Gérald Papy
Ne pas donner de nouvelles armes aux terroristes
» La guerre impose de regarder en face des réalités pénibles « , avertissait la semaine dernière dans ces colonnes le philosophe Marcel Gauchet. Nos dirigeants seraient-ils intellectuellement incapables de dépasser leurs obsessions partisanes et électoralistes (en Belgique) et leurs susceptibilités égotistes (de Paris à Bruxelles) pour se plier à cet exercice douloureux mais vital ?
Oui, les services de renseignement français, belges et d’autres pays européens ont failli à la surveillance d’individus potentiellement dangereux dans un contexte connu comme particulièrement sensible depuis les attentats de Charlie Hebdo. Oui, des responsables politiques, principalement issus de la gauche socialiste mais pas uniquement, ont péché jadis par naïveté et par laxisme, au nom d’un certain relativisme culturel, face à des phénomènes minoritaires de radicalisation de membres des populations musulmanes d’Europe. Oui, des puissances occidentales ont contribué, par leur stratégie binaire (le bien contre le mal) dans un Orient aux complexités ignorées, à créer la pieuvre Daech qui nous défie désormais de Paris à Tunis. Oui… Mais cette vision n’est que partielle.
Car il est tout aussi évident que les services de renseignement belges et français, par leur expertise, ont évité bien davantage d’attentats, un filet de protection invisible dont, suprême ingratitude, le crédit leur est rarement imputé. Il est indéniable que la multiplication et la sophistication des réseaux djihadistes compliquent considérablement le travail des forces de sécurité. Le commando des attentats de Paris en témoigne, lui qui fédère, dans une organisation loin d’être si professionnelle, une figure revendiquée de Daech, des petits délinquants radicalisés de fraîche date en Belgique et des agents infiltrés dans une masse de migrants. Face à ce terrorisme protéiforme, le succès des démocraties passe par la détermination, l’unité et la cohérence.
Tout signe de désunion et de faiblesse fait le lit de l’Etat islamique et de sa capacité de recrutement
Le gouvernement de Charles Michel, confronté aux répliques du séisme de Paris, a, dans un premier temps, bénéficié de la présomption de confiance. Sentiment vite ébranlé par l’inconséquence entre le discours et les actes (réouverture des écoles et du métro malgré le maintien du niveau d’alerte maximale) observée au lendemain d’un week-end de paralysie sans précédent de la capitale de l’Europe. Les incompréhensions entre pouvoir fédéral et entités fédérées puis les règlements de comptes politiciens dégainés par la N-VA ont fini de saper la quête d’une improbable union nationale. Pas si étonnant. Cet indigent brouhaha apparaît en définitive comme l’écume du mal profond que certains experts, interrogés pour notre enquête, diagnostiquent aux racines d’un terreau terroriste qui ne peut malheureusement pas être circonscrit à Molenbeek. S’il reste à prouver que la complexité institutionnelle belge, dont il ne faut pas subitement oublier certaines vertus, a distrait des moyens de missions régaliennes, elle a en tout cas incroyablement dispersé les efforts en matière d’enseignement, d’intégration et d’amélioration du vivre ensemble.
« Depuis la fin de la guerre froide, nos démocraties sont volontairement désarmées et de plus en plus incapables de penser qu’elles peuvent avoir des ennemis », prolongeait Marcel Gauchet. La Belgique plus que d’autres ? Nos gouvernants n’échapperont pas à cet examen de conscience, le moment venu. En attendant, tout signe de désunion et de faiblesse – un Etat durablement entravé dans son fonctionnement même sans attentat, des « partenaires » militaires, russes et turcs, qui se combattent – fait le lit de l’Etat islamique et de sa capacité de recrutement que le temps alimente toujours plus qu’il ne la tarit.
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