Malgré un encadrement de qualité et un centre d’étude dynamique, le Mouvement réformateur traverse une crise profonde dont les prémices remontent à au moins 1999. Pour les nostalgiques du PRL, Louis Michel fait figure de ver dans le fruit. Sans caricaturer, c’est le clan Michel qui, mutatis mutandis, a signé ce drame en quatre actes.
ACTE 1. La question migratoire
Certaines décisions politiques ont des effets à long terme. C’est le cas de celles prises en 1999 lorsque le MR revient au pouvoir. Louis Michel est aux commandes depuis la mort de Jean Gol. Le premier a enterré des thèmes chers au second comme l’immigration ou la fin du chômage illimité afin de faire une alliance avec le PS.
En 1999, c’est une coalition PS-Ecolo-MR, qui arrive au pouvoir. Sur l’immigration, Louis Michel accepte d’autant plus facilement la politique sur cette question qu’il a déjà éliminé dans le programme MR toute allusion à l’immigration : le prix à payer, croit-il, du retour au pouvoir.
Les décisions prises en 1999/2000 (regroupement familial encouragé, obtention de la nationalité qui devient plus facile, régularisations de clandestins) vont ouvrir les portes de la Belgique et de la citoyenneté belge à des centaines de milliers de personnes venues de partout dans le monde.
Le changement démographique est surtout visible à Bruxelles où 30% à 36% de la population est désormais d’origine musulmane. Ceci a des conséquences politiques majeures pour l’ex PRL qui avec l’ex-FDF finalement fusionné s’est longtemps partagé cette ville viscéralement libérale et plutôt de droite.
Sociologiquement, le vote des immigrés extra-européens est, sur plusieurs générations, plutôt un vote de gauche. En quelques années, Bruxelles passe donc à gauche. En Région bruxelloise, le PRL-FDF a représenté jusque 40 % des électeurs. Aujourd’hui, le MR se situe autour de 20 %. Au Conseil communal de la Ville, ô combien symbolique, de Bruxelles, les libéraux n’ont plus que 6 sièges sur 49. La Bérézina. Le même phénomène est en cours dans d’autres grandes villes wallonnes : arrivée d’immigrés, virement à gauche, chute du MR.
Le MR a-t-il pris aujourd’hui toute la mesure de cette révolution démographique ? Dans le programme du MR pour 2019, la partie migration arrivait en page… 203 du programme fédéral et commence par une longue justification du Pacte migratoire de Marrakech. Depuis 1995, pas un seul congrès du MR n’a eu pour thème l’immigration… Sujet tabou ?
Par ailleurs à Bruxelles, lorsque le MR place un candidat immigré sur ses listes (un entrepreneur en costume-cravate), celui-ci ne fait pas de voix. Il n’est pas assez « communautaire ». Le MR n’a aucune stratégie pour capter le vote immigré. Sur les listes pour 2019, il n’y a d’ailleurs quasi que des « visages pâles ».
ACTE II : Le MR n’a pas la fibre écologique
En dépit des tentatives de coller à l’actualité climatique, en suivant à tâtons la loi Climat conceptualisée par des « experts » proches d’ECOLO, le MR — et singulièrement la famille Michel — n’a, en réalité, pas vraiment la fibre écologique.
Jusqu’à une période récente, aucune réflexion sérieuse n’avait été consacrée aux questions environnementales et ce point était toujours relégué en queue de programmes.
En 2010, dans la première version de son Manifeste, lorsqu’il s’est porté candidat à la présidence du MR (pour remplacer Didier Reynders), le candidat Charles Michel avait tout simplement oublié de mettre un chapitre sur l’environnement. Par la suite, le concept de « planète bleue » a été artificiellement bricolé pour présenter une alternative à la vague verte. S’en sont suivies, récemment, 40 propositions non budgétées…
Construire une approche libérale du réchauffement climatique n’est certainement pas une mauvaise chose mais ces dernières années, le MR n’a pas vu la montée irrésistible des thèmes du climat et de l’écologie au sein des préoccupations de la population. Depuis les élections communales de 2018, on assiste à une fuite en avant pour essayer de démontrer que le MR a une réelle sensibilité sur ces questions.
A n’en pas douter, c’est la crainte d’Ecolo qui a amené Charles Michel à imposer la sortie du nucléaire en 2025, un sujet sur lequel les parlementaires libéraux sont divisés. Lorsqu’Écolo a sorti sa proposition de loi Climat, le MR s’est d’abord empressé de la cosigner, créant ainsi une nouvelle unanimité francophone, alors que la N-VA, le CD&V et le VLD refusaient ce qu’ils estimaient une dérive. De fait, ces propositions qui prévoient « une baisse des émissions d’au moins 95% en 2050 » , si elles étaient appliquées, ruineraient les entreprises et les ménages. Selon le très libéral professeur Afschrift dans Trends-Tendance, elles ne pourraient être mises en oeuvre que dans une société pré-totalitaire.
Soumission ? Entre Jean-Luc Crucke, plus vert que les Verts, et M-C. Marghem qui soutient une Loi Climat qui conditionnerait toutes les autres lois à la manière d’une Constitution (retoquée entre-temps par le Conseil d’Etat et non-votée au Parlement), la ligne du MR reste peu lisible. Le coût de la sortie de nucléaire dans à peine 6 ans n’est toujours pas chiffré officiellement. Les 7 centrales au gaz ne seront pas prêtes en 2025. Il faudra vraisemblablement acheter de l’électricité aux Français aux Allemands ces derniers raffolant du charbon lorsque l’éolien est à l’arrêt.
Le paradoxe est que le noyau de l’électorat MR se situe désormais dans les petites villes et dans les zones rurales. Or, ce sont précisément les personnes qui ont le plus besoin de leur véhicule, qui ont parfois de grosses voitures, qui se chauffent encore souvent au mazout ou à l’électricité, et qui risquent d’être les plus touchées par la sortie du nucléaire ou les autres résolutions touchant au climat.
Le MR est face à des choix cornéliens. Se montrer écologiste pour tenter de reprendre l’électorat jeune — « urbain ». Ou bien être attentif aux électeurs ruraux sensibles aux taxes liées à l’automobile et aux cadres supérieurs « libéraux » très attachés à leur voiture de société.
ACTE III : Le style Michel
Mais à ces facteurs de fond s’ajoute le style personnel des Michel. À l’exception des cinq années Reynders, le MR a été dominé (écrasé dit-on en interne) par la famille Michel dont certains ont l’impression qu’il est devenu sa chose.
S’ils ont en commun le goût du pouvoir et le sens du contrôle total du parti, le père et le fils diffèrent. Louis Michel avait le souci du rassemblement et savait que les dissidences ont toujours un prix. Charles Michel, soucieux de s’imposer, semble y être moins sensible et choisit l’aventure, au risque d’affaiblir son parti. Ainsi à Bruxelles, il n’a pas hésité à rompre avec le FDF, ce qui a marginalisé le MR, qui est maintenant dans l’opposition à Bruxelles depuis 15 ans.
Il est bien loin le temps où le ministre-président Hervé Hasquin paradait dans les Congrès MR en clamant : « le MR est incontournable à Bruxelles ».
Puis, ce fut l’éviction de libéraux historiques, qui avaient quand même l’audace de faire des alliances communales avec le FDF, ce qui isola le MR dans des communes où il était fort comme Schaerbeek ou Woluwe-Saint-Lambert. Deux communes où il ne compte désormais plus beaucoup.
Une dissidence comme celle de Marc Cools à Uccle, traitée par un certain mépris, entraîne même la fin d’une majorité absolue dans cette commune-symbole de l’ancrage libéral. Aucun bookmaker ne l’aurait parié. La défaite aux élections communales de 2018 prive le MR de relais importants dans presque toutes les communes et à la Région. Et cela devrait continuer en 2019.
Depuis, le MR est-il encore un parti démocratique ? La question mérite d’être posée. Déjà, Michel père avait créé sur mesure une fonction de chef de file gouvernemental pour garder le contrôle du parti lorsqu’il est devenu vice-premier ministre. Le fils Charles « s’autopropulse » président sans passer par la case élections pourtant prévue par les statuts du parti. Charles Michel aurait, dit-on, fait patienter pendant de longues semaines des centaines d’élus, traités comme des enfants ou des godillots, dans l’attente de la décision du Prince…
ACTE IV : La N-VA ou l’amour-haine
Partout en Europe, le paysage politique se recompose. Des partis de droite, libéraux, conservateurs ou nationalistes ont le vent en poupe, de même que l’extrême-gauche dans certains pays. En Flandre, la N-VA a parfaitement perçu ces évolutions. En un peu plus d’une décennie, elle est passée d’un petit parti marginal au premier parti de Flandre et dans le pays.
Le MR n’a anticipé aucune de ces évolutions. La crainte d’une immigration incontrôlée, des phénomènes identitaires, la demande de protection, la peur de ne plus être chez soi dans son propre pays (qui se traduit de manière tangible dans le sondage « Noir-jaune-blues » où 77% des Belges ne « sentent plus chez eux comme avant ») étaient pourtant des signaux très clairs.
Le MR est, semble-t-il, convaincu qu’il n’y a pas de « demande de droite » dans l’électorat francophone. Mais il n’y avait pas non plus de « demande » réelle pour la N-VA. Celle-ci a tout simplement créé l’offre politique autour de convictions fortes, aidée certes par l’existence historique du Mouvement flamand.
En Flandre, la recomposition politique a eu lieu. En francophonie, aussi à gauche, avec l’émergence du PTB et d’Ecolo. Mal à l’aise sur la question migratoire, inconsistant sur le climat et l’environnement, tendant, après avoir gouverné 4 ans avec la N-VA, à faire accroire le risque absurde d’un axe N-VA/PS (« national(iste)-socialiste »), draguant un jour Ecolo, le critiquant le lendemain, ayant permis au PS de se refaire une « virginité » en Wallonie en le renvoyant dans l’opposition pour gouverner pendant à peine un peu plus d’un an, le MR n’a plus de projet lisible. Seulement un chef, Charles Michel. Les cadres et militants semblent le suivre en l’applaudissant mécaniquement comme dans les shows télévisés. A l’avant-dernier congrès du parti, Le Soir notait une salle à moitié vide…
Or la recomposition au centre et à droite est inévitable. La seule question est de savoir si elle se fera le 26 mai à cause des Listes Destexhe et/ou au sein même du MR après un vraisemblable nouveau recul électoral…
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