Sophie Mignon
Mort d’un SDF à Namur : la cacophonie « des » ministres de l’Action sociale
Après une semaine de polémique et de cacophonie suite à la mort d’un SDF namurois, simples citoyens, travailleurs sociaux et personnes précarisées étaient en droit d’attendre des réponses du conseil communal de ce jeudi soir.
Un homme est mort. A l’hôpital, dans la dignité, selon l’échevine namuroise de la Cohésion sociale, Stéphanie Scailquin. Mais après avoir été – on ignore encore vraiment quand -refusé à l’abri de nuit de Namur. Jean-Luc avait atteint son quota de 45 nuits par an. Voilà les seules certitudes dans cette affaire.
Est-il mort de froid ? Y a-t-il eu non-assistance à personne en danger ? Le procureur du Roi de Namur a mis l’affaire à l’instruction. Pour retracer la chronologie, comprendre les circonstances et les causes du décès du SDF. La Ville, elle, après quelques cafouillages de communication, se réfugie désormais (légitimement) derrière le secret d’instruction. Plus un mot. La vérité sera judiciaire. Cette vérité, les travailleurs sociaux l’attendent. .
Un homme est mort. Et son décès a chamboulé tout un chacun. Dans le Namurois, d’abord. Ailleurs, en Belgique, ensuite. A tel point que, depuis que les faits ont été révélés, le bruit, la cacophonie ne se sont pas arrêtés, dans les médias, sur les réseaux sociaux, dans la rue. A propos des circonstances. A propos d’un autre sans-abri, retrouvé ce même soir devant la porte de l’abri de nuit avec une fine couverture. A propos du quota, du froid, du règlement. Il y a l’émotion, le choc, l’interpellation. L’indignation « naturelle » devant le décès d’un sans-abri. Mais aussi les propos injurieux et les attaques gratuites.
Un homme est mort. Mais ce jeudi, au conseil communal de Namur, la cacophonie ne s’est arrêtée qu’un instant. Durant quelques secondes de silence, au début de la séance, à la demande d’Eliane Tillieux, cheffe de l’opposition PS et ministre wallonne de l’Emploi. Durant l’appel du conseiller socialiste Fabian Martin à « prendre un peu de hauteur ». Lui qui a rappelé qu’il fallait aujourd’hui donner un cadre aux travailleurs sociaux : l’actuel, il est certain, est défaillant et a ses limites. Durant encore la prise de parole de l’échevine Scailquin, dénonçant les plaintes, les reproches et les injures via le numéro d’urgence sociale. « Qui d’autre peut se targuer d’offrir une aide sept jours sur sept, 24 heures sur 24 ? Pensez-vous donc que les équipes qui connaissaient personnellement Jean-Luc ne sont pas touchées ? Peut-on réellement penser que ces personnes sont accusées de non-assistance à personne en danger ? C’est injuste. C’est un travail de fourmi, un travail de l’ombre, qui est mis à mal depuis de nombreux jours. »
Mais la cacophonie a repris. Et cette fois, ce n’était pas les citoyens, les médias ou les réseaux sociaux, mais bien les élus qui ont contribué au brouhaha qu’ils regrettaient et dénonçaient quelques minutes plus tôt. Succombant à l’émotion, mais aussi à l’instinct de l’homo politicus et son irrésistible envie d’avoir raison.
En priorité, les hommes et femmes politiques namurois ont ainsi débattu publiquement de la légalité ou non de la Ville par rapport aux normes wallonnes. Et plus précisément de la supériorité, ou non, d’un décret par rapport à un règlement, ainsi que de la différence entre l’inconditionnalité de l’accueil et celle de l’hébergement. Resté discret depuis samedi, ce qui n’est pas son habitude, le bourgmestre et actuel ministre wallon de l’Action sociale Maxime Prévot, qui a dit avoir eu l’estomac retourné par la nouvelle, a « modestement » conseillé à celle qui occupait autrefois son poste régional de s’entourer de meilleurs conseillers juridiques. « J’ai cru que vous connaissiez le secteur que vous gériez », a-t-il lancé à sa consoeur du gouvernement wallon.
Le débat s’est ensuite poursuivi, du droit à l’institutionnel et l’administratif : l’exception wallonne de la gestion de l’abri de nuit par la Ville, et non le CPAS, l’évaluation du plan Hiver, l’éventuelle couverture par le secret professionnel de l’heure d’entrée de Jean-Luc aux urgences…
Bien sûr, le quota et sa nécessaire réévaluation, la prise de mesures adaptées en concertation avec les acteurs concernés « et non dans l’émotion du moment » ont été évoqués par plusieurs conseillers, de la majorité comme de l’opposition, et membres du collège. Heureusement. Malheureusement, ce n’était pas là l’essentiel du temps consacré au débat. Un débat de près d’1h30 qui s’est soldé par la surprenante abstention du PS. L’opposition n’a donc pas voté pour le prolongement de la levée des quotas de nuit jusqu’à la fin du mois de mars. Règle wallonne que l’ancienne ministre de l’Action sociale reprochait justement à la Ville de ne pas respecter !
Pensez-vous que c’est cela qu’attendaient, ce jeudi soir, ceux qui avaient encore une heure à attendre avant que les portes de l’abri de nuit ne s’ouvrent et qu’ils aient la possibilité d’avoir un toit ? De savoir quel ministre de l’Action sociale, l’ancienne ou l’actuel, était le meilleur en droit ? De décider qui, de la Ville ou du CPAS, devait gérer l’abri de nuit ? Pensez-vous que c’est cela qu’attendaient les sans-abri de ceux qui prennent les décisions pour les protéger, les aider et les accompagner ? Des attaques personnelles, des accusations, des justifications ? Est-ce là l’attitude inquiète que les travailleurs sociaux peuvent espérer d’élus « retournés » et « furieux » ?
Proposant une piste de réflexion concrète (la seule énoncée après celles de l’échevine Scailquin, enfin !) sur une flexibilité des horaires de l’abri de nuit selon les saisons et le coucher du soleil, Pierre-Yves Dupuis, conseiller indépendant, s’est dit « déçu de ce qui a été dit ce jeudi soir ». Propos auxquels a souscrit Maxime Prévot. On ne peut que partager la déception de l’ancien conseiller socialiste.
Un homme est mort. Et depuis, il n’y a que du bruit. Seul le silence des actes lui rendra vraiment hommage et prouvera qu’il n’est pas mort en vain.
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