Namur © hatim kaghat

Namur, une cité mal aimée

Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

Quand Namur est devenue capitale wallonne à la fin des années 1980, elle a dû composer avec les autres villes, chacune ayant sa sphère d’influence. Cette répartition reste savamment entretenue par la Région et conduit à une concurrence entre cités. Si Namur s’affirme aujourd’hui grâce à la personnalité de son bourgmestre Maxime Prévot, son développement reste précaire.

En 2014, Namur bénéficiait pour la première fois du Feder, le Fonds européen de développement régional. Une première avec 30 millions d’euros à la clé. Jusque-là, Namur échappait à ce financement comme à d’autres, n’étant pas considérée comme un pôle prioritaire par la Région. Mais après de nombreuses tractations politiques – et un sérieux lobbying de Maxime Prévot, alors vice-président du gouvernement wallon -, Namur a pu faire partie des heureux bénéficiaires.  » Ce fut aussi un gros travail collectif qu’a mené la Ville, rappelle Patricia Grandchamps, échevine Ecolo. Mais cela reste une répartition financière où les enjeux partisans pèsent trop. Cela pose problème pour un développement territorial sain.  » Et l’élue est loin d’être la seule à penser ainsi.  » Maxime Prévot a permis cette pluie de subsides sur Namur comme jamais auparavant. C’est impressionnant, mais c’est aussi inquiétant pour la santé démocratique de la Wallonie « , pointe Jean-Benoit Pilet, politologue à l’ULB. Qui interroge :  » Aujourd’hui que le CDH a fait le choix de l’opposition, Namur pourra-t-elle encore être soutenue de la sorte ? Stratégiquement, les décideurs namurois devraient se faire les promoteurs d’une gouvernance régionale plus transparente. Une telle stratégie jouerait à l’avantage de leur ville.  »

En attendant, la capitale wallonne n’est pas la seule à être entrée dans une telle logique sous-localiste, puisque chaque grande ville, reconnue dans un statut de capitale différent – l’économie à Liège, le social à Charleroi, la culture à Mons… – veille scrupuleusement à ses intérêts.  » Une telle politique est nuisible : elle ne permet pas à la Wallonie d’atteindre une taille critique suffisante au niveau européen « , déplore Philippe Destatte, directeur de l’Institut Destrée.  » C’est la raison pour laquelle Namur n’aura jamais toutes les retombées que peut avoir une vraie capitale : cette répartition diminue tout simplement l’impact d’une capitale politique « , renchérit l’économiste Philippe Defeyt.

Patricia Grandchamps, échevine Ecolo :
Patricia Grandchamps, échevine Ecolo : « Les enjeux partisans pèsent trop. »© hatim kaghat

Une capitale déconnectée

En ce qui concerne le schéma de développement territorial, la Région a d’ailleurs défini Liège et Charleroi comme les deux pôles majeurs de la Wallonie. Namur est seulement confirmée dans son statut de capitale, devant bénéficier des retombées économiques créées par les deux pôles métropolitains.  » De la sorte, Namur reste contestée dans son développement, même si elle est désormais à un niveau tel, par sa légitimité de capitale, qu’elle peut jouer un rôle d’envergure au plan wallon et européen. Elle ne doit pas avoir de complexes par rapport aux deux autres villes qui ne se portent pas si bien « , dit Philippe Destatte.

Encore faut-il que Namur ose s’affirmer pour prendre le leadership et pour se connecter aux autres pôles européens.  » Or, la ville a perdu beaucoup de points en matière de connectivité ces dernières années, épingle Philippe Destatte. Prenez le réseau ferroviaire : la capitale wallonne n’est plus inscrite sur l’axe Bruxelles-Strasbourg. Pareil pour la liaison avec Paris. Et ce n’est qu’un exemple parmi d’autres…  » D’où l’inquiétude de certains experts pour l’avenir de la capitale :  » En Wallonie, il n’y a que Namur qui fasse la différence, malgré des difficultés sociales croissantes. Il faudrait éviter que la capitale, par manque de financement ou pour des raisons partisanes, n’arrive pas à se développer « , précise Jean-François Husson, secrétaire général du Centre de recherche en action publique, intégration et gouvernance (Craig). Car Namur est largement lésée dans la répartition des moyens octroyés dans le cadre du Fonds des communes. Charleroi et Liège se taillent la part du lion des crédits, avec respectivement 160,7 millions d’euros pour la première et 131,1 millions pour la seconde. Namur doit se contenter de 39,8 millions.  » La ville n’a pas sa juste part « , reproche Patricia Grandchamps. Même constat pour Anne Barzin, échevine MR :  » Liège et Charleroi restent largement favorisées. Il est logique que ces deux villes reçoivent plus, étant donné leur nombre d’habitants, mais les proportions sont démesurées.  »

Anne Barzin, échevine MR :
Anne Barzin, échevine MR : « Liège et Charleroi restent largement favorisées. »© hatim kaghat

Une situation loin d’être neuve.  » Le premier décret de 1989 était structurellement fait pour défavoriser Namur, rappelle Jean-François Husson. Depuis, avec la révision du décret en 2008, le système a été revu et la part de Namur s’est légèrement améliorée avec des critères plus favorables que par le passé.  » En tant que capitale wallonne, Namur bénéficie d’un budget régional de cinq millions d’euros par an pour exercer des missions de sécurité autour des bâtiments politiques et administratifs ou encadrer toute manifestation visant des politiques régionales. Quant au statut de capitale, comme le signale Jean-Benoit Pilet, il n’y a plus vraiment de revendication liégeoise ou hennuyère pour déplacer les institutions régionales.  » Ce n’était pas forcément gagné au début, ni même lorsque la Région a reçu de nouvelles compétences. C’est moins le cas désormais.  » Anne Barzin relativise tout de même :  » Namur doit continuer à se battre pour rappeler qu’elle est là. Un soutien ne lui tombera jamais du ciel.  »

La timide adhésion des Namurois

Les prochaines années seront cruciales pour la capitale wallonne.  » Si on allait vers le confédéralisme ou un fédéralisme très décentralisé, avec des transferts de compétences importants comme la police, la justice ou la fiscalité, il faut que Namur soit prête de la même manière que Bruxelles l’a été, au niveau européen, vis-à-vis de Strasbourg ou de Luxembourg. C’est l’enjeu le plus important pour son avenir « , affirme Jean-Benoit Pilet, politologue à l’ULB.

L’autre défi concerne sans aucun doute la construction du sentiment de fierté des Namurois à l’égard de leur ville.  » Il faut que les citoyens comprennent que ce statut est important pour le développement de leur commune. Ils n’en sont pas toujours conscients, ils connaissent peu les atouts de leur ville, même si cela progresse peu à peu ces dernières années à travers la création d’événements forts et populaires « , relève Frédéric Laloux, de NEW, l’agence de marketing institutionnel et territorial visant à promouvoir Namur.

Celle-ci a d’ailleurs mené un travail de sensibilisation auprès du jeune public pour éveiller ce sentiment.  » La particularité de Namur est d’être une grande commune, mais avec une zone urbaine très réduite. Dans certains villages, on s’identifie encore trop peu à la ville, et même on continue parfois de considérer la capitale uniquement comme source de désagréments. Mais si on veut une capitale forte, l’adhésion des Namurois sera essentielle !  »

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire