait-il justement pas d’aider l’économie wallonne à se redresser ? C’est la raison pour laquelle vos prédécesseurs ont exigé d’obtenir davantage de leviers économiques.
Dans les faits, la régionalisation du pays est intervenue beaucoup trop tard. Ce qu’on a pu constater, historiquement, c’est que dans la période de reconstruction de la Belgique, après-guerre, l’Etat a aidé les entreprises à investir en Flandre, à coups d’exonérations fiscales, et a investi massivement dans les travaux publics, la construction de routes, de canaux, de ports. Pensons aux ports de Zeebruges et d’Anvers, à l’aéroport national de Zaventem, etc. 85 % des investissements publics, qui étaient à ces époques beaucoup plus élevés par rapport au PIB que ce que nous connaissons actuellement, se sont faits en Flandre, ce qui a totalement lésé la Wallonie. La régionalisation a été entamée lorsque ces investissements étaient terminés en Flandre et pas du tout en Wallonie : pensons aux ascenseurs à bateaux, aux autoroutes, aux aéroports, etc. Donc, la Wallonie s’est retrouvée, dans les années 1980, avec des compétences et des moyens insuffisants alors que son économie s’était effondrée. Juste au moment où on a touché le fond, on nous a transféré des compétences sans nous donner de moyens, et on a demandé à la seule Région wallonne d’assurer son redressement, soit de réussir un exploit que l’Etat national n’était pas arrivé à accomplir avec infiniment plus de leviers. Même si notre autonomie nous a permis d’aller chercher des fonds européens, il faut reconnaître qu’ils ne représentent que quelques dixièmes de pourcents sur l’ensemble du PIB wallon. Ce qu’il aurait fallu, et ce qu’il faut rechercher, c’est qu’une solidarité s’exerce au niveau national.
Comment ? Les flamingants déplorent déjà les transferts…
A travers des politiques économiques et fiscales qui permettent aux sous-régions de Wallonie, et de Bruxelles et de Flandre aussi, d’ailleurs, de vraiment connaître un redéploiement économique : tous les plus gros leviers financiers, en politique fiscale à travers l’impôt des sociétés, de cotisations sociales et patronales, sont dans les mains du fédéral. Il faut conjuguer une action fédérale forte, plus équitable dans ces matières, et les actions régionales. Tout en se disant aussi qu’on a déjà fait pas mal de travail, puisque la croissance wallonne est proche, dans un contexte général nettement plus défavorable, de celle d’une des régions les plus prospères d’Europe, en l’occurrence la Flandre.
Ça signifie donc que la Wallonie doit encore plus s’appuyer sur la richesse produite en Belgique, donc principalement en Flandre…
Il faut avoir conscience de la réalité : la Wallonie a été solidaire de la Flandre pendant 130 ans. On a ensuite continué à l’être, jusqu’aux années 1980, puisque tous les grands investissements ont été réalisés en Flandre, à cette époque où on parlait d’Etat-CVP, avec les impôts des Belges, donc des Wallons. Et la Flandre profite encore de ces gigantesques effets retour tout autour de Bruxelles, qui n’est pourtant pas sur le territoire régional flamand, de son aéroport, et des grands ports maritimes. Par ailleurs, il faut bien se dire que la Flandre a tout intérêt à ce que la Wallonie soit en bonne santé économique. Parce que même si on aime parler des transferts Nord-Sud en sécurité sociale alors même que la Wallonie n’en consomme qu’une part proportionnelle à sa population, le bénéfice commercial de la Flandre avec la Wallonie est équivalent à ces transferts de sécurité sociale…
Les nationalistes flamands dénoncent un état belge dont ils tirent le plus grand profit.
Réclamer une réorientation des moyens fédéraux et dénoncer l’injustice de la loi de financement, n’est-ce pas réclamer une septième réforme de l’Etat, qui pourrait être une étape vers le confédéralisme ?
Avec mes collègues du PS wallon, nous n’avons jamais demandé quoi que ce soit qui implique une négociation avec la Flandre. Ce que nous demandons, c’est de simplifier les institutions, notamment en régionalisant les compétences de la Fédération Wallonie-Bruxelles, notamment en matière culturelle et d’éducation. C’est ce qui se fait au niveau des Länder en Allemagne, ça n’a rien de révolutionnaire, et ça permet aux francophones, sans être demandeurs de rien, de mieux s’organiser et de consacrer le fait régional, devenu une réalité très forte en Wallonie et à Bruxelles. Et ce que nous demandons aussi, c’est qu’au sein de l’Etat fédéral et de ses institutions, les intérêts wallons et francophones soient mieux défendus. Il ne faut pas de réforme de l’Etat pour répartir plus équitablement les budgets de la Régie des bâtiments – comparez l’état des palais de justice flamands et francophones… – ni pour en finir avec cette si injuste clé de répartition 60-40 qui étrangle le rail wallon. Il faut simplement exercer de manière équitable les compétences de l’Etat fédéral, pas les scinder. C’est quand même la grande hypocrisie des nationalistes flamands, qui dénoncent un Etat belge dont ils tirent le plus grand profit, puisque tous les leviers administratifs, politiques et économiques, dans ce pays, sont aux mains de la Flandre, puisqu’ils profitent du rôle métropolitain de Bruxelles, de son aéroport et de son image, et puisque toutes les politiques qui ont été menées au niveau fédéral ont profité à l’économie flamande : les emplois créés sous le gouvernement précédent l’ont été principalement en Flandre, la régie du port d’Anvers a été exonérée de l’imposition sur les intercommunales, etc.
Le mouvement wallon, au fond, s’est fait avoir par la fédéralisation de la Belgique que, conjointement avec le mouvement flamand, il a réclamé et obtenu contre les belgicains ?
La Flandre revendiquait un modèle surtout culturel et basé sur les Communautés. Il a été installé en 1970, dix ans avant le fédéralisme régional à compétences économiques que réclamait le mouvement wallon. Et dans ces mêmes années septante, énormément d’investissements ont été réalisés en Flandre. Donc oui, la régionalisation est arrivée trop tard pour la Wallonie, au moment où elle recevait sur les bras toute une série de chantiers à finaliser, le tout avec des moyens limités, et appelés à l’être encore davantage avec la loi de financement de 1989 qui lui est tendanciellement très défavorable.
Sachant combien il est peu probable que l’Etat fédéral décide de réinvestir massivement en Wallonie, votre discours est très fataliste…
Non, parce qu’il faut, pour commencer, battre en brèche le discours ambiant qui affirme que les Wallons s’autoflagellent à force de s’entendre dire qu’ils n’ont rien fait. C’est faux ! Les outils mis en place depuis la régionalisation ont porté des fruits qu’il ne faut pas dénigrer. La seule chose, c’est que nous n’avons pas été suffisamment soutenus par l’Etat unitaire puis fédéral. Et qu’on ne remet pas assez en perspective ce discours négatif dominant, véhiculé par une Flandre qui a tous les leviers en mains, et même par certains francophones de droite.
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